Un criminel nommé Achiary

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 11-06-2014, 14h49 | 301

« Dans l’enfer de Guelma, l’épouvante s’amplifie. Au nom de la République, à l’ombre de la bannière tricolore, la terreur s’instaura. Les exécutions collectives commencèrent au rythme rapide des mitrailleuses en action. Le sang musulman, un sang généreux, versé à flots pour l’honneur de la France et l’affranchissement de l’humanité, continua à couler pour le plus grand profit du plus grand reich colonialiste ». (Abdelkader Safir - Egalité du 29 septembre 1947).

Assassinés pour le plaisir de leurs assassins. Car rien, absolument rien ne leur était reproché. Etre lettré, est le premier indice qui rendait coupables tous les algériens réputés en tant que tels. Les premiers suspects sont évidemment tous les guelmois détenteurs d’une carte AML. Or, ont sait que depuis 1944 jusqu’à la veille du déclenchement des événements, c’est-à-dire en moins d’une année seulement, le mouvement rassembleur de Ferhat Abbas a enregistré plus de cinq cent mille adhésions.

Autrement dit, tout détenteur d’une carte AML - mouvement qui activait en toute légalité - était considéré comme un « anti-français » notoire. Des centaines de jeunes guelmois étaient envoyés à la potence par le tribunal Achiary sans qu’on les accusa de quoi que ce soit, d’autant plus qu’après le 10 mai aucun européen ne fut ni agressé ni tué par les soi-disant insurgés ni à Guelma ni dans sa région. « Peut-on signaler un seul Européen qui ait été tué après l’ignoble massacre de douze Européens, les 9 et 10 mai ? Est-ce que les milliers de morts musulmans de la région n’avaient pas déjà vengé ces douze victimes ? Non : aucune excuse ne légitime des crimes accomplis de sang-froid sur des innocents (M.Reggui - pp. 117, 118).
     Président du tribunal d’exception, siégeant dans les locaux de la gendarmerie, André Achiary travaillait « d’arrache-pied » pour envoyer les algériens à la potence. Il ne quitta plus con bureau, sauf pour aller à la sous-préfecture rendre compte ou recevoir des instructions du deuxième André de Constantine (Lestrade - Carbonnel). Le sous-préfet passait ses nuits dans ce bureau. « Entre le 9 et le 18 mai 1945, la police, la gendarmerie et surtout la milice présentèrent 2.500 musulmans, selon l’adjudant-chef Cantais de la gendarmerie de Guelma, devant le tribunal de salut public ». (Jean-Pierre Peyroulou - p.136).

     Alors, s’il faut revenir aux tueries massives, des camions et divers véhicules légers furent réquisitionnés pour le transport des condamnés vers les lieux d’exécution. L’on va assister à des navettes infernales et interminables, des jours durant, de ces sinistres camions de la mort et de l’horreur entre la cour martiale et les lieux de l’exécution de la sentence qui se transforment en même temps en charniers.

     La cour martiale disposait donc d’un « camion tragique » (M.Reggui) dont la conduite était confiée à un algérien qui fut lu aussi exécuté. Un témoin gênant obligé par la milice d’assister à la série d’assassinats de ses propres frères. Il ne pouvait plus supporter ces scènes d’une ignoble lâcheté et, un jour, évacua avec puissance un long cri de détresse et de dégoût, signant ainsi sa propres condamnation à mort.

Un seul camion ne suffisait plus au transport des suppliciés, condamnés, non pas pour des actes - jamais commis - mais par une haine implacable et un sadisme d’un raffinement abominable. Voici un récit tragique jamais su avant la lecteur du procès fait par Marcel Reggui aux tueurs de Guelma : « Certains miliciens jugèrent plus « rigolo » de pendre les condamnés au pont de la Seybouse, sur la route de Bône, à 2,( km de la ville.

Puis, d’en bas, ils cherchaient à « faire mouche » sur les yeux, puis sur la bouche, puis le cœur, enfin les parties. Ce jeu occupait une heure de loisir et permettaient les plaisanteries les plus atroces. Les corps déchiquetés étaient laissés un ou deux jours. Puis on coupait les cordes et la rivière se chargeait de les charrier un peu plus loin ». (M.Reggui - p.114).
     Il fallait donc pour Achiary et ses complices recourir, comme pour les locaux de détention, à la réquisition d’autres véhicules, tellement les « suspects » sont devenus trop nombreux et encombrants. « Nuit et jour, dix-sept camions et taxis fonctionnaient entre les différentes prisons et les différents lieux de fusillades ». (M.Reggui - p.111).

     La « chasse à l’arabe » était désormais ouverte. Armée, gendarmerie, milice ne s’attardaient plus à trier le «  bon » du « mauvais » algérien. Les auciliaires de l’administration française n’avaient ni le temps ni les moyens pour prouver leur loyalisme à « la mère patrie ». On embarquait tout le monde sans exiger des états de services de ceux qui collaboraient avec les français, à l’exception, du moins pour Guelma, de ceux qui s’étaient engagés ouvertement dans la répression ; notamment  le psychiatre Smaïl Lakhdari (1), l’interprète de la sous-préfecture Fassi Abdelkrim,

(1)    »Des dizaines de musulmans doivent leur mort ou leur arrestation à la duplicité du docteur Lakhdari » (M.Reggui - p.109). Ou encore Dahel Mohamed Lakhdar, maquignon, conseiller général, ainsi que Täïr. Cependant, même à ce niveau, un auxiliaire, malgré son enrôelment dans la milice, Katteb, un musulman français, ne fut pas épargné. Etouffé par le remords, il s’interdit un jour de tuer ses propres frères. « Gervais se retourna vers lui et le tua net.

Puis, sadiquement, il fit venir Mme Katteb et son fils pour comptempler le corps du tardif repenti. Il ne les laissa pas longtemps pleurer le mort : de deux coups de feur, il abattit la mère et le fils ». (…) « La conséquence retentissante de cette très grave erreur, c’est d’avoir à jamis aboli l’idée d’assimilation. La qualité de Français accordée aux musulmans ne suffit pas à les préserver de l’inique ni de l’odieux : à Guelma elle n’a pas joué pour les sauver de la haine milicienne. Dans ces conditions, mieux vaut rester avec ses frères. Le salut n’est plus individuel, comme le supposait l’assimilation ; il est collectif comme le veut l’émancipation. » (M.Reggui - p.91).
     
Les assassins par leurs noms

Jusqu’en 1954 ; la presse nationaliste ne cessa de dénoncer les miliciens assassins en réclamant qu’ils soient jugés et condamnés. Tout le monde connaissait leurs noms et leurs fonctions. Malgré cette dénonciation pratiquement permanente, aucun des tueurs mis en cause ne fut inquiété.
     Les autorités colonialistes les couvraient honteusement. L’impunité était totale. Le scandale ne semblait aucunement troubler les consciences.

Il va sans dire que, ni les acteurs ni les victimes n’étant plus de ce monde, il ne reste à opposer au système qui a sévit et à ceux qui le représentaient ou tentent de l’incarner jsuq’à nos jours, une mauvaise conscience. C’est celle que brandira tout haut la grande dame qu’est l’Histoire. Et l(‘Histoire, ce juge qui traverse les siècles et les millénaires, jouit d’une notion que nous retrouvons que dans les religions, le droit et la politique : la prescription. Si les fautifs et les coupables profitent des avantages accordés par la prescription, celle-ci est incompatible avec l’écrit historique où l’évocation d’un événement qu’il soit ancien ou récent. L’histoire ne permet donc aucune prescription, quelle que soit la taille ou la gravité du tort commis.

     Ainsi, est-il nécessaire, dansle présent ouvrage, de consigner pour l’Histoire, l’identité des criminels dont les plus connus sont  cités dans deux témoignages poignants. Celui de Abdelkader Safir, reproduit intégralement en première partie de cette compilation et qui n’a jamais fait l’objet d’une publication. Le second c’est l’ouvrage de Marcel Reggui (Les massacres de Guelma) publié tardivement mais qui demeure aujourd’hui une pièce à conviction accablante.

     Dans cet enfer dans lequel on a engouffré la population guelmoise, les militants du mouvement national, tous courants confondus, sa jeunesse, le grand espoir de la nation algérienne, des miliciens ont surgi de leurs antres pour inscrire leurs noms dans le jeu malsain du génocide. Dans cette ignominie conjuguée et partagée par les tenants du crime, des noms méritent d’être repris et signalés. Les auteurs sont coupables d’actes indignes qui sont  en vérité un e grave atteinte au droit des humains : le droit à la vie.

     Tandis que la cour martiale d’André Achiary statuait sur ma mise à mort de la jeunesse guelmoise, d’autres groupes de miliciens allaient en « guerre » contre de paisibles habitants sans armes. Dans une ferme prsè d’Hélippolis, en l’absence des hommes qui s’étaient enfuis, les miliciens, Lucien Gerbaulet, Edmond Cheymol et Crépos vont se venger sans pitié sur les femmes et les enfants sur les lieux. »Ils enfermèrent les dix-sept femmes et enfants dans une écurie. Puis ils les fusillèrent et laissèrent leurs corps exposés pendants plusieurs jours ». M.Reggui -p.114).

     Les expéditions punitives se poursuivent tus les jours. La milice que l’armée française avait doté d’armement s’est lancée avec haine et fureur ddans le meurtre à l’encontre des populations, la veille dominées, exploitées et humiliées, puis le lendemain livrée au feu des mitraillettes. Sultana, colon à Bled-Gaffar, capturait des algériens qu’il ficelait chez lui, puis les obligeait, par divers moyens de contrainte, à coller leur bouche sur le canon de son arme.

Après quoi il ouvrait le feu qu’il accompagna d’une danse macabre. Cheymol et ses deux fils de Millisémo sont devenus tristement célèbres. Ils faisaient subir à leurs captifs les pires sévices avant de les achever lâchement. Plus de cinquante algériens ont péri sous la fureur du père et ses deux fils, haineux de l’arabe jusqu’à la folie et assoiffés de son sang. Le gardien de la prison civile, se targue, lui, d’avoir exécuté « cent dix-sept bicots ».