Histoire

Ligne Morice : après la mort, la vie a repris ses droits à Tlemcen

Publié par DK NEWS le 03-04-2020, 16h51 | 36
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Les images douloureuses qu’évoquent la sinistre «ligne Morice», ses lignes électrifiées s'étendant de Tlencen à Bechar, et ses mines antipersonnel et collectives, restent ancrées dans la mémoire des moudjahidine qui s'en souviennent encore à la veille de la journée internationale de la sensibilisation au problème des mines et de l'assistance à la lutte antimines.
Même après le recouvrement de l’indépendance nationale, la ligne Morice a continué à semer la mort et causer de lourds handicaps aux victimes, mais grâce aux efforts des éléments de l’Armée Populaire Nationale (ANP) pour déminer les régions infestées de mines, la vie a repris ses droits tout comme l’espoir et la quiétude.
C’est dans le but d’isoler totalement les moudjahidine des maquis pour leur couper tout renfort en armes et en hommes entrainés venant de l’extérieur que furent érigés ces barrages de la mort à partir de 1957.
La ligne Morice, du nom du ministre français de la défense de l’époque, s’étendait sur toute la région frontalière Ouest du pays à partir de Marsa Ben M’hidi (Tlemcen) jusqu’à Bechar, sur de plus 75 0 km dont 173 km se trouvant sur le territoire actuel de la wilaya de Tlemcen.
Cette ligne électrifiée et truffée de mines antipersonnel et collectives devient alors une véritable machine à tuer ou à mutiler et un obstacle très dangereux à surmonter pour les troupes chargées de transporter du matériel militaire et autres à partir du pays voisin.
De nombreux moudjahidines ont perdu la vie en tentant de traverser cette ligne de la mort, d’autres ont survécu mais marqués à jamais de lourds handicaps physiques à l’instar du défunt moudjahid Benaissa Benamar, dont le bras droit et le pied gauche furent arrachés par une mine en 1961 alors qu’il faisait partie d’un groupe de déminage de l’Armée de libération Nationale (ALN).
Décédé il y a quelques années, ce moudjahid, dont le témoignage a été consigné dans l’ouvrage «Ligne Morice, ses impacts et méthodes de son infiltration» du chercheur en histoire Bentrar Mohamed, avait qualifié cette ligne de «très périlleuse».
Le défunt moudjahid et journaliste Abdelmalek Ouasti, raconte dans son ouvrage «Le démineur», la mort qu’il côtoyait à chaque fois qu’il doit ouvrir un passage dans cette ligne mortelle : «la zone interdite est minée. Les abords du réseau barbelé sont parsemés d’engins de toute sorte savamment piégés. Un geste inconsidéré, une fraction de seconde d’inattention et voilà un effarant cercle de feu et de fer qui soulève le sol. Il ne restera que des débris de celui ou de ceux qui se sont retrouvés à l’intérieur de ce cercle».
Bensefia Larbi, moudjahid et président actuel du bureau de Tlemcen de l’Association nationale des grands invalides de guerre, amputé d’un pied suite à l’explosion d’une mine, se souvient au détail près de cette ligne Morice, mise en place pour tuer et étouffer la guerre de libération. «On savait qu’à chaque tentative de traverser, c’était la mort certaine», a-t-il dit.
Il se souvient du jour où il sauta sur un engin explosif en 1958 et comment il a saigné jusqu’à perdre connaissance pour se retrouver dans un hôpital puis au camp d’internement de la ville d’Ouled Mimoune (Tlemcen) jusqu’à 1959. «Je ne peux effacer ces images de mon esprit», avoue-t-il, six décennies après ce drame.

Un effarant cercle de feu et de fer
La même émotion et le même sentiment restent vivaces chez chacun des acteurs de la guerre de libération ayant activé sur la bande frontalière Ouest. C’est le cas du moudjahid Bali Bellahsen, un fidaï de Tlemcen et auteur de plusieurs ouvrages sur la révolution armée dont «Le rescapé de la ligne Morice».
Ce condamné à mort est catégorique : «celui qui pénètre la ligne Morice es t pratiquement assuré de la mort et celui qui réussit à s’en sortir est comme s’il venait de renaitre». Bali Belahsen se souvient des centaines de moudjahids tombés au champ d’honneur sur cette ligne de la mort et de nombreux autres également ayant survécu mais avec des corps mutilés gardant à vie les séquelles d’une histoire coloniale impitoyable.
Il faisait partie d’un groupe de démineurs de la région de Bechar. Il s’est blessé à deux reprises dans l’explosion de mines collectives en 1958 et en 1959. Les populations résidant le long de la bande frontalière ont également souffert le martyr pendant la guerre de libération et après le recouvrement de l’indépendance. Bien après 1962, ces engins de la mort ont continué à tuer et à mutiler de centaines de victimes, notamment parmi les enfants et les bergers. Ces mines peuvent exploser au moindre contact, à la moindre inattention ou imprudence.
Les exemples ne manquent pas dans le moindre recoin de la wilaya de Tlemcen à l’instar de Boussetla Touati de Sebdou ,Ghounane Dahmane de Beni Snous , Chelal Abdelkader de Sidi Mbarak et belabdelli Abdelkader d’El Aricha. Tous ont été, très jeunes, handicapés suite à l’explosion de mines. Agé actuellement de 72 ans, Boussatla Touati garde les stigmates de l’explosion d’une mine. Il avait perdu en 1964 s on bras droit et son pied gauche. A 15 ans, au moment où il gardait un troupeau de moutons, il avait trouvé un engin dans les environs de Sebdou. Poussé par la curiosité, il manipula la mine qui lui explosa entre les mains. «J’étais jeune, je ne réalisais pas que je jouais avec la mort», s’est-il confié. Ghounane Dahmane, de la région de Beni-Snous, se souvient d’une journée
ordinaire de l’année 1966, alors qu’il se rendait à l’école, il a découvert sur son chemin un engin qu’il n’avait jamais vu de sa vie. C’était une mine antipersonnel. En une fraction de seconde, l’engin explosa et lui arracha le pied droit. Il avait à peine 16 ans. 
Dahmane dans l’incapacité de travailler vit d’une pension octroyée par la direction des moudjahidine à l’instar de plus de deux cents autres victimes innocentes d’engins explosifs à Tlemcen.

Déminer, une tâche titanesque de l’ANP
L'opération de déminage de la bande frontalière, entamée depuis 2007, s'est achevée en 2015 avec la destruction de la dernière mine dans la commune de Bouihi relevant de daïra de Sidi Djilali, par les éléments du génie militaire de l'ANP. Ainsi, plus de 816 hectares à travers les 11 communes frontalières, traversées par la ligne Morice sur un tracé de 650 kms, ont été épurés après le déterrement de plus de 72 389 mines sur le territoire de la wilaya de Tlemcen.
Les terres nettoyées de ces engins de la mort ont été remises par l'ANP aux communes lors d’une cérémonie qui a permis la plantation d’arbres fruitiers. Le slogan de cette campagne était «un arbre à la place d’une mine».
Quatre communes à vocation agricole et steppique, en l'occurrence El-Aricha, El-Bouihi, Sidi Djilali et Béni Snous ont été touchées par cette opération. Il s'agissait en fait de restituer aux fellahs d'importantes superficies agricoles, celles-là mêmes qui ont été utilisées durant la guerre de Libération nationale par l'armée d'occupation pour y enfouir de millions de mines qui ont fait de très nombreuses victimes.
Le 24 octobre 2014, une opération similaire avait permis la restitution de superficies agricoles aux fellahs des communes de Marsa Ben M'hidi, Bab El-Assa et M'sirda Fouaga. D’énormes efforts ont été consentis par les éléments de l’ANP qui ont prouvé une compétence avérée en matière de déminage. Des moyens financiers et matériels colossaux ont été mis en œuvre pour nettoyer ces régions infestées d’engins de mort. En dépit de toutes les difficultés, les éléments du génie militaire ont réussi à nettoyer et déminer de milliers d’hectares, réduisant le nombre de victimes de ces engins de la mort à travers la wilaya tout en augm entant la surface agricole qui permet de relancer ces zones restées depuis longtemps en marge du développement.
Pour le chercheur historien Bentrar Mohamed, le barrage de mines et d’électricité a été «la pire création du colonialisme français et doit être considéré comme un crime contre l’humanité» vu les dégâts énormes causés par les mines.

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