Histoire

L’Emir Abdelkader dans la légende

Publié par Par Amar Belkhodja le 19-06-2015, 16h04 | 341
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Pour mieux comprendre les véritables desseins de la France, il est utile d’évoquer l’effort financier qu’elle a mis dans l’expédition contre l’Algérie. L’ampleur de l’arsenal et des moyens humains déployés le 14 juin 1830 démontre de l’ancienneté du projet dont les plans topographiques localisant les objectifs remontent à 1808 déjà.

L’invasion française a, en effet mobilisé, sous le commandement du général de Bourmont, un personnel combattant de 34.184 hommes, un personnel non combattant de 3 389 hommes et un gigantesque matériel de guerre et d’intendance. Les premiers parjures des Français commencent à l’aube même de la conquête. L’article 4 de la convention signé par de Bourmont est violé au lendemain même de la capitulation du Dey Hussein. L’article en question stipule : «L’exercice de la religion mahométane restera libre, la liberté de toutes les classes d’habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte ; le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur».

Le premier parjure est commis au mépris de la convention et des droits de la population algéroise. La disposition précitée est systématiquement bafouée. La ville d’Alger est livrée à tous les abus, pillages, désordre, destructions de biens et d’archives, profanations et destructions de cimetières, conversion de mosquées en églises, fermeture de zaouïas, confiscation des biens habous…
Les premières oppositions à la pénétration française commencent près d’Alger

. Been Zaâmoun et El Hadj Sidi Saâdi encadrent de nombreuses batailles pour empêcher les français d’avancer et prendre la Mitidja.

Peu cohérente au début, la lutte des Algériens s’ordonna et s’organisa sous la conduite d’un jeune homme dont le nom sera illustre : El Hadj Abdelkader Ben Mohieddine.
Les Français occupent Oran le 14 août 1830. Cheikh Mohieddine, chef de la zaouïa des Kaddirya – près de Mascara – qui avait eu des démêlés auparavant avec les turcs, organise les premiers combats contre les envahisseurs. Son fils Abdelkader est présent à toutes les batailles. Sa légende est précoce. Tout le monde remarque son courage, son intrépidité, sa bravoure.

« Au cours du siège  d’Oran, on remarque au premier rang, un jeune cavalier intrépide qui galopait au milieu des boulets, les saluait de plaisanteries et ramassait les blessés à la fin du combat sous le feu des français ». C’est bien sur d’Abdelkader qu’il s’agit.

El Hadj Sidi Saâdi et Ben Mebarek, compagnons de Ben Zaâmun, se joignent à Abdelkader qui dirige aux côtés de son père plusieurs combats contre les Français installés à Oran. Les premiers affrontements se déroulent en 1831, en avril 1832 ; les 3, 4 et 7 mai 1832 ; le 23 octobre 1832 et le 10 novembre 1832.

Plusieurs tribus de l’Oranie expriment le vœu de faire proclamer cheikh Mohieddine comme principal chef de la résistance nationale. C’est au retour d’une bataille livrée aux portes d’Oran que le vieil homme réunit les chefs de tribus devant le «Derdara», un arbre séculaire dans la plaine du Ghris, et leur propose de prêter le serment d’allégeance à son jeune fils Abdelkader, âgé alors de 24 ans.  
Scène émouvante, solennelle, imposante et capitale dans l’histoire nationale. L’événement met en relief les vertus de la démocratie (la chora) chez les Algériens. Le 27 novembre 1832, au pied de l’arbre symbolique le «Derdara», les chefs de tribus proclament El Hadj Abdelkader Ben Mohieddine chef de la lutte contre l’envahisseur français.

Deux mois après, de nouvelles tribus se joignent au mouvement. Situation qui exigea une nouvelle prestation de serment d’allégeance. Cette fois-ci, les cérémonies se déroulent dans une mosquée à Mascara le 4 février 1833.

El Hadj Abdelkader est de nouveau proclamé chef de la résistance en présence de nombreux notables et chefs de tribus venus de presque tout l’ouest algérien. La mosquée et l’arbre le «Derdara» existent toujours. Ils nous invitent à puiser sans répit les enseignements du passé. El Hadj Abdelkader n’a jamais été imposé.

Le choix consacrant sa désignation à la tête du jeune Etat en formation fut l’expression de représentants de tribus que l’on pourrait appeler aujourd’hui les « grands électeurs ».

Les premier succès militaires
et diplomatiques d’Abdelkader
En un laps de temps, l’Emir Abdelkader parvient à regrouper autour de lui des milliers de combattants, envoie des émissaires auprès des tribus qui ne s’étaient pas encore ralliées à la cause, organise les premiers contingents d’une armée régulière et jette les premières bases d’un Etat moderne qui rompt avec l’archaïsme et l’immobilisme du règne turc en Algérie.

Parallèlement, il livre une série de combats à l’armée française. En décembre 1833, l’Emir Abdelkader inflige une défaite au général Desmichels, le pourchasse jusqu’aux portes d’Oran et fait plusieurs prisonniers. Puis lui impose un blocus économique. Il prive l’armée française de vivre en ordonnant aux tribus et négociants Algériens de déserter les marchés où les Français avaient l’habitude de s’approvisionner. En effet, les garnisons militaires françaises dépendaient du marché intérieur. Elles ne recevaient rien ou presque rien par la mer.

Cette situation de blocus économique et les succès militaires remportés par l’Emir Abdelkader le mettent en position de force et le favorisent à dicter ses conditions  à ses adversaires. Le premier traité signé avec les Français le 26 février 1834 constitue une première victoire diplomatique qui venait couronner les sucés militaires d’un jeune chef qui symbolisera désormais l’idéal national.
Par ce traité, El Hadj Abdelkader va exercer sa souveraineté sur toute la province d’Oran qui s’étend depuis la vallée du Chélif jusqu’aux frontières marocaines.

Souveraineté qui va d’ailleurs s’étendre à la région d’Alger et du Titteri. Les Français se contentent d’occuper les villes du littoral : Oran, Arzew, Mostaganem. Cette première trêve va permettre à l’Emir Abdelkader de poser les premières assises de l’Etat algérien. Il multiplie les contacts avec les tribus qui étaient jusque-là rétives.

Il est vrai aussi que le nom d’Abdelkader était devenu prestigieux, légendaire, partout dans la contrée. Partout on parle des qualités guerrières du jeune chef, de sa foi, de son intelligence, de son sens de l’organisation, de ses nobles et grandes vertus.

L’Emir Abdelkader combattra aussi d’ambitieuses familles féodales qui refusent de se soumettre à son autorité en se mettant très tôt au service de l’envahisseur français, comme la plupart d’entre elles d’ailleurs avaient déjà servi comme auxiliaires des turcs.

Il est intéressant d’évoquer le rapport de l’Emir Abdelkader avec ces familles parce que c’est ce point qui va servir de prétexte aux Français pour rompre unilatéralement le traité appelé par les historiens « le Traité Desmichels ».
Par ce traité, l’Emir Abdelkader a exigé et obtenu le droit de soumettre certaines familles féodales à son autorité exclusive, en tant que sujets de l’Etat algérien. Cette disposition menaçait les intérêts de ces renégats qui préféraient subir l’autorité des nouveaux envahisseurs.

Il s’agit plus particulièrement de Mustapha Ben Smaïl, de son neveu El Mazari, d’El Ghoumari, de Kaddour Ben Mokhfi et de El Oribi dans l’Oranie. D’autres noms figurent sur la liste des adversaires invétérés de l’Emir Abdelkader. Il s’agit, entre autres, des Ferhat Ben Saïd, des Ben Gana dans la région de Biskra et des Benferhat dans la région de Téniet el Had.

Partisan des solutions pacifiques, l’Emir Abdelkader est aussi connu par sa rigueur et la fermeté de ses décisions. Il brisa cette coalition de féodaux (de l’Oranie) dans une bataille qui se déroula à Méharès le 12 juillet 1834. Une cuisante défaite est infligée aux auxiliaires de l’armée française, ces grandes tentes qui ont n’ont aucune notion du patriotisme ni de l’Etat national et qui se mettent toujours du côté du vainqueur parce qu’ils voyaient en la France une puissance indestructible et  surtout jaloux  d’un jeune chef qui s’est imposé aussi rapidement sur le terrain. 

  Au fil des mois, le gouvernement français regrette amèrement d’avoir ratifié la convention «Desmichels». Le Gouverneur général rappela le maladroit négociateur, lui reprochant «d’avoir conclu avec Abdelkader une paix où la dignité de la France n’avait pas été ménagée».
Il le fit remplacer par Trézel, un général arrogant, prétentieux et belliqueux. Ce dernier cherche à provoquer le moindre incident en guise de prétexte pour violer le traité signé par son prédécesseur au nom de la France.

Depuis lors, El Hadj Abdelkader sera toujours irrité par les combines mesquines et par le non-respect de la parole donnée par les généraux et gouvernants Français. Le 16 juin 1835, Trézel passe aux actes. Il prend de son propre chef la décision de protéger les tribus Douairs et Sméla à la tête desquelles on retrouvait le tristement célèbre Mustapha Ben Smaïl. Abdelkader conteste ce transfert unilatéral d’autorité sur des tribus algériennes qui n’est autre qu’une violation de l’une des clauses de la convention signée auparavant avec Desmichels.

Peu enclin au dialogue, Trézel décide de faire cracher la poudre. Prétention qui le mènera droit à l’échec. L’Emir Abdelkader l’écrasera dans la célèbre bataille du Macta.
Le général français avait engagé dans cette bataille 5.000 hommes d’infanterie, un régiment de chasseurs d’Afrique et un convoi de 20 chariots transportant des vivres et traînant une vingtaine de canons.

Le 27 juin 1835, El Hadj Abdelkader, à la tête de 2 000 hommes, en habile stratège, inflige à Trézel une retentissante défaite. Dans le camp français c’est la débâcle. Le jeune et vaillant chef est au cœur du combat, parcourant avec bravoure le champ de bataille au milieu des fantassins et cavaliers qui avaient pris le dessus sur les colonnes de Trézel, forte en matériel de guerre et en hommes. Cela s’est déroulé dans la région de Mohammadia et de Mostaganem.

Les soldats français, pris dans un étau, s’enlisent dans les marécages. Plusieurs mourront noyés. Les hommes de Trézel fuient dans toutes les directions. Le général français laisse sur le terrain les trois quarts de ses effectifs. Les rescapés se traînent péniblement jusqu’à Arzew. On était obligé de les transporter par navire jusqu’à Oran.

A l’annonce du désastre du Mactaâ, le Gouverneur général, installé à Alger, est rappelé à Paris. Trézel, le vaincu, est remplacé par le général d’Arlanges. La bataille du Mactaâ (« La Macta » dans les livres coloniaux) est mémorable. L’auréole de l’Emir Abdelkader scintille par de nouveaux éclats.

A suivre

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