Le Pr Mohamed Tedjiza, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale invité, hier, du Forum de DK News - La prévention est possible et impérative : Consulter un psychiatre n'est pas un tabou

Publié par DK News le 25-10-2014, 19h19 | 2480

Qui de nous n'a jamais dit de quelqu'un d'autre «mais il est fou?» s'attribuant ainsi le rôle de psychiatre. Le psychiatre lui-même n'utilise jamais ce concept. Le concept de «folie» est en lui-même effrayant.

La schizophrénie est plus acceptable du point de vue des populations. Celle-ci implique l'existence d'un traitement où le malade connait une série d'alternance entre la reprise de conscience et l'état de perturbation psychique. Entre la socialisation et la désocialisation.

Le concept de folie est lu comme un état permanent de déperdition de la conscience. Un tel état relève de la psychiatrie dit-on. Pour nous en parler, le forum de DK News a reçu hier le Professeur Mohamed Tedjiza, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale à l'Université d'Alger, chef du service psychiatrie à l'hôpital Drid Hocine et président de la société médico-psychologique algérienne. Le thème de la conférence-débat porte sur «la psychiatrie et la santé mentale».

Le professeur procède à l'historique de la psychiatrie.  C'est un savoir accompagné de la pratique. Elle vise la connaissance, le caractère clinique, le mécanisme qui donne prise à une médication. Les répétitions donnent lieu à un savoir-faire consolidé.

La folie est connue depuis la nuit des temps. Dans l'Egypte antique, après la mort d'Alexandre le Grand. Le premier écrit sur la folie a été fait dans la Grèce antique et portait sur la mélancolie. Dans le monde romain, en latin, on utilisait le concept  «alenu», étranger aux valeurs humaines. Ensuite, au 1er siècle après J.-C. , on utilisait le concept de «visanus», personne privée de raisons.  Le malade est enfermé dans une prison.

A Fès au VIIe siècle, on créa Dar ElHikma (maison de la sagesse) qui faisait bénéficier  d'un certain confort. Puis, il y eut Ishaq Ben Amrane et Ibn Djezzar où on y installa les personnes malades, nerveuses (tremblement, épilepsie). Un établissement existait à Bagdad. Espagne musulmane, création du premier hôpital moderne.

L'entretien psychiatrique montre que le malade revoit ses émotions. Le premier entretien permet de dénouer les raisons spéciales de la malade. Consulter un psychiatre ne doit plus constituer un tabou. La personne atteinte a besoin d'aide et de soutien moral de son environnement immédiat et d'incitations pour suivre une thérapie chez des spécialistes. Selon la société algérienne de psychiatrie,  4 à 5/% d'Algériens souffrent de maladies psychiatriques et nécessitent un suivi médical adapté, ce qui nécessite une prise en charge à la fois médicamenteuse et psychologique.

«Pour éviter l'aggravation de ces pathologies, les spécialistes appellent à recourir aux soins dès les premiers signes d'apparition des troubles du comportement et des variations de la personnalité.
Ils estiment que les parents devraient faire attention aux cas de traumatismes que subissent leurs enfants, suite à des chocs émotionnels ou de violence». Par ailleurs, le professeur Tedjiza a qualifié la prise en charge de cette pathologie de «satisfaisante», en indiquant «qu'avec la réception des nouvelles structures hospitalières spécialisées qui sont actuellement en voie d'achèvement, cette prise en charge devra s'améliorer davantage ».

Par Said Abjaoui


Une science et une pratique sociale
 

Le Pr Mohamed Tedjiza, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale à la faculté de médecine d'Alger, chef du service psychiatrie à l'hôpital Drid Hocine et président de la Société médico-psychologique algérienne a traité au  Forum de DK News au cours d'une conférence-débat qui avait pour thème «Psychiatrie et santé mentale».

La première partie de cette intervention magistrale a porté sur l'histoire de la souffrance mentale et finalement de la discipline scientifique «savoir constitué» et pratique sociale qui recherche la cause des maladies mentales, leurs caractéristiques cliniques, la connaissance des bases physiologiques pour des thérapies adéquates. »

Rétro historique

L'histoire de la folie est aussi celle des frayeurs, des fantasmes, des sacralisations : Un pharaon de l'Egypte ancienne avait dans son espace privé cette inscription : «Médecine de l'âme ».
Hippocrate, le père de la médecine, avait étudié la mélancolie ; le monde romain traitait des comportements étrangers «aux valeurs humaines».

Au Moyen-âge, à Fès existait une sorte d'hôpital pour personnes souffrantes mentalement et à Kairouan des savants traitaient de la mélancolie, de l'apoplexie, de l'épilepsie et du cycle de veille et de sommeil. A Baghdad existait un centre d'accueil des malades. Le plus souvent, les «fous» étaient emprisonnés, mis dans les fers, comme en France, à la Bastille ou à Versailles.

«C'est Philippe Pinel qui, le premier, a symboliquement libéré le malade des fers qui le serraient» souligne le professeur Tedjiza. La première législation relative à la liberté de la personne est prise en France en 1838. C'est une avancée importante. Le professeur en vient au début du XXe siècle avec l'ouverture de l'hôpital Sainte Anne où sont accueillis les malades.

Après 1968, apparaissent les idées de la psychiatrie de secteur qui rapproche les soignants de malade. Mais auparavant la pharmacopée a complètement contribué à la transformation du traitement : en effet, les neuroleptiques ont remplacé les barbituriques et... les électrochocs !

La psychiatrie en Algérie

Durant la période coloniale, 3 centres à Oran, Alger et Constantine avec un système à deux (2) niveaux : les services de première ligne qui prennent en charge le malade en crise.
En deuxième ligne des services de dégagement à Sidi Chahmi à Oran, Oued Athmania, à l'Est et Blida –Joinville au centre.

Blida traitait ses patients en les «réintégrant» par des thérapies de travail. Depuis l'Indépendance, les structures d'accueil sont publiques, les centres de proximité d'El Biar, Basse Casbah, et d'autres quartiers comme Oued Ouchayah ont fermé, il reste l'hôpital Drid Hocine et la clinique de Chéraga à Alger ;, Blida Joinville est devenu un hôpital général.

  En 2003, une projection décennale devait faire à partir partir d'éléments objectifs traitant des «violences subies par le citoyen, notamment les enfants, nous ont fragilisés et sont susceptibles d'engendrer des affections liées à la détérioration de la santé mentale mais également de favoriser la survenue de pathologies liées au stress (hypertension, diabète...).

Les retombées des catastrophes, notamment celles du dernier séisme du 21 mai 2003 subi par la population de la région Centre du pays, sont à analyser et à prendre en considération dans l'identification de la santé de la population.

La décennie qui vient de s'écouler avec son lot de violence, l'urbanisation effrénée, l'accroissement démographique sont autant d'éléments qui concourent à une dégradation de la santé mentale. Si l'on se réfère à l'enquête nationale de santé qui a eu lieu au début des années 1990, les maladies mentales sont retrouvées parmi les dix premières affections chroniques mentionnées par la population. Elles représentent presque 6% de l'ensemble des maladies chroniques devant les cardiopathies avec un taux de prévalence de 457 cas pour 100 000 habitants.

L'enquête «papfam» a confirmé les chiffres concernant le handicap mental, obtenus lors du recensement général de la population, et a montré que les maladies mentales concernaient 0,5% de la population. Cela veut dire qu'il faudrait s'attendre à devoir prendre en charge au minimum 174 000 sujets présentant une affection au long cours touchant la santé mentale. Ce chiffre est sûrement en deçà de la réalité eu égard à la décennie qui s'est écoulée.

 Or, les structures d'accueil de nos hôpitaux de secteur sont pratiquement inexistantes.
De plus, parmi les maladies affectant la santé mentale qui verront probablement leur  incidence augmenter, on peut citer les états dépressifs liés à la mal-vie de manière générale et les démences qui sont fortement corrélées au vieillissement de la population (selon l'OMS, l'incidence de la maladie d'Altzheimer est de 5% au-delà de 60 ans).

Les traumatismes liés à la violence sont également importants puisque l'enquête EDG réalisée en l'an 2000 montre que 31,6 ‰ des enfants de moins de 15 ans ont subi un traumatisme dont 14 % intentionnels et que 2,5 % de ces enfants garderont des séquelles durables.

Ce qui donnerait à l'horizon 2010 près de 364 000 enfants victimes de violence dont 9 000 avec des séquelles durables à condition que les incidences observées soient maintenues, certains états touchant à la santé mentale (suicide et tendance suicidaire, toxicomanie...)
Il faut de surcroît insister sur le fait qu'actuellement, les structures hospitalières ne sont pas aménagées pour répondre aux besoins des adolescents (services et consultations spécifiques à cette tranche d'âge).

Par O. Larbi


« Balayer devant sa porte »

 

Le professeur Tedjiza met en avant l'humanisation des relations patients-médecins traitants, il dit former plus de 15 médecins par an. Le problème est qu'ils ne restent pas tous dans le secteur public.
Pour les autres questions, il aura ce mot :

«La prévention est possible et impérative.» Pour cela, il faut une politique, des ressources humaines et des structures... » Prendre en charge le malade dès l'incident, puis, en deuxième stade, le traiter et le guérir, enfin le réhabiliter socialement » mais cela ne se fait pas sans les autres intervenants des administrations et des services :

«Le psychiatre reçoit le malade, aux autres de faire leur part de travail, mais de cela, je n'ai rien à dire », soupire le professeur Tedjiza. Il aura tout de même éclairé en invoquant Freud qui pense que la santé mentale, c'est : aimer, travailler , créer »

Gandhi : «La terre peut nourrir tous les hommes, elle est assez rixhe pour cela, mais pas assez pour satisfaire les désirs insatiables de l'être humain.» Aussi, la psychiatrie est-elle la « spécialité de la liberté et des relations individuelles».
Par O .L.


A retenir...

n L'enquête EDG, menée en 2000, estime à 18% le nombre de femmes ayant subi un traumatisme chez les 15-49 ans. Ces données extrapolées à la population des 20-44 ans en 2010, situeraient à 133 500 le nombre de femmes qui souffriront d'un psycho-traumatisme dont 8 411 seront graves.
Le développement de moyens et de structures permettant une prise en charge de proximité des problèmes de santé mentale.

La formation de psychiatres, de psychologues et d'auxiliaires spécialisés en santé mentale.
 Le plan d'action dans ce domaine prévoit : la création de 20 services de psychiatrie,
 La création de 185 centres intermédiaires dans les secteurs sanitaires, la création de 20 centres spécialisés de prise en charge de la toxicomanie et des conséquences de la violence.
Par O .L.


La prévention pour réduire les pathologies psychologiques

Selon le Pr Tedjiza, la prévention, qui se dicline en trois volets : prévention primaire, secondaire et tertiaire, reste le meilleur moyen pour réduire l’incidence des problèmes de santé mentale. La prévention primaire consiste à intervenir sur le nombre de nouveaux cas qui surviennent chaque année, «il faut anticiper et  agir pour que ces troubles n’apparaissent pas».

La prévention secondaire se traduit par le dépistage et la prise en charge rapide et efficace des pathologies mentales alors que la prévention tertiaire consiste à réhabiliter socialement le malade et faire en sorte que les troubles ne se reproduisent plus.
Par R .R.


Les dialysés plus exposés à la dépression

La dépression est le problème psychologique le plus courant au sein de la population sous dialyse chronique, ce qui porte atteinte à leur bien-être physique et mental. D’après les statistiques, 5% de la population mondiale, soit plus de 350 millions de personnes, souffrent de cette pathologie mentale.
Par R. R.


Une communauté internationale pour la promotion de la santé mentale

Tout d’abord, il y a eu la création du comité international de santé mentale en 1919.ce n’est que vingt-neuf ans plus tard, en 1948, que la fédération mondiale de santé mentale fut créée.

Cette dernière qui regroupe une centaine d’associations réparties à travers une quarantaine de pays a pour objectif de promouvoir la santé mentale en proposant des programmes d’actions comportant des séminaires, des formations, des partenariats ou même des politiques de santé mentale à certains pays.    
Par rachid Rachedi

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