La grève générale des 8 jours 28 janvier - 4 février 1957

Publié par Par Amar Belkhodja le 05-01-2014, 15h08 | 1186

Les «frères de sueur» absents à l’appel  

L’UGTA s’est lancée résolument dans l’organisation de la grève général des huit jours. L’histoire de la guerre d’Algérie retiendra des points d’honneur à l’actif du FLN qui a été on ne peut plus clair sur la nature du combat des Algériens.

Un combat qui n’a une couleur ni raciale ni religieuse. La plate-forme de la Soummam issue du congrès du 20 août 1956 annonça avec clarté que le FLN ne conduit pas une guerre raciale (les Arabes contre les Français) ni une guerre confessionnelle (Les musulmans contre les chrétiens) mais une guerre qui vise la destruction d’un système que s’appelle colonialisme.

Il s’agit là d’un principe essentiel que nous retrouvons en permanence dans le discours politique et dans la doctrine de nationalisme algérien, tous courants confondus. En termes précis, les Algériens d’origine Européenne ou de confession autre que l’Islam, ont leur place en Algérie dès lors qu’ils prennent conscience que le système qui perdure depuis 1830 a entretenu sciemment le clivage entre les communautés en accordant les privilèges à une minorité au détriment de la majorité qui, historiquement parlant, est la propriétaire originelle et légitime du sol.

C’est dans cette optique que s’inscrit la démarche de l’UGTA qui lance un appel à l’attention des travailleurs d’origine européenne à s’allier à la causse de leurs « frères de sueur » en se solidarisant - dans l’ensemble ou en partie - à la grève générale des huit jours.

La tourmente dans laquelle se trouvait la communauté française d’Algérie et la féroce répression qui frappait les Algérien depuis l’insurrection de novembre 1954, semblaient avoir creusé et élargi le fossé entre les uns et autres.

Un simple échantillon qu’on décèle pendant la grève général démontre amplement l’état d’esprit qu’on retrouve, malheureusement, chez la majorité des Français d’Algérie, de même que chez les juifs algériens qui ne sont pas forcément d’origine européenne. Jugeons-en : « Dans les entreprises privées, le personnel Européen exerça un chantage sordide, menaçant de cesser le travail à son tour si des pénalités sévères n’étaient pas prises à l’encontre des ouvriers algériens grévistes ». (Résistance algérienne n° 20).

Néanmoins l’appel des travailleurs algériens à l’adresse de leurs camarades est foncièrement élogieux. L‘UGTA rédige dans ce sens un document de haute portée politique et d’une conscience fort avancée. Le document est intitulé :

« Lettre ouverte aux travailleurs algériens d’origine européenne ». L’appel tente de sensibiliser les travailleurs Européens aux de leur faire toucher du doigt tout le drame et tout l’avilissement dans lesquels se débattent les travailleurs Algériens, les laissés pour compte d’un système qui accorde des droits non pas dans l’égalité entre les bénéficiaires mais en fonction de leur appartenance ethnique, en favorisant bien sûr une minorité privilégiée par le système de domination. 

Dans cet appel des thèmes aussi percutants et aussi variés les uns que les autres se succèdent. Les rédacteurs, au fait des idées et des buts, annoncent déjà en préambule, la détermination du peuple algérien de poursuivre le combat armé jusqu’au recouvrement de l’indépendance : « Le colonialisme français set au bord du tombeau. Le Peuple Algérien uni donnera des coups plus durs dans cette dernière phase de combat qui sera plus âpre, plus cruel, plus décisif ».

(Résistance algérienne n° 20).Appel aux travailleurs Européens de prendre conscience de la détresse et des affres que subit le peuple Algérien depuis l’invasion de 1830, la « lettre » de l’UGTA est également un réquisitoire contre le système de domination et de discrimination. Le texte est d’une haute portée politique et humanitaire. Nous avons estimé le reproduire dans son intégralité en annexe.

Les thèmes et notions qu’il développe renseigne amplement sur l’esprit qui anime les Algériens alors qu’ils subissent les méfaits les plus ignobles d’une guerre qui leur est imposée, injuste et destructrice. Toutes les brimades et toutes les humiliations n’nt pas réussi à altérer leur sentiment de solidarité et de fraternité avec l’élément européen, un sentiment qu’ils ont toujours prêché et qu’ils continuent de prêcher même s’ils sont en état de guerre.

La « lettre » de l’UGTA doit nécessairement figurer parmi les textes les plus significatifs de la guerre d’indépendance parce qu’elle affranchit sur les vertus unitaires et sur la noblesse d’un sentiment d’un véritable rassemblement contre un colonialisme qui « décivilise aussi bien le colonisé que le colonisateur » selon cette puissante affirmation que nous a légué le grand poète antillais Aimé Césaire.

L’UGTA dans un ultime - certainement appel à la solidarité de l’élément européen, peu importe sa nationalité d’origine ou sa confession souligne ! « Comme tous les ouvriers conscients, nous sommes des démocrates. Nous n’accepterons jamais de vivre sus un régime féodal, monarchique ou théocratique. Nous aussi nous voulons la liberté et le progrès social dans une république moderne où tous les citoyens seront véritablement égaux sans discrimination ethnique, linguistique ou confessionnelle ».

Ce sont là des principes déjà énoncés et annoncés  par le congrès de la Soummam dans sa plate-forme politique. La notion de la race comme d’ailleurs celle de la religion sont écartées. Une démarche sincère qui place la générosité du côté des Algériens qui acceptent de partager leur patrie avec les autres, une masse importante de salariés à la seule condition que ces « autres » acceptent de se rallier à la cause des opprimés qui sont la majorité et remettent en cause la politique des cent seigneurs :

« Votre intérêt n’est pas de défendre le coffre-fort de M. Borgeaud, gros colon qui surexploite les ouvriers agricoles o 400 frs par jour, gros patron de la maison Bastos qui exploite les cigarières, gros actionnaire de la firme de tissus en gros et fabriquant de mensonges de L Dépêche quotidienne. 
L’UGTA termine sa « lettre » par un appel à la grève générale en espérant lui faire rallier les travailleurs d’origine européenne : »

N’hésitez pas à participer avec ardeur à la grève générale de huit jours qui sera engagée pour le soutien efficace de la résolution adressée par le conseil exécutif de la CISL, l’Internationale syndicale libre, à tous les membres de l’ONU, afin d’arrêter la salle guerre coloniale par la négociation rapide, d’un cessez-le-feu avec le Front de Libération Nationale (…) N’hésitez plus à proclamer votre option délibérée pour la Nationalité algérienne. Ce faisant vous ferez honneur à votre dignité d’homme, de travailleur et d’Algérien ». (Résistance algérienne n° 20).

Encore une fois, le colonialisme eut raison de la loyauté et la bonne foi des Algériens. L’appel de l’UGTA n’a pas conquis le moindre écho. Non seulement aucun travailleur Européen n’a estimé répondre présent à un moment crucial de l’histoire mais le plus déconcertant encore, les familles de travailleurs ont accouru pour piller les magasins défoncés par les parachutistes. Ainsi, l’élément Européen, même s’il occupe le plus bas échelon de la hiérarchie sociale ou professionnelle, il manifeste, sans remords et sans scrupule, son appartenance à un système qui fait de lui, sans qu’il soit un nanti, un conquérant, un vainqueur.

Une situation et un état qui le grise et qui engendre chez lui, un sentiment de supériorité sur un autre être humain, privé, lui, de se droits, de ses biens, de sa dignité et de sa patrie. Comment donc ne pas expliquer les raisons de l’appel aux armes un certains 1er novembre 1954 ? Malgré tout ce que les autorités coloniales aient pu produire comme discours et littérature de propagande, selon lesquels le FLN avait échoué dans sn appel à la grève général, l’opinion internationale n’était pas dupe.

Malgré toutes els restrictions et les pressions, les journalistes étrangers ont pu informer l’opinion sur le climat d’une paralysie de presque tous les secteurs d’activité mais également des moyens répressifs utilisés par Massu et ses hommes pour tenter de briser la grève. « L’ardeur de ceux qui voulaient établir un mur de silence entre l’Algérie et le reste du monde les poussa jusqu’à molester les représentants de la presse étrangère qui fixaient certaines images de « l’opération rideau de fer ».

Ainsi un journaliste de la télévision américaine, qui voyait ses appareils  pris et ses films détruits, fut emprisonné pendant toute la durée de l’opération saccage ». (Résistance algérienne n° 20).
Jusqu’au huitième jour de grève, les quartiers « arabe » d’Alger présentent un décor d’une mise à sac massive remportée » par  parachutistes de Massu qui avait choisi de troquer les armes à feu contre les haches et les maillets.

« Jusqu’au huitième jour, les portes béantes laisseront apparaître, ici le décor d’un café saccagé, là des sacs de marchandises éventrés, plus loin des stocks de tissus multicolores, ce qui fit la joie des ménagères européennes. Et jusqu’au huitième jour, les « braves bérets rouges » iront mitraillettes au poing tirer de leur lit les travailleurs algériens pour les conduire à leur emploi ». (Résistance algérienne n° 20).

A l’étranger, les échos font état d’une réussite de la grève malgré la répression et les forces et moyens mis en mouvement par les autorités politiques et militaires pour la briser. Mouvement soutenu comme à l’accoutumée et pendant toute la guerre, par une propagande manifestement et effrontément mensongère.

Résistance algérienne qui raconte avec clarté et précision tous les événements qui avaient jalonné la grève, rapporte des extraits de réactions de par le monde, à travers des articles de presse étrangère consacrés à la grève générale qui marque une grande étape dans le résistance du peuple algérien contre les envahisseurs de 1830.