Un criminel nommé Achiary

Publié par Par Amar Belkhodja le 10-06-2014, 14h51 | 424

« Dans l’enfer de Guelma, l’épouvante s’amplifie. Au nom de la République, à l’ombre de la bannière tricolore, la terreur s’instaura. Les exécutions collectives commencèrent au rythme rapide des mitrailleuses en action. Le sang musulman, un sang généreux, versé à flots pour l’honneur de la France et l’affranchissement de l’humanité, continua à couler pour le plus grand profit du plus grand reich colonialiste ». (Abdelkader Safir - Egalité du 29 septembre 1947).

Comme en Histoire, l’aspect juridique étant exclu, on ne peut évoquer ici la notion du fond et de la forme. La démarche est celle qui nous aide à comprendre les choses et interpréter les événements, mais au-delà de leur compréhension, rien, mais absolument rien n’autorise à justifier le crime, fut-il individuel ou  massif. Malheureusement, dans le cas de Sétif, Kherrata et plus particulièrement celui de Guelma, le crime devient licite. Alors il devient collectif.

La terre et les fosses communes n’ayant puy engloutir les centaines de cadavres, les miliciens vont recourir aux fours à chaux pour faire disparaître rapidement des corps sans vie trop encombrants. Marcel Reggui livre un témoigne émouvant sur cet horrible épisode qui consistait, sur injonction d’Achiary, d’utiliser les fours à chaux pour faire disparaître les corps des suppliciés : «C’est ainsi que ‘le four crématoire Lavie’ est devenu à jamais célèbre. Chaque matin et chaque soir, on empilait dans ce four à chaux les cors des fusillés.  Pendant dix jours, on brûla sans discontinuer.

L’odeur à la ronde était insupportable. Il suffit d’interroger les habitants de l’endroit. Ce fut l’épilogue de la tragédie guelmoise. C’est pour cette raison que nous n’avons jamais pu retrouver les corps de ma sœur et de mon frère cadet. Ils ont partagé le triste sort de leurs compagnons d’infortune. Ma sœur aura donc été la seule femme de Guelma qui ait été assassinée. Puissent toutes les femmes d’Algérie se souvenir d’elle et unir leurs prières aux nôtres pour le repos de cette âme indomptable, symbole de l’Algérie nouvelle». (M. Reggui- pp. 122, 128).

     Achiary et ses complices craignaient certainement que des charniers seraient découverts dans les environs immédiats de la ville si toutefois une enquête serait diligentée. Alors commença l’opération d’extrême urgence qui consistait à déterrer les cadavres et les faire incinérer dans les fours à chaux. Une méthode des plus horribles et des plus honteuses, destinée à effacer les preuves accablantes.

«Les cadavres des indigènes exécutés sont déterrés et les débris humains sont transportés par camions de la SIP et des Ponts et chaussée. Le transport est effectué avec l’aide de la gendarmerie de Guelma. Pendant la nuit, les restes de 500 indigènes ont été amenés au lieu-dit «Fontaine chaude» et brûlés dans un four à chaux avec les branches d’olivier par des prisonniers italiens». (Cité par Jean-Pierre Peyroulou - p.189).

     Achiary ne fut pas cet homme angoissé et inquiet du sort de la population française de Guelma. Il n’a pas agi pour le sauvetage de la communauté française de la menace d’ »arabes fanatiques ». Il appela avec haine et empressement au meurtre de ces algériens dont le seul tort fut le désir de commémorer la fête de  la victoire en déployant l’étendard national pour démontrer que les Algériens, eux aussi, se trouvaient sur le front antifasciste et avaient péri pour la liberté des autres, c’est-à- dire celle de leurs propres colonisateurs.

     Ni fond ni forme adoucissement du rôle néfaste e diabolique joué par André Achiary dans l’assassinat de milliers d’Algériens. Achiary était enclin à faire du mal aux Algériens. Il a bel et bien commis et conduit des assassinats contre l’élite lettrée de Guelma et de son avant-garde nationaliste.

Les charniers, par dizaines, par centaines, gardent encore leurs secrets, pour avoir englouti des milliers d’êtres humains, pourchassés, lynchés, terrorisés et humiliés par des sections de miliciens sanguinaires et autres soudards, pillards et détrousseurs de cadavres. Voilà la réalité des faits que nous, Algériens, n’avons pas pris la peine de ressusciter et de reconstituer pour permettre à l’Histoire de compiler les actes d’accusation, accablants et irréfutables.
     
Sus à l’arabe : la mort, l’horreur et l’humiliation

Le racisme, apanage du colonialisme, va donner lieu au déclenchement de massacres sans pitié, sans répit contre les populations algériennes désarmées. Le colonialisme n’a jamais fonctionné sans racisme. Il n’a jamais œuvre pour le rapprochement des races ni favorisé l’égalité entre les hommes.

L’arabe, le vaincu de 1830, sera la victime de ce sentiment malsain qu’est le racisme, manifesté par la horde conquérante de 1830, par les forces alliées (armée, milice) contre les «émeutiers» de mai 1945 et que nous allons déceler chez les troupes ramenées de France pour mater les insurgés de novembre 1954.
     

La haine de l’autre, colonisé de surcroît, justifie, en premier chef, et accentue les comportements inhumains, barbares, humiliants. Les populations de Guelmois, citadins et ruraux, vont effectivement subir tous les affronts et tous les abus, autorisés et encouragés par le sous-préfet André Achiary qui, par un tissu de mensonges - une ville soi-disant assiégée et menacée par les insurgés - va instaurer un climat de terreur et applaudir à tous les meurtres collectifs que commettra la milice constituée par ses soins qu’il excite et incite au génocide.

     La même situation a lieu à Sétif où « De véritables bandes armées se joignent, sans autorisation, à la milice et en profitent pour piller, voler et se venger. Des pelotons d’exécution sont organisés, des expéditions punitives vident les gourbis de leurs habitants. Des camps d’internement se remplissent par fournées et se vident pour des exécutions sommaires.

La nuit toute ombre qui bouche et ne possède pas le mort de passe est abattue. Même à Bordj-Bou-Arreridj, où aucune agitation n’avait été signalée, les milices fusillent tout « suspect ». (Claude Paillat - Le Guêpier - cité par Annie Rey-Goldzeiguer - p. 299).
     Le meurtre individuel ou collectif est généralisé. On assassine même dans les zones où les algériens n’avaient jamais commis aucun acte d’hostilité ou attaqué ou tué un colon. « Des miliciens sous les ordres d’Achiary et de l’administrateur de la commune mixte de Séfia, ont fusillé sept musulman à Villars et dont les corps ont été brûlés sur la place du village devant l’église ». (R. Vétillard - p.151).
     
Cour martiale et camions de la mort

Dès le 9 mai 1945, André Achiary est désormais le seul maître à bord. Toutes les décisions passent par lui. Il installe aussitôt un «comité de vigilance» pus une cour martiale, une sorte de tribunal d’exception composé de miliciens et va décréter la mise à mort de centaines Guelmois. «Cette garde civique composée de personnes non préparées, mal commandées, est à l’origine d’excès désormais connus et le tribunal de guerre qui siège sans désemparer perd tous sens de la mesure. (R. Vétillard -p.465).

Une véritable folie meurtrière s’emparer de ces éléments qui étalent sans limite sadisme et instincts barbares. Jubilation chez André Achiary qui laisse croire qu’il agit pour sauver les Français de Guelma de « ces milliers de fanatiques musulmans » qui encerclent la ville alors que les troubles en zones rurales avaient cessé dès le 13 mai.

«Donc par de complot arabe, comme le voudraient les Cuttoli, les Rucart et leurs émules, mais un mouvement spontané de foules venues aux  nouvelles et qui, devant un mince, très mince rideau de troupes, se retirèrent aux premiers coups de feu. Nous sommes loin, très loin de l’encerclement de Guelma et si cela était vrai, jamais M. Cuttoli, malgré sa verdeur et son haut courage, n’aurait pu, en automobile, s’il vous plaît, rentrer et sortir de la ville». (M. Reggui - p.84).

     Dans les zones rurales, l’armée française a tout l’air de poursuivre la guerre contre le nazisme, une manière de compenser la capitulation juin 1945 et faire montre d’un « héroïsme à bon marché », expression que nous empruntons au docteur Abdelaziz Khaldi et qu’il a utilisé dans un pamphlet publié au lendemain même des massacres et intitulé : «Le problème algérien devant la conscience démocratique.

En préambule de ce texte consacré aux crimes odieux perpétrés contre la population algérienne de Guelma, j’ai particulièrement insisté sur la nécessité absolue de dresser les portraits des grands criminels depuis les années de conquête jusqu’à la guerre de libération nationale, en passant évidemment par le martyrologe de mai 1945. Cependant si André Achiary doit figurer en tête du triste tableau, il est utile de consigner sur la liste d’autres noms afin que la postérité connaisse chaque criminel par son nom afin que la progéniture et descendants des assassins eux aussi sachent ce que leurs aïeux avaient commis comme forfait abominable. Cette identité et description sommaire des individus, nous les avons puisés de l’émouvant et remarquable témoignage de Marcel Reggui qui, comme Abdelkader Safir, a enquêté à chaud sur les tragiques événements de Guelma.

Commençons d’emblée par cette sordide et infâme cour martiale, très active dans les mises à mort. Présidée par le sous-préfet de Guelma, le sinistre tribunal était composé de :
-« Marcel Champ, esprit médiocre, arabophobe virulent (chef de la milice) ;
-Garrivet, affairiste notoire, ex-instituteur, élu maire et conseiller général après les événements par solidarité générale dans le mal, prétendument socialiste ;

-Cheylan Gabriel, secrétaire de l’union locale des syndicats (CGT), fut démissionné par l’union départementale sitôt que celle-ci apprit son rôle au comité de vigilance ;
- Trazzini, venimeux et sectaire ;
- Isselin, compromis sous Vichy, soucieux de sauver la situation ;
- Jan Alexandre, franc-maçon raciste (architecte géomètre et ancien légionnaire) ;
- Attali, israélite affairiste, avide de prendre la revanche d’août 1934 ;
- Taïr Mohamed, musulman boiteux, haineux, envieux, vil et avili » (Marcel Reggui - p.100).
    Ce comité de la mort qui sévira sans répit du 9 au 18 mai, aura à sa disposition dix-sept camions et taxis qui vont transporter les victimes vers les lieux du supplice. « Par groupes de quatre ou cinq, ou davantage, les musulmans ont été conduits à la mort comme des agneaux. On les tuait un peu partout, afin de pouvoir les enterrer facilement ». (M. Reggui - p.110).