Culture

L’artiste Mohamed BELDJOUHER : « Le « Récup’Art » demande une sensibilité développée et de l’imagination»

Publié par Djamel BOUDAA le 08-02-2022, 16h53 | 9
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Dans cet entretien à DKNews, Mohamed Beldjouher, passionné de « Récup’Art » », dont il est l’un des précurseurs en Algérie, évoque son cheminement, ses méthodes de travail, les techniques utilisées tout en exprimant sa satisfaction d’apporter sa modeste contribution à la protection de la Nature. 

DKNews- Comment est née cette passion de la récupération ?

llCette passion est née dans l’enfance. Mon père Allah Irahmou était horloger. Horloger par passion, ce n’était pas pour lui un gagne-pain. Quand j’étais enfant, il m’emmenait avec lui quand il allait récupérer des pièces d’horlogerie d’occasion. Je dois dire qu’enfant, j’étais très attiré par les jouets, leur démontage et remontage. En plus de cela, j’étais passionné aussi par tout ce qui avait trait à l’image et les tableaux.  Devenu adolescent, j’étais un touche à tout, j’ai « touché » à la musique, au dessin. Dans les années quatre-vingt, j’avais une passion pour la peinture, puis la peinture sur verre.  Mais j’étais pris par mes études et à l’université de Bab- Ezzouar il y avait un pôle culturel et un jour, il y eut l’annonce d’un concours de réalisation d’une affiche. N’ayant pas de moyens, j’ai réalisé une affiche avec des bouts de journaux, de coton et de ficelle. J’ai décroché le second prix. Et là, je crois qu’il y a eu le déclic. L’esprit créatif existe en chacun de nous. Il faut penser seulement à le développer.

Pourriez-vous évoquer pour nos lecteurs votre première œuvre et les circonstances qui ont prévalues à sa réalisation ?

llD’abord, je vais parler du « déclic ». J’étais en vacances en Suisse et c’est dans ce pays que j’ai vraiment pris conscience de l’importance de la récupération. Il est organisé deux fois par semaine des vide-greniers. Je voyais aussi, quand je passais dans la rue, des objets déposés et là je me suis dit « est-ce qu’à partir de ces objets mis en rebut, on ne pourrait pas tirer quelque chose qui va servir de nouveau ? ». Je ramassais l’objet jeté, le nettoyais et laissant libre cours à mon imagination, je créais une pièce que j’offrais. C’est ainsi qu’à partir d’un objet anodin, d’utilisation usuelle, je créais une belle lampe, une montre, c’est-à-dire des objets de décoration. Lors de mon troisième voyage en Suisse, j’ai eu l’occasion d’exposer dans une galerie privée. Je récupérais des objets dans le quartier que je transformais et ensuite j’exposais les pièces soit à la galerie soit là où j’habitais.

Et une fois revenu en Algérie, vous avez continué à vous adonner à ce nouvel art ?

llJe suis revenu chez moi et je me suis dit : « Pourquoi ne pas essayer ? ». J’ai en quelque sorte ramené dans mes bagages l’idée et le déclic. C’était en 2015 que j’ai eu l’occasion d’exposer pour la première fois, lors de la célébration de la journée de la femme. De 2015 à ce jour, j’ai exposé deux cent fois.

Et ces objets jetés, comment les récupérez-vous ?

llPar hasard ! Au cours de mes randonnées et puis j’ai eu, un jour, l’idée de créer un petit fan club ; les gens m’apportaient les objets dont ils n’ont plus besoin.

Vous sélectionnez ces objets. Quels sont les critères de sélection ?

llC’est le critère artistique qui apparaît, qui parle de lui-même. Bien sûr, avec le temps, la créativité s’est développée chez moi, le travail aussi s’est amélioré. Je suis arrivé à un stade où je parle d’arts plastiques, terme qui n’est pas accepté par certains artistes.  Je me dis, je réalise une œuvre, c’est comme un tableau. Mes œuvres sont parfois expressives. Par exemple, j’ai fait une œuvre sur le thème de la COVID19. Quand les gens voient l’œuvre, ils pensent directement à la COVID 19. Dans mes œuvres, j’ai abordé plusieurs thèmes dont celui des « Harragas ».

Donc, vous considérez votre travail comme un art ? Un art mineur ou tout simplement un art, comme tous les autres arts ?

llPour moi, c’est un art mineur, quand on prend le terme dans son sens initial « Récup Art ». Mais on peut réaliser avec cette technique, avec beaucoup de recherche et un sens élevé de créativité, des œuvres d’art. Un artiste peintre a au départ une toile, des pinceaux et de la peinture pour en faire une composition. Il peut s’exprimer d’une manière abstraite en les utilisant, en faisant appel à son esprit. Dans le cas du « Récup’Art », c’est la même chose. La palette et la toile, ce sont les objets que je récupère et l’expression, qui est enfouie au fond de moi, émerge et je crée une œuvre. C’est comme pour tous les créateurs, cela dépend de l’état d’esprit du moment d’abord, de ce qu’on ressent, ce qu’on perçoit de beau, d’esthétique.

Quelles sont les qualités pour pratiquer le « Récup’Art » ?

llLe « Récup’Art » demande une sensibilité développée et de l’imagination. Il faut être patient aussi, avoir du temps et un petit espace chez soi où s’enfermer pour laisser libre cours à son imagination.

Une fois l’objet récupéré, à quelles opérations procédez-vous ?

llTout d’abord avant de ramasser l’objet, j’ai une idée de comment le transformer et en faire quoi avec. Une fois, l’objet ramassé, je le nettoie, je le redresse s’il est un peu tordu, je recolle les morceaux détachés ou les renforce si elles sont sur le point de se rompre. Avec le temps, le ramassage est devenu sélectif. Vous imaginez l’amas d’objets à stocker si je ne suis pas sélectif.  Supposez que je trouve un objet en rebut qui me plaît et quand je commence le montage, je m’aperçois qu’il manque une pièce ; je suis obligé de chercher la pièce adéquate pour former l’ensemble et ce n’est pas évident que je trouve cette pièce au premier tournant. C’est pour cela qu’il faut être sélectif sinon on ne s’en sort pas.

Pour réaliser votre travail, de quel matériel et matières avez-vous besoin ?

llCela ne nécessite pas beaucoup de moyens. Il faut avoir un petit chalumeau, un étau, des pinces, une petite et une grosse, de la colle, des pinceaux, de la peinture. Il faut des peintures spéciales que j’utilise pour les objets en métal car parfois, l’objet trouvé n’est pas nécessairement esthétique et il faut, pour en faire une œuvre, lui ajouter l’aspect esthétique.

Quand à l’objet sur lequel vous allez travailler, quelles matières préférez-vous ?

ll J’utilise toutes les matières à l’exception du plastique et du carton. Je préfère cependant le bois flotté, ce sont des morceaux de bois qu’on trouve au bord de la mer. Ils sont déjà « travaillés » par l’eau de mer ou des oueds.

Qu’est-ce qui vous attire dans ce matériau ?

llC’est un matériau léger et déjà « travaillé » par la nature. J’en fais des sculptures admirables. J’adore aussi le cuivre, j’ai beaucoup de créations avec des fils et des tubes en cuivre. C’est facile à manier et à souder.

Vous arrive-t-il de combiner certaines matières ?

llSeulement le bois et le métal. Cela va très bien ensemble. Je travaille souvent avec ces deux matières.

Et le verre ?

llJ’ai un peu abandonné le verre. A l’époque, je faisais de la peinture sur verre. Comme il y a beaucoup de gens qui travaillent cette technique, j’ai cédé l’espace.

Considérez-vous vos œuvres comme des sculptures ?

llOn m’a appelé à plusieurs reprises pour participer à des expositions de sculpture. Cela m’a fait beaucoup plaisir. Je suis en contact avec des sculpteurs. J’ai déjà exposé avec des sculpteurs à Ryad El Feth ; j’ai participé avec trois œuvres réalisées avec du bois flotté.

Dans quel courant s’inscrivent vos sculptures ?

llJe fais beaucoup dans la symbolique.

Donnez-vous des titres à vos sculptures ?

llJusqu’à présent, je n’ai pas donné de titre à toutes mes sculptures mais seulement à certaines ; c’est peut- être dû au manque d’inspiration au moment où je travaillais.

Comment percevez-vous votre travail ?

llJe perçois mon travail comme quelque chose de nouveau ; je n’ai pas de concurrents. Pour les gens, c’est quelque chose de nouveau et c’est toujours des pièces uniques.

Arrivez-vous à vendre vos œuvres ?

llJ’expose depuis six années et j’ai vendu toutes les pièces que j’ai présentées.

Il vous est arrivé de ne pas vendre une pièce ?

llQuand une œuvre ne se vend, je la retransforme. Car je vois qu’elle n’ « accroche » pas.

En faisant du « Récup’Art », vous participez un peu à la sauvegarde de l’environnement ?

llA ce jour, j’ai transformé à peu près deux cents kilos de matière récupérée. Je suis un artiste écolo.

Participez-vous à des actions de sensibilisation pour la protection de la nature ?  

llJ’ai été contacté plusieurs fois par des associations activant dans le domaine de la protection de l’environnement et du recyclage et j’ai toujours répondu présent. C’était des sorties pour les élèves pour les sensibiliser sur l’importance de la protection et la sauvegarde de la nature. On leur a expliqué l’importance de la récupération. Avec des choses récupérés, on a fait des travaux manuels.

Quels sont vos projets ?

ll J’ai deux ou trois projets qui me tiennent à cœur. Le plus important est de travailler avec les écoles et former les élèves à l’art de la récupération.

Quel état des lieux faites-vous du « Récup’Art » en Algérie ?

llCet art commence à être connu chez nous, les gens commencent à s’y intéresser. Je pense, modestement, avoir fait quelque chose dans ce domaine. J’avais proposé à des APC l’idée de la récupération intelligente des déchets, organiser des vide-greniers tous les deux à trois mois. Les gens entreposent des objets dont ils n’ont pas besoin pendant un certain temps et un jour, ils les jettent dans la poubelle. C’est dommage.

 

 

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