Coopération

Jean Louis LEVET : «Avancer ensemble avec lucidité et confiance»

Publié par Entretien réalisé par Cherbal E-M le 24-02-2016, 15h28 | 39
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Nommé à cette fonction en juin 2013 par le Gouvernement français, il a la charge, avec son homologue algérien du ministère de l’industrie Bachir Dehimi, de mettre en œuvre la Déclaration d’Alger, signée en 2012 par les Présidents Hollande et Bouteflika, et notamment de donner un nouvel élan à la coopération entre les deux pays dans les domaines économique, industriel et technologique.

Il a occupé diverses responsabilités dans la haute administration française et dans le secteur privé et exercé comme chercheur universitaire (il est Docteur d’Etat en sciences économiques)  avec un intérêt particulier pour l’économie industrielle et les politiques publiques liées au développement productif des économies.

Essayiste, il a publié une vingtaine d’ouvrages, dont Réindustrialisation j’écris ton nom (2012) et tout récemment Produire mieux pour vivre mieux (octobre 2015). Il a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses pour cette interview avec le bureau DKNews de Paris.

DKNews : Vous étiez présent tout récemment à la cérémonie des trophées de la réussite de l’Association  «  Rassemblement des Franco Algériens Républicains Rassemblés » (FARR) ;  qu’est-ce que cela représente pour vous ?

J.L.Levet : Il était très intéressant pour moi de découvrir et de faire la connaissance des lauréates et lauréats de ces Trophées de la Réussite car leurs trajectoires professionnelles sont très révélatrices des efforts accomplis, de leurs engagements  respectifs fondés sur la ténacité, la créativité, le sens de leurs actions respectives. FARR et sa présidente Madame Furon,  permettent ainsi de faire connaitre ces personnalités, comme autant d’exemples de réussite pour les autres ; elles ont osé, elles se sont investies dans la durée ; dans la période actuelle, fort troublée, cela fait du bien ! Elles nous donnent du courage !

 Cette soirée m’a permis également de faire connaître à un public attentif, motivé, les avancées de ma Mission, la démarche qui est la mienne, les premiers résultats auxquels nous arrivons avec nos amis algériens, et de les écouter, d’apprendre, de faire de belles rencontres, de connaître pour certains leurs projets et ainsi de voir si nous pouvons les accompagner utilement.

 

Quel rôle pour les Franco-Algériens dans la dynamisation des relations entre la France et l’Algérie ?

Dans de nombreux projets de coopération entre les deux pays, que ce soit dans le domaine de la recherche,  de la formation, du monde des entreprises, des acteurs territoriaux ou encore associatifs ou syndicaux, je suis souvent en relation avec des Français qui ont un lien plus ou moins directs avec l’Algérie. Ce qui d’une part  est révélateur de leur place dans la société et l’économie française, souvent méconnue ; et ce qui d’autre part  nous permet, souvent, d’avancer plus rapidement et en confiance sur des projets. Ils ont donc un rôle à jouer qui ne peut que croître, car ces femmes et ces hommes allient lucidité par rapport à l’environnement, technicité dans leurs domaines respectifs, et volonté de s’engager encore plus résolument, afin d’apporter leur contribution au rapprochement entre les deux pays.

 

Depuis la Déclaration d’Alger de 2012, comment estimez-vous le parcours dans le domaine de la coopération industrielle et technologique ?

Il y a une réelle dynamique à l’œuvre, fragile, mais qui ne demande qu’à être consolidée, amplifiée. Concrètement, au cours des trois premiers « Comité Mixte Economique Franco-Algérien» annuels, respectivement en octobre  2013 , octobre 2014 et le 26 octobre 2015 dernier, plusieurs ensembles de projets de coopération ont fait l'objet d'accords et se mettent en œuvre dans le cadre des trois grandes priorités que nous avons définies en privilégiant une démarche innovante résolument tournée  vers les attentes, les besoins et les projets des acteurs publics et économiques algériens ; et dans une perspective de long terme avec le souci de l'excellence partagée.

Une première priorité concernant la formation professionnelle en lien avec l’objectif des pouvoirs publics algériens (et tout particulièrement le ministère de l’industrie et son ministre M Bouchouareb que je rencontre régulièrement au cours de ces manifestations) de réindustrialisation diversifiée de l'économie : citons les projets d'Ecole de formation supérieure : une Ecole des Métiers de l'Industrie en partenariat avec l'Ecole des Mines de Paris, une Ecole d'économie industrielle appliquée avec l'Ecole d'Economie de Toulouse, un Institut national de Logistique avec l'Avitem, une école de management industriel avec Skema, ou encore un Centre d'excellence en efficience énergétique avec le groupe Schneider Electric) ;  vous voyez, nous privilégions l’excellence.  Une seconde priorité relative au développement d'infrastructures technologiques et techniques d'appui aux PME algériennes : avec des coopérations dans les domaines de  la normalisation, de la métrologie,  de la propriété intellectuelle, de l'appui de centres techniques français aux PMI algériennes (mécanique, agro-alimentaire), de la responsabilité sociétale de l’entreprise. Une troisième priorité avec des partenariats productifs dans des domaines de plus en plus diversifiés : ferroviaire (par exemple avec un accord cadre signé entre la SNCF et la SNTF en septembre 2015), industrie automobile (avec notamment l'implantation de Renault à Oran en partenariat avec des opérateurs algériens), mécanique et agro-alimentaire notamment  avec des PMI françaises, matériaux de construction (avec le groupe LafargeHolcim), valorisation des phosphates pour la nutrition végétale et animale (avec le groupe français Roullier), etc, via la constitution de joint-ventures selon la législation algérienne du 51/49.

Dans le cadre de ma Mission, je suis aussi très attentif à rencontrer toujours davantage des entrepreneurs privés dans les différents territoires de l’Algérie pour construire avec eux des projets de partenariats concrets et durables. Et tout particulièrement entre PME algériennes et françaises. Et donc à me rendre aussi souvent dans les territoires français et leurs agglomérations, notamment les villes jumelées avec des villes algériennes, comme par exemple Dunkerque avec Annaba, Bordeaux avec Oran, Lyon avec Sétif, Grenoble avec Constantine, etc ; autant de jumelages qui doivent passer à la vitesse supérieure de la coopération autour de projets économiques liant universités, entreprises et territoires.

 Il y a là, pour l'Algérie, des  vecteurs clés d'intégration progressive dans les réseaux mondiaux de savoirs, d'informations, de production et d'apprentissage des nouvelles technologies, de formation, de process industriels et de service. Pour la France, c'est la possibilité de considérer l'Algérie comme un formidable  levier de croissance pour ses entreprises, en particulier pour ses PME et ETI,  et d'internationalisation pour ses opérateurs de façon générale, puis de progression avec l’Algérie sur le continent africain.

Il nous faut être encore beaucoup plus ambitieux à deux ! En mettant encore davantage  en œuvre des complémentarités entre nos deux pays, si proches culturellement, géographiquement, humainement tout simplement. Soyons à la hauteur des enjeux de long terme  en construisant  des partenariats dans les domaines clés du futur comme par exemple  ceux de  l'agro-écologie, de la transition énergétique en y bâtissant un co-leadership mondial, ou encore de la ville durable et de la maîtrise de la gigantesque transformation numérique à l'oeuvre.

 

Avez-vous eu le temps de cerner les attentes des partenaires algériens ?

Comme je vous le disais précédemment, j’ai commencé par cela : prendre le temps d’identifier puis  d’aller à la rencontre des opérateurs publics, privés, territoriaux, associatifs, pour les écouter, comprendre leurs besoins, leurs attentes, leurs projets. C’est la démarche que j’ai immédiatement privilégiée. Par ce que c’est comme cela que l’on peut être efficace, construire des actions dans la durée, et créer une relation de confiance avec mes interlocutrices et interlocuteurs. Sans confiance, que voulez vous faire ? Je me suis rendu dans de nombreuses villes et territoires d’Algérie, d’est en ouest, du nord aux hauts plateaux et au sud.

Partout et à chaque rencontre, dans telle université, tel site de production d’une entreprise, tel club d’entrepreneurs, tel laboratoire, tel organisme de spécialité, et ce dans une grande diversité d’activités (agriculture, agroalimentaire, mécanique, biens de consommation, technologies de l’information,  construction, hôtellerie, etc), l’accueil a toujours été chaleureux, constructif. Ces rencontres ont été fondamentales pour ma Mission, et je continue d’autant plus évidemment. Tout récemment, j’étais à Mascara, Saida, Sidi bel Abbès, Oran ; prochainement je serai à nouveau à Constantine, puis Sétif, et j’espère bientôt à Gardaïa, Ouargla, etc.

Je suis là, dans mes domaines d’action,  pour contribuer à  construire des ponts entre les deux pays et non des murs.

 

Quelle appréciation portez-vous sur le climat des affaires en Algérie ?

Les gouvernements algériens successifs font de réels efforts pour favoriser l’investissement, sans lequel il ne peut y avoir d’économie productive performante. Tous les responsables publics et privés que je rencontre sont très conscients de la nécessité de diversifier l’économie algérienne, d’accélérer la transition d’une économie de la rente à une économie entrepreneuriale, de la faire progresser en qualité et en compétence, et en particulier de favoriser des partenariats avec des entreprises étrangères pour gagner en savoir-faire, en qualification, en performances productives.  Je rencontre aussi une nouvelle génération d’entrepreneurs, très dynamiques, dans des activités très diverses (produits agricoles, numérique, services aux entreprises) qui constituent l’un des ressorts essentiels de l’économie et des territoires du pays et pour lesquels un climat des affaires de qualité est très important.

Et pour lesquels les opérateurs français doivent être plus à l’écoute en apprenant à les connaître.

 

La coopération industrielle et technologique franco-algérienne n’est-elle pas affectée par la crise économique ?

Quand on observe les stocks d'IDE  (investissements directs étranger), ils ne sont en 2014 que de 26,7 milliards d'euros en Algérie, contre 31,5 milliards pour la Tunisie dont la population est 4 fois moins importante, de plus de 51 milliards pour le Maroc et de 88 milliards pour l'Egypte.

 C’est dire si l’économie algérienne doit s’ouvrir aux investisseurs étrangers qui permettront d’accroître la production locale, de limiter les flux d’importations ;  et donc si les entreprises françaises, confrontées à la fois à une croissance molle sur leur marché intérieur et en Europe, et au Maghreb à une concurrence de plus en plus forte en provenance d’autres pays européens (Espagne, Italie, Allemagne notamment), mais aussi asiatique (Chine, Corée) et américaine, ont intérêt à investir en Algérie. D’autant que les nombreux entrepreneurs algériens que je rencontre, mettent très souvent en avant leur volonté de travailler avec des entreprises, des centres techniques, des universités françaises.

A nous d’être aussi à la hauteur de leurs attentes et des enjeux de long terme. La crise est une transition difficile. A nous de la mettre à profit pour avancer à deux, avec lucidité, et avec confiance : on ne se dirige pas vers l’avenir en marche arrière !

Entretien réalisé par Cherbal E-M

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