Economie

OPEP-non OPEP: Les enjeux de la réunion d'Alger du JMMC expliqués par un expert

Publié par DK News le 22-09-2018, 16h12 | 24
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L’expert pétrolier international et président du Cabinet Energy, Mourad Preure, explique dans un entretien à l'APS les enjeux de la 10ème réunion du Comité ministériel conjoint de suivi de l’accord OPEP-non OPEP (JMMC) qui aura lieu dimanche à Alger, ainsi que les perspectives du marché pétrolier.    

-QUESTION: La 10ème réunion du JMMC se tiendra quelques jours avant l'application des sanctions américaines contre l'Iran. L’Arabie Saoudite et la Russie n’excluent plus l’éventualité d’une nouvelle hausse de la production après celle qui a été décidée en juin. Une option à laquelle l’Iran s’oppose. Quelle est votre lecture?

-MOURAD PREURE: La réunion qui se tiendra à Alger a pour objet l’examen de la mise en œuvre de l’accord issu de la réunion de Vienne en juin dernier. 

En principe, elle ne dépassera pas ce cadre.  Pour rappel, l’accord de Vienne entre producteurs OPEP et Non-OPEP, à leur tête la Russie, a décidé d'une augmentation de la production de pays membres de l’accord pour compenser le déficit d’offre qui serait occasionné par la baisse de production de l’Iran, due à l’embargo, du Venezuela en crise, et de la Libye soumise à de violents risques géopolitiques. Des ministres de pays producteurs ont évoqué une augmentation entre 500.000 bj et 1 million de barils jour (mbj). Mais aucune augmentation de la production n’a été actée dans cet accord. 

La conférence d’Alger aura pour mission d’aller plus vers le concret, en considérant la hausse de la demande, estimée par l’OPEP à 1,65 mbj cette année, et le rééquilibrage du marché qui se confirme. L’entrée en vigueur le 4 novembre de l’embargo contre l’Iran laisse dès lors présager une contrainte d’offre qui peut emballer les prix et déséquilibrer le marché. 

La réunion d’Alger répond au vœu de l’OPEP de voir le marché retrouver un équilibre, considérant la robustesse relative de la demande et des risques de rupture d’approvisionnement attendues particulièrement du fait de la disparition des exportations iraniennes. 

Cependant, force est d’observer que le marché a beaucoup plus réagi à la baisse des stocks américains qu’à la perspective de la conférence d’Alger. 

Les prix testent le seuil des 80 dollars le baril considéré déjà par l’Arabie Saoudite comme un optimum. La présence de l’Iran à cette réunion sera source de tensions assurément sans que cela n’altère significativement, à mon avis, les consensus en vigueur. 

La tentation de relever de manière explicite le plafond de production existe forcément, mais le réalisme devrait prévaloir car les pays producteurs n’ont pas encore surmonté les effets néfastes sur leurs économies de la guerre des prix menée par l’OPEP, à l’instigation de l’Arabie Saoudite, et de la dépression qu’elle avait occasionnée dans le marché pétrolier.

 

-QUESTION: Cette réunion coïncidera avec le second anniversaire de l’accord historique d’Alger de septembre 2016, qui avait permis de jeter les bases d’une nouvelle cohésion au sein de l’OPEP et de relancer les prix du pétrole.

- MOURAD PREURE: Le Consensus d’Alger, issu de la conférence de septembre 2016, a consacré le retour de l’OPEP à une ligne de défense des prix et l’abandon de l’épisode malheureux de la défense des parts de marché. 

Ce consensus, auquel ont adhéré des pays producteurs significatifs comme la Russie, a conduit à une réduction de la production de 1,8 mbj. Dans ce consensus, deux pays jouent un rôle clé: l’Arabie Saoudite et la Russie. 

Ces deux pays ont beaucoup de convergences du point de vue de leurs intérêts pétroliers. La Russie, dont l’économie est peu diversifiée, est très dépendante de ses exportations d’hydrocarbures et a beaucoup souffert de la baisse des prix. 

L’Arabie Saoudite, tout autant dépendante et peu diversifiée, connait un déficit budgétaire dépassant les 100 milliards de dollars et une crise économique qui compromet la réussite de son plan stratégique à long terme, alors même qu’elle vit une période de succession dynastique porteuse de fortes incertitudes. 

De plus, son projet d’ouverture du capital de sa compagnie pétrolière nationale, Aramco (exagérément capitalisée à 2.000 milliards de dollars), sans cesse repoussé, risque de connaitre un échec si les prix du pétrole retrouvaient ses niveaux de 2014-2015. 

Ces deux pays convergent sur un optimum de prix qui soutiendrait leur économie sans pour autant être trop élevé pour détruire de la demande. 

Dans ce contexte, la réunion d’Alger devrait s’attacher à trouver les mécanismes pour stabiliser le marché, considérant les facteurs de crises iranien et vénézuélien ainsi que libyens anticipés. 

Il n’est pas exclu qu’en fonction des prévisions d’évolution des fondamentaux (offre, demande et stocks) qui seraient faites par les acteurs participant à la réunion, particulièrement l’Arabie Saoudite et la Russie, les estimations d’augmentation de la production peuvent sensiblement diverger et induire de vives discussions. Cependant, il parait certain que le Consensus d’Alger autour d’une ligne de défense des prix me semble encore d’actualité et en mesure d’influer durablement sur le marché, cela même s’il nécessitera encore des ajustements en fonction des réalités du marché et des jeux d’acteurs.

 

-QUESTION: Quelles sont les perspectives du marché pétrolier à moyen terme?

-MOURAD PREURE: La demande pétrolière s’inscrit dans une trajectoire de croissance de 1,4 mbj par an. En 2018, elle aura crû de 1,65 mbj, comme évoqué plus haut. Le marché s’inscrit dans une dynamique d’équilibre qui m’apparait durable. 

La production de pétrole de schiste américain avait, en 2014, pris à l’OPEP son rôle de swing producer, ajustant l’offre et déterminant les prix. Cependant, elle a, depuis, perdu de sa flexibilité, cela alors que les gains de coûts de production, dus au progrès technique et à la pression sur les sociétés de service, et qui ont été de 35%, tendent à s’essouffler. 

On estime d’ailleurs que seulement 33% de ces gains de coûts sont irréversibles. 

Faut-il aussi souligner que les Etats-Unis ne représentent que seulement 3% des réserves mondiales contre 90% pour les pays OPEP et Non-OPEP membres du Consensus d’Alger qui représentent aussi 50% de la production mondiale.

Ajoutons à cela que depuis le choc baissier de 2014, l’investissement pétrolier a baissé de 1.000 milliards de dollars. Les prix pétroliers sont portés sur le long terme par une tendance haussière qui est fondée sur une anticipation d’épuisement des réserves alors que la demande augmente  exponentiellement, portée à 80% par les pays émergents. 

Cette tendance lourde a été contrée (et peut encore l’être épisodiquement) par des tendances et facteurs de court terme, jeu des fondamentaux, crise économique etc... 

Ce conflit de tendance, propre au marché pétrolier, amplifié par la spéculation et les risques géopolitiques, explique la volatilité, la forte incertitude ainsi que les difficultés de la prévision à court terme.

L’année 2019 devrait voir la poursuite du rééquilibrage du marché avec une orientation à la hausse des prix. Ce sera, cependant, une année de fortes incertitudes qui influeraient sur le marché nécessairement. 

Le président Trump envoie des signaux contradictoires au marché, en même temps l’embargo contre l’Iran est un signal haussier fort, dans le même temps la guerre commerciale engagée avec la Chine et les frictions sur le plan commercial avec les alliés traditionnels que sont l’UE Et le Canada, portant de forts risques récessionnistes, envoient un signal baissier qui pourrait être très actif si les relations ne reprennent pas leur cours normal. 

L’ouverture de discussions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine a ainsi été favorablement accueillie par le marché.

Sur le moyen-long terme, la situation du marché risque fort d’être tendue, vu l’augmentation attendue de la demande, en moyenne de 1,4 mbj l’an et le déficit d’offre qu’occasionnera la baisse des investissements induite par la baisse des prix. 

Des corrections violentes sont à attendre à la prochaine décennie. Un choc haussier est fortement probable entre 2020 et 2025. Les gisements en activité vieillissent et nécessiteront de plus en plus de technologie et d’investissements. Ils déclinent, selon les estimations, de 5 à 7% chaque année. Les découvertes sont de plus en plus rares, petites, coûteuses et difficiles à produire. Selon Wood McKenzie, avec 2,7 milliards de barils découverts, nous avons le plus bas niveau depuis 1947. 

Le retour vers le pétrole OPEP, et plus particulièrement moyen-oriental, est irréversible. Pour exemple, si l’augmentation de la demande se maintient à un rythme de 1,4 mbj, toutes choses égales par ailleurs, il faudra découvrir une Arabie Saoudite d’ici 2030 et deux Arabies Saoudites d’ici 2040. 

Quels que soient les gains en rendements des moteurs à combustion et la diffusion de la mobilité électrique, les pays émergents, désormais centre de gravité et de l’économie mondiale et de l’industrie pétrolière, partent de très bas dans leur consommation pétrolière et rendront caducs tous les équilibres pétroliers actuels et futurs, alors que le pétrole ne cessera de représenter plus du tiers de la demande énergétique jusqu’à la mi- siècle tout au moins.

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