M. Yahia Zane, président de l’Union nationale des agronomes algériens, et M. Laâla Boukhalfa, commissaire des salons spécialisés dans l’activité agricole, invités du Forum de DK News : L’agriculture, moteur du développement

Publié par Said Abjaoui le 31-08-2015, 20h36 | 463

Quelle nouvelle stratégie agricole capable de créer de la richesse ? Des stratégies, il y en a toujours eu à travers les gouvernements successifs, avec en perspective l'autosuffisance  alimentaire à atteindre mais jamais celle-ci ne fut atteinte, ni même approchée. Pourtant l'Algérie dispose d'un « réel potentiel agricole ». Au cœur des politiques publiques, la souveraineté alimentaire qui est considérée comme relevant de la sécurité nationale.

Nombre de problèmes sont évoqués comme des obstacles jamais surmontés, à savoir le foncier agricole, les ressources en eau, le niveau de technicité depuis la suppression  des centres de formation agricoles (ITA de Mostaganem et formations spécialisées...).

Nous abordons aujourd'hui une phase nouvelle, car les diverses politiques agricoles envisagées ne peuvent plus être adossées à des ressources financières certaines et pratiquement abondantes après la chute drastique et durable des cours des hydrocarbures. Les différentes stratégies agricoles auront à en tenir compte car désormais les marges de manœuvre financières sont plus étroites. Le poste « agriculture » aura à tirer le PIB vers le haut, n'ayant lui-même jamais dépassé le seuil de 11%. Pour raison d'apaisement du climat social, les pouvoirs publics ont eu souvent recours à l'importation pour couvrir un manque de production alors que les excédents de production  n'ont pu être conservés en nraison d'insuffisance d'infrastructures.

Comment organiser la production, quelles orientations à donner et quels obstacles lever ? Pour nous en parler, le forum de DK News a reçu M. Yahia Zane, président de l'Union nationale des ingénieurs agricoles, et M. Laâla Boukhalfa, Commissaire des salons spécialisés dans l'activité agricole.

Pour M. Zane, l'agriculture doit jouer le  rôle de moteur de l'économie pour permettre de surmonter la crise financière et tirer le PIB vers le haut. Comment lui  faire jouer ce rôle à partir de sa capacité à assurer la sécurité alimentaire ? Il y a de grands problèmes à résoudre au préalable. Le premier d'entre eux concerne la question du foncier. Or, une grande partie du foncier agricole appartient au privé. Des inquiétudes, mais des assurances. Il faudrait bien sûr convaincre le privé d’adhérer aux orientations des pouvoirs publics. Le foncier doit être considéré comme un bien marchand. Depuis 2008, les paysans attendent un acte des concessions. Les paysans préfèrent mettre en jachère 40% des surfaces agricoles. Il faudrait remédier aux faiblesses de la créativité.

Les changements opérés dernièrement par le président de la République sont susceptibles de produire des progrès dans le développement de l'agriculture et de réussir à nous placer dans une perspective d'atteinte de la suffisance alimentaire. Le conférencier se félicite de la nomination de M. Ferroukhi  à la tête du ministère de l'Agriculture et de la Pêche et affirme sa conviction que celui-ci puisera dans le grand réservoir de compétences dont dispose le secteur.

L'Algérie, dit-il, n'est pas en crise. Elle a des problèmes de gestion, de gouvernance, de manque de professionnels. Donnons-nous des chances de résoudre tous nos problèmes qui sont d'ailleurs connus par tous car on en parle depuis tout le temps.

Pourquoi sommes-nous l'un des plus grands importateurs de blé au monde ? Pourquoi sommes-nous de grands gaspilleurs de pain et qu'on achète du pain subventionné pour le jeter aux poubelles ?

Said Abjaoui


50% de l’excédent mondial de blé est importé par l’Egypte et l’Algérie

D’après l’expert agricole Laâla Boukhalfa, 50% de l’excédent mondial de blé serait importé par deux pays africains, à savoir l’Egypte et l’Algérie. 80% de nos besoins en céréales sont importés. La production locale qui est tributaire des conditions climatiques (entre 2 et 5 millions de quintaux par hectare) est extrêmement faible. La désorganisation du secteur agricole a encouragé l’importation des produits à large consommation dont les céréales.


«Quelle stratégie pour une agriculture créatrice de richesses ?» : Eviter le choc agricole

Ce qui caractérise ce secteur économique est le chapelet de paradoxes qui mettent en relief son retard technologique, une autosuffisance en production  de cultures vivrières, des excédents même, qui ne permettent pas de  couvrir les coûts de production et donc assurer une juste rétribution du travail du fellah, tout en restant très chers pour le consommateur.

 Enfin, les produits de l’agriculture algérienne ne sont pas transformés en Algérie, sauf pour la filière « lait » qui offre fromage, yaourt et d’autres dérivés.

Tout le reste est importé, ce qui fait dire à des politiques, à des économistes ou tout simplement au citoyen moyen que « l’argent du pétrole sert, en partie, à entretenir les facteurs et moyens de production étrangers », sous-entendu : « Pourquoi cet argent n’est pas utilisé en Algérie pour booster les secteurs retardataires ? »

 

Amont ou aval ?

Bien des conférenciers mettent en évidence les insuffisances : c’est en amont qu’il faut chercher les causes de la situation de l’agriculture algérienne, c’est-à-dire au niveau des décideurs, gouvernement et ministères spécialisés dans la mise en œuvre de la politique arrêtée au plus haut niveau

La question se pose du retard dans la réalisation des périmètres irrigués qui permettraient les cultures fourragères qui sont absolument nécessaires pour avoir une production laitière suffisante 

M. Laâla Boukhalfa estime qu’avec 200 000 hectares d’irrigués, l’Algérie peut aller de l’avant dans le relèvement de la quantité de lait produite par vache. Elle est actuellement de 25 à 30litres/jour, alors que les performances requises doivent approcher les 80 à 90l/jour. Pourtant, la consommation de lait par habitant est de 140 litres/an ! Le double des standards de l’OMS et 3 fois plus que ce que consomment nos voisins maghrébins.

Il est possible que les poudres de lait achetées en surplus vont d’une part à la contrebande frontalière, d’autre part, par déclassement, à l’alimentation animale.

M. Laâla Boukhalfa est formel : «L’Algérie est devenue une ligne de programme des producteurs étrangers, au vu de nos appétits d’importateurs. Il faut savoir que notre pays et l’Egypte sont les consommateurs des excédents céréaliers du monde en- tier ! ».

Pour lui, c’est le retard dans la réalisation des programmes qui est à l’origine des difficultés de toutes les filières.

S’agissant de la filière avicole, il est sûr que l’absence d’abattoirs en nombre suffisant favorise les éleveurs « clandestins » et leur permettent de supplanter ceux qui respectent les lois et les normes (en matière médicamenteuse notamment).

En aval, toujours pour cette filière, l’anarchie domine, la surproduction ou les conditions climatiques provoquent des chutes de prix à la production qui ne profitent pas au consommateur «  puisque les éleveurs font pression sur le gouvernement » qui cède à leurs desiderata : ainsi, le poulet qui était « tombé » à 125DA le kilo se retrouve à 250DA  le kilo vif ! Et entre 350 et 400DA chez le volailler.

Quand se mélangent l’amont et l’aval, l’urgence de mettre de l’ordre et les moyens de le faire respecter s’impose.

Non pas pour réguler mais pour essayer « de sauver une filière qui possède de nombreux atouts, dont des souches de grands-parentaux qui assurent une certaine indépendance dans la production de  poulet de chair, de poules pondeuses, etc.

La filière est si désorganisée, affirme M. Laâla Boukhalfa, que « les poules pondeuses réformées deviennent du pâté de poulet, alors qu’elles sont porteuses de tous les médicaments possibles et imaginables qui leur ont permis de survivre pendant toute leur période de ponte. »

Le ministère de l’Agriculture et du développement rural, ceux du Commerce et de la Santé sont sollicités pour régler les problèmes qui risquent de détruire une filière, ne peut contribuer à la production de protéines à bas prix et de devenir un foyer de transmission de maladies.

 

Stratégies

L’information économique disponible sur le secteur de l’agriculture et des industries agroalimentaires a son origine dans les rapports du gouvernement, les statistiques des douanes et de l’ONS.

L’université apporte sa contribution à la prise de décision par les thèses et travaux des chercheurs.

L’université de Tiaret a produit une contribution  qui met en relief les chiffres clés de la production agrico-le :

«  A la fin des années 60, la production agricole assurait plus de 90% des besoins, alors qu’au début des années 80, elle ne survenait plus qu’à 30%.

Dès 1978, le déficit s’installe durablement, remettant en cause les objectifs de l’autosuffisance alimentaire.

Les principaux produits d’importations en 2007 sont :

Les céréales, et produits céréaliers et légumes secs (respectivement 64 et 82% de la consommation totale)

Le lait (57%)

Les huiles alimentaires (93 à 95%)

Le sucre, le café et le thé (100%)

Puis viennent les produits carnés, les fruits et légumes préparés ou transformés.

Selon les chiffres du MADR, en 2006 les importations de ces produits étaient pour les viandes rouges de 66 000 tonnes, la production nationale étant de 299 000 tonnes.

 

Viandes blanches : production : 60 000 tonnes

La consommation par habitant était, respectivement, de 19,6 kg et de 7, 3 kg pour les viandes. Les standards internationaux sont de 25kg pour les viandes rouges.

Au titre des stratégies : Les politiques mises en œuvre sont le PNDAR ou Plan de développement de l’agriculture et du rural.

Il y a eu, en 2010, la tentative d’Abdelhamid Temmar de lancer au niveau du MIPI un « Plan national d’appui aux industries agroalimentaires » qui a fait long feu.

Pourtant, M. Zane le soutient, « tous les problèmes ont été traités et les modalités de les résoudre écrites noir sur blanc ». Il s’insurge contre le fait que des « investisseurs » aidés par l’Etat ne créent rien tandis que d’autres «  prêts à mettre la main au portefeuille sont empêchés d’investir dans les industries agroalimentaires ».

Pour les observateurs et les associations de consommateurs, les résultats sont encore insuffisants : on parle ouvertement d’un déficit institutionnel et organisationnel.

 

Faut-il arrêter les importations ?

Il est surtout question de bien gérer ce volet  en évitant de stocker des céréales « comme si l’Algérie était en guerre ! ». Le vrai combat est de revenir à des normes d’organisation qui ont fait leurs preuves sous tous les cieux : planifier, orienter et contrô-  ler : c’est le travail du gouvernement. Il est ridicule de se concentrer sur des entreprises publiques toujours en déficit, toujours assainies, alors qu’elles relèvent de l’article 715 du code de commerce, qui définit la faillite ».

M. Boukhalfa insiste : «  Dans l’agriculture, c’est la volonté politique et l’organisation qui doivent libérer le secteur. Lui redonnant les capacités techniques, les ressources humaines compétentes pour retrouver les bases d’une autosuffisance alimentaire ».

En réponse à une observation sur l’éventualité d’un choc agricole, M. Boukhalfa a rétorqué : «  En 2020, nous pouvons avoir beaucoup d’argent sans pour autant pouvoir importer ce qu’il nous faut pour nourrir la population : les nations membres du groupe des BRICS auront tout acheté ! ».

 

Concertation

M. Zane a rencontré le ministre de l’Agriculture et du Développement rural. Celui-ci a affirmé sa disponibilité à entendre toutes les parties prenantes du secteur. Le président de l’Association des ingénieurs agronomes a souhaité, encore une fois, la rencontre de tous ceux qui peuvent apporter des solutions aux problèmes de l’agriculture et des industries agro-alimentaires, précisant : pourquoi pas un tripartite du secteur ? »

Une façon de combattre positivement le « scepticisme » ?

O. Larbi


200 000 hectares irrigués et 800 000 nouvelles vaches laitières pour mettre fin à la crise du lait

L’importation de 800 000 nouvelles vaches laitières et la consécration de 200 000 hectares de terres irriguées à la production des fourrages verts, seraient suffisantes pour venir à bout de la crise du lait que traverse le pays depuis quelques années, a indiqué M. Laâla.

La moyenne de production journalière des vaches laitières en Algérie est d’environ 15 litres par jour. Ce faible rendement est dû à la mauvaise alimentation. Dans les pays développés, les vaches bénéficiant d’une ration alimentaire en fourrage vert peuvent produire jusqu’à 90 litres de lait par jour. 

 

Gaspillage alimentaire : Un tiers du pain finit dans les poubelles

Produit fabriqué à base de farine subventionnée par l’Etat, le pain fait l’objet d’une consommation excessive et d’un gaspillage important. «30% du pain produit quotidiennement finit dans les poubelles», a indiqué M. Laâla. Pour mettre un terme à ce gaspillage alimentaire, l’expert a formulé plusieurs propositions : changer les habitudes alimentaires en favorisant la consommation de la pomme de terre à la place du pain comme c’est le cas en France et en Belgique, et revoir le prix de la baguette à la hausse (le pain est vendu entre 40 et 15 DA au Maroc). 

 

Risques sanitaires : 80% des viandes proviennent des abattoirs clandestins

En l’absence de structures d'abattage de grande capacité en nombre suffisant, l’abattage clandestin prend de l’ampleur en Algérie. D’après M. Laâla, 80% des viandes exposées sur les étals des marchés proviennent des abattoirs clandestins. L’opération d’abattage des animaux s’effectue sans contrôle vétérinaire, ce qui met en danger la santé du consommateur.

 

Du 1er au 3 octobre à Tlemcen : 4e Salon international de l'agro-industrie

Le Palais des Expositions de la wilaya de Tlemcen abritera du 1er au 3 octobre 2015, la 4e édition du Salon international de l'agro-industrie. L’évènement 100% algérien a pour objectif de mettre en valeur la production nationale.

Une série de conférences et de rencontres B to B  avec des partenaires nationaux et internationaux sont au programme de cette 4e édition du Salon. 

R.R.