Tizi Ouzou: Tirgwa d'Ath Ouabane, l'un des plus anciens systèmes d'irrigation de Kabylie

Publié par Dk News le 22-06-2019, 17h52 | 37

Tirgwa, ou les canaux d'irrigation d'Ath   Ouabane, un village cerné de cèdres et enclavé au creux d'un ravin dans la   montagne du Djurdjura dans la commune d'Akbil (70 km au nord-est de   Tizi-Ouzou), demeure l'un des plus anciens systèmes d'irrigation de la   région de Kabylie auxquels les habitants ont toujours recours.

Construit de façon rudimentaire, cet ingénieux système d'irrigation qui   rappelle en partie les foggaras du sud algérien, permet d'acheminer par   gravitation, l'eau de deux retenues dotées chacune d'une digue pour stocker   l'eau en hiver, vers des jardins potagers du village de 4.085 âmes.

La plus importante retenue est située dans la forêt qui surplombe Ath   Ouabane au lieudit Oulsous et l'autre, plus proche du village, appelée   Essed, se trouve à Timerdhemth. Une conduite principale part de ces   retenues puis se ramifie en canaux secondaires vers les jardins. 

Les connexions entre la conduite principale et les canaux secondaires, qui   arrosent les jardins, sont dotées de regards qui permettent d'ouvrir ou de   fermer, au moyen de chiffons ou autres objets, l'arrivée de l'eau. Un   planning de partage du précieux liquide est mis en place par les villageois   pour permettre à chaque agriculteur de bénéficier de sa part d'eau, a   indiqué à l'APS un membre du comité du village d'Ath Ouabane, Ibrahim   Mohand Ouali.  Le comité de village n'intervient pas pour faire respecter le planning de   répartition de l'eau, puisque c'est les propriétaires des jardins qui y   veillent. Une fois qu'un cultivateur, ou plutôt une cultivatrice, puisque   la culture maraichère à Ath Ouabane, comme partout en Kabylie, est une   activité exclusivement féminine, a reçu sont quota d'eau, sa voisine ferme   le regard qui alimente le jardin avec des chiffons, pour qu'elle puisse   recevoir l'eau à son tour.

Aucun incident dû au non respect de la répartition de l'eau n'a eu lieu ou   n'a été rapporté par nos anciens. Le programme d'irrigation, qui est très   ancien et que nous n'avons jamais modifié, garantit une dotation en eau en   fonction de la superficie de chaque jardin. Plus la parcelle est grande   plus la durée d'irrigation est prolongée, ainsi la répartition est   équitable et ne fait l'objet d'aucune contestation'', a témoigné M. Ouali.  ''Tiririt n'Trgwa'' ou le lâcher d'eau vers les jardins, se fait le   dernier vendredi du mois de mai de chaque année. L'évènement est une   occasion pour les villageois de faire la fête et de partager un repas entre   eux. Cette année, en raison du mois de Ramadan, l'ouverture de ce système   d'irrigation n'a eu lieu que le deuxième vendredi de juin, soit le 14 de ce   mois, a expliqué le membre du comité de village.

''Tafaska N'trgwa'' ou partage d'eau, une tradition qui célèbre la  vie

''Amane d'Imane'' (l'eau c'est la vie) dit un proverbe amazigh. A Ath   Ouabane ce vieil adage prend tout son sens, puisque piments, dont le   célèbre ''Ifelfel Aouavane'' (piment d'Ath Ouabane), spécifique à ce   village et réputé pour son goût exceptionnel, maïs, ails, oignons, tomates,   pommes de terre, ainsi qu'une riche variété de courges et d'haricots,   courgettes, fraises, cerises, figues, abricots poussent à profusion dans ce   village.

''Si nous n'avions pas d'eau et surtout ces canaux d'irrigation, qui sont   un legs précieux de nos aïeux, il n'y aurait pas autant de jardins dans le   village, et l'activité exigeante de maraichage aurait disparu depuis   longtemps'', ont soutenu de nombreux villageois rencontrés à l'occasion de   la traditionnelle fête de ''Tiririt n'Trgwa''.  L'irrigation des jardins qui coïncide avec l'arrivée de la saison chaude,   commence généralement vers le mois de juin dans ce village qui se   caractérise, en raison de sa position dans un ravin, par un microclimat. 

Les saisons sont décalées d'une vingtaine de jours, selon les agriculteurs   rencontrés sur place. La fête ou ''Timchret'' qui accompagne cet événement   agricole est une fête de partage et de joie, célébrée par des sacrifices   pour la pérennité de l'eau.

Le jour du lâcher d'eau d'irrigation, les villageois débutent leur journée   dès 5h du matin, a-t-on appris des habitants rencontrés au niveau du site   de déroulement des festivités, abritées par le mausolée du saint du   village, Si Mhand Ouamrane. ''Dès le lever du jour des hommes se rendent   aux deux barrages et retirent la digue faite de pierres et de troncs   d'arbres, qui empêche l'eau de couler dans les canaux d'irrigation, et   «Tigra» qui ont été préalablement nettoyés par des volontaires parmi les   villageois, reprennent vie jusqu'à l'arrivée des pluies'', ont expliqué MM.   Ibrahim et Ouabed Jugurta.

De leur côté, les femmes arrivent vers le lieu où se déroule Timchret,   chargées de mets traditionnels (couscous, beignets, petit lait, £ufs durs,   crêpes, thé, café, jus) qu'elles avaient préalablement préparé chez elles   pour les partager avec les villageois et les visiteurs qui sont bénis par   des sages du village installés sur une plate-forme qui domine le site. Et,   ceux qui le souhaitent peuvent faire des dons. 

Pour la fête de cette année, quatre veaux, dont deux achetés par le   village et deux autres offerts par des donateurs, ainsi que plusieurs   agneaux ont été sacrifiés. Les hommes se mobilisent pour faire des parts   équitables en s'assurant que chacun des habitants ait une quantité égale en   pièces nobles. Les abats sont aussi répartis alors que les têtes et pieds   des veaux sont vendus aux enchères. ''Le prix grimpe souvent et parfois il   atteint les 10 000 DA voir plus'', s'en amuse un jeune, ajoutant qu'il   s'agit pourtant la partie la moins noble du veau. L'argent de cette vente   aux enchères est versé dans la caisse du village, a indiqué pour sa part M.   Ibrahim.

Lors de Timchret, les hommes et les femmes mangent séparément, ce qui   offre à la gent féminine l'occasion de faire la fête à travers ''Ourar'' en   chantant et en dansant. 

 Rencontré lors de l'Ourar, Malika Ath Maamar, cultivatrice, a insisté sur   le fait que «cette fête de l'irrigation ne se résume pas au partage de   viande. Sa portée dépasse cet aspect puisque elle est organisée pour   apporté la Baraka (bénédiction) à notre village.

Aussi, ''jardiner permet de disposer de légumes frais et de réduire les   dépenses sur le budget familial, elle est aussi une activité qui nous   maintien en bonne santé physique et morale'', a-t-elle ajouté.  Farroudja, 50 ans, qui rentrait de son jardin portant sur son dos un   jerricane de lait frais, regrette que les jeunes filles d'aujourd'hui, qui   quittent le village pour étudier ou travailler, ne puissent pas assurer la   relève. '' Il n y a que des femmes de mon âge ou plus qui continuent à   faire vivre nos jardins qui font la réputation de notre village et pour   lesquels nous continuons de faire fonctionner notre système d'irrigation''.