Le Récup’Art : Esthétisme, écologie et économie

Publié par Djamel BOUDAA le 16-10-2021, 16h04 | 42

 Le Récup’Art, qui consiste à récupérer des objets usés, détériorés ou simplement mis au rebut, après tout un traitement pour leur donner une seconde vie et en faire des objets utilitaires et décoratifs nés des mains des artistes dont le défi est de créer de nouvelles pièces en repoussant les limites créatrices et techniques qu'impose le ou les matériaux de base  grâce à leur énergie créatrice.   
Les passionnés de cet art, qui en obtenant gracieusement un objet ou un matériau devenu inutile et/ou encombrant, lui donnent grâce à leur savoir-faire artistique, leur sensibilité et leur doigté, une certaine valeur et en font un objet d’art et parfois même un chef-d’œuvre de par la haute esthétique dont ils l’imprègnent.
Les pratiquants de cet art , qui de par leur travail, participent à la protection de l’environnement, une préoccupation majeure et un défi à relever en ce vingt et unième siècle, sachant que le temps de décomposition dans un environnement terrestre sont pour , le chewing gum et les papiers de bonbons 5ans les cannettes de 80 à 100 ans, la boîte de conserve de 50 à 100 ans, la bouteille en plastique de 100 à 1000 ans, le pack en carton pour boisson 5ans, les couches jetables 500ans, le polystyrène plus de 500ans et la bouteille de verre un million d’années, les pneus non dégradables et les résidus domestiques dangereux non dégradables.
Pour réaliser leurs œuvres, découvertes lors des différentes manifestations artistiques (salon, expositions, ateliers…) avec émerveillement par les amateurs d’art, qui à cette occasion ont pris d’ailleurs plus conscience de l’importance du rôle de la récupération dans la protection de l’environnement, ces artistes écolo utilisent divers objets, matériaux et matières récupérés.
C’est ainsi que le regretté Mohamed Demagh, figure marquante de la sculpture en Algérie et lauréat de plusieurs prix de renom, dont celui du Festival panafricain (Panaf) 1969 avait opté pour le bois pour réaliser des magnifiques œuvres dont la plus célèbre porte le titre de"Napalm ".
« Mohammed Demagh maintient le bois en éveil.
Il le moule pour libérer l’élan qui sommeille sous la gangue pesante de l’écorce.
Bois auquel le sculpteur infuse une nouvelle vie, communique une autre dynamique, pour le lancer à la conquête de nouvelles formes et de nouvelles significations », est-il écrit à propos de cet artiste Moudjahid.
Le bois de récupération est aussi le matériau utilisé par le plasticien Zaki Sellam pour concevoir, dans un style contemporain, une série de sculptures dont une collection de statuettes et un buste intitulé «Portrait».
Ce noble matériau, traité à l’huile de camphre ou l’huile de lin auquel, et auquel est ajoutée une couche de vernis ou de résine pour le protéger de l’eau, est aussi la matière première de la plasticienne Yasmine Bourahli qui réalise des œuvres d’une grande richesse plastique ainsi que des portes clés muraux.
L’artiste conçoit aussi des cartes postales avec des chutes de bois et des petites boîtes à mouchoir. Un autre matériau très utilisé aussi, c’est le fer de récupération.
Matériau de prédilection de Mohamed Massen, ce passionné d’art moderne et de brocante, critique d’art et l’un des premiers à avoir opté pour le Récup’Art.
Massen, présent sur la scène artistique depuis plusieurs années pour ne pas dire des décennies, réalise des sculptures à partir du fer et de la quincaillerie ou outils comme les clés notamment à mollette et à cliquet ainsi que le soudage.
Assemblées judicieusement et intelligemment ces différents éléments forment de fantastiques sculptures peintes aux couleurs chatoyantes et représentant des animaux ainsi que des personnages.
   « Les personnages de Mohamed Massen peuplent un monde empli de son imaginaire.
Ils osent toutes les formes, toutes les attitudes, ils interrogent le regard et visitent l’espace.
Ils font exploser les tabous sur la beauté et la laideur.  Semblant sortir tout droit de la science-fiction, ils sont porteurs de sentiments et, reflets de nos miroirs, ils nous sont ô combien familiers et étrangement proches. », est-il écrit à propos de ces personnages « avec une sonnette qui devient chéchia, un trait de rouge qui ébauche un sourire, une note de blanc qui devient un fil scrutateur avec quelques références animées sur Tinguely ( Jean Tinguely est un sculpteur et dessinateur suisse créateur de Méta Matics, sculptures animées) et son univers brinquebalant et mouvant ».
Le métal est aussi le matériau de prédilection de l’artiste Merzouk Bellahcen, qui a réalisé une série de bustes de femmes à partir de petites pièces rondes ou de mousquetons assemblés et peints ou brutes , une collection de statuettes réalisées à partir de pièces de quincaillerie, représentant des musiciens, des danseuses de ballet et des athlètes ainsi qu’une sculpture évoquant un cheval, résultat d’un assemblage de chaînes de vélo, de vieux robinets, d’outils métalliques et de boîtes de conserves .
Divers autres matières en rebut sont utilisées par ces défenseurs de la nature à l’instar de l’artiste Amel Daoudi, qui utilise, comme tous les amateurs de cet art, tout ce qu’elle trouve comme matière à recycler pour réaliser ses tableaux, notamment du carton, des objets en verre "cassés", du papier, des boutons, des perles détériorés et même des bouts de « fetla », fil d’or dans la broderie traditionnelle tout comme elle a porté son choix sur des couleurs naturelles obtenues à partir des épices ou le jaune d’œuf.
« Lier l’art au recyclage permet de s’interroger sur le geste de jeter et sur le potentiel créatif de produits au quotidien (…).
L’Art’ Récup est une vision écologique de l’art ; C’est tout un travail de création artistique et de représentation symbolique.
Le recyclage des déchets prouve que ce qui compose nos poubelles peut être dans une préoccupation de création et devenir de superbes œuvres d’art », écrit dans son mémoire de fin d'études le plasticien Samir Chaou.
Il est à noter que la récupération des objets et autres matières pour créer de nouvelles œuvres a toujours existé, à l’exemple de la fabrication de tapis avec des chutes de tissus ou fil et même de sachets de lait découpés en lanières tout comme il est à rappeler que le patchwork, technique d’assemblages de plusieurs tissus de tailles, formes et couleurs différentes pour réaliser différents types d’ouvrages, est revenu en force ces dernières années avec la confection de couettes.