Le Sersou, le drapeau à la main

Publié par Par Amar Belkhodja le 06-01-2015, 20h02 | 318

La jeunesse tiarétie n’est pas restée insensible au mouvement des manifestations de rues de Ain Témouchent, d’Oran et d’Alger de décembre 1960. Au lendemain de ces déflagrations populaires réprimées dans le sang, les militants des réseaux urbains FLN de la ville de Tiaret se concertent pour organiser des manifestations de rues qui semblaient faire tache d’huile.

«L’état d’esprit, qui s’est révélé à Oran et Alger au sein des populations musulmanes en décembre, gagne progressivement l’arrière-pays : il s’est dévoilé dans certains centres de la zone Est oranaise et peut s’étendre à la plupart des agglomérations et aux communes rurales insuffisamment tenues par les forces de l’ordre» révèlent les autorités militaires de Tiaret dans les compte-rendus au lendemain des manifestations populaires qui eurent lieu dans plusieurs centres de l’ancien département de Tiaret le 8 janvier 1961.

Reportées d’une semaine à l’autre, une date fut finalement retenue. Rendez-vous fut pris pour le 8 janvier 1961, moins d’un mois après les héroïques sorties de rues dans l’Ouest et le Centre de pays.
Cette date fut délibérément choisie.

Elle coïncidait avec l’organisation d’un référendum sur le oui ou le non à l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination. Le mot d’ordre fut donné de boycotter les urnes dans plusieurs centres.

Les journées des 7, 8 et 9 janvier 1961 se sont traduites par de violentes manifestations dont les plus sanglantes sont localisées à Tiaret (2 morts), Gueltet Sidi – Saad (11 morts) et Sougueur  (11morts). Il y eut également une centaine d’arrestations.

La répression commence à Gueltet – Sidi – Saad, dans la région d’Aflou, où l’armée française tire à bout portant sur les nomades désarmés qui refusent de voter et qui s’étaient regroupés pour scander « Tahia El Djazair ».

Concentrés dans un centre sévèrement contrôlé, les nomades ont bravé les armes à feu à coups de matraques et armes blanches. 11 morts parmi les nomades dont deux jumeaux et 1 mort et 5 blessés parmi les soldats français.

Le même scénario sanglant à lieu à la même date à Sidi Abderrahmane au sud de Frenda où un officier de l’armée française tente de faire voter de force les habitants de cette bourgade pré-steppique. Opposition systématique des habitants qui se rassemblent et lancent les cris de « Tahia El Djazair ».

Une femme lance des pierres en direction des soldats. Riposte par les armes à feu : deux femmes et un homme s’écroulent.

Le lendemain 8 janvier 1961, c’était un dimanche, c’est dans les zones urbaines que des événements analogues se produisent.

A Sougueur, aux premières heures de la matinée, femmes et hommes engagent une marche. De larges emblèmes nationaux sont déployés par des jeunes Sougueris. A la sortie de la ville, un cordon de gendarmes et de soldats français fait barrage aux marcheurs qui scandent divers slogans patriotiques. 

Les manifestants refusent de se disperser et les porteurs de drapeaux ne cèdent pas leurs emblèmes que les gendarmes tentent de les leur arracher. Des mitraillettes crépitent. 11 jeunes Algériens s’affaissent. Ils sont morts le drapeau algérien à la main. C’est au même moment que la ville de Tiaret se trouve en pleine effervescence.

Des milliers de jeunes garçons et de jeunes filles parcourent les principales artères de la cité aux cris de « Tahia El Djazair ».

Des groupes qui marchent derrière les couleurs nationales, renversent et brûlent des véhiculent et saccagent des magasins appartenant aux Français d’Algérie.

La presse coloniale rapportera qu’en « plusieurs points, des groupes constitués presque exclusivement de très jeunes musulmans et cris hostiles aux lèvres, parcouraient les principales artères de la ville, débordant par moment le service d’ordre qui tenait vainement d’apaiser les jeunes émeutiers » (L’écho d’Oran du 9 janvier 1961).

Pour sa part, l’autorité française tente d’expliquer les causes des manifestations de rues en soulignant, entre autres, «les mobiles des manifestants sont divers : rancune à l’encontre des Européens d’Algérie, d’Oran et de Bône et volonté de prouver que la jeunesse tiarétie est au diapason de celle des grandes villes», en poursuivant que dans les manifestations populaires « les jeunes de 18 ans à 25 ans jouent un rôle moteur.

En majorité désœuvrés, donc disponibles pour la violence, passionnés et exclusifs, inconscients des risques, portés par une culture naissance vers la discussion politique, ils constituent une réserve de meneurs et d’agitateurs».

Les jeunes Tiarétis ont brûlé 31 véhicules et saccagé 44 locaux commerciaux sans dérober quoi que ce soit dans les rues Clauzel ( Résistance), Bugeaud( Emir Abdelkader) Kléber ( Hamdani Adda), Cambon ( Victoire),Révolution, Beauprêtre ( Arbaoui), Diar El Hana, route des fermes, Bd Victor Hugo ( Bouabdelli), Clémenceau ( Ben Badis), Kronstadt ( Hamdi Ghali°, Albert – Soler (Libération), Thiers (Ali Benkhettou).

La répression est violente. Toutes les forces sont mises en branle pour neutraliser les jeunes manifestants : « Commandos de chasse, harkis, GMS (Groupes Mobiles de Sécurité), police et les troupes de la 4e DIM (Division Infanterie Motorisée) occupaient les points névralgiques de la ville qui était surveillée par des hélicoptères et des avions d’observation » (L’Écho d’Oran - 9 Janvier 1961).
Des accrochages ont lieu à la rue Clauzel. Un jeune Tiaréti, qui refuse de céder le drapeau, est abattu à bout portant.

Il est 10 heures environ. Vers 14 heures, des mitrailleuses crépitent de la terrasse de l’école Marie-Curie à partir d’un hélicoptère. Un deuxième manifestant est tué rue des marchés. D’autres jeunes restent collés au sol, touchés grièvement.

Des véhicules militaires et fourgons de police poursuivent les manifestants dans une course effrénée. Aculés dans les quartiers populaires, la population algérienne se donne un répit en fin d’après – midi. Le lendemain 9 janvier 1961, un lundi la jeunesse tiarétie sort de nouveau dans la rue. Plusieurs heurts ont lieu avec les forces répressives.

Les manifestations populaires de la ville de Tiaret se soldent par plusieurs arrestations. Des peines de prison sont écopées par les jeunes émeutiers.

Plus loin dans la steppe, à Zridib (El –Abiodh Sidi Cheikh), les nomades, qui refusent de voter, sont réprimés sans pitié. Comme ils le firent à Gueltet – Sidi Saad, les Français tirent à bout portant sur les nomades désarmés du camp de regroupement de Zridib, entouré de barbelés. Deux jeunes femmes et 8 hommes sont tués.

Ces événements méconnus n’ont jamais été célébrés officiellement. Les différentes instances n’en parlent même pas. Ils sombrent effroyablement dans les oubliettes parce que personne ne prend la peine de les évoquer et de rendre hommage à un peuple héroïque. C’est ce mépris de l’histoire qui nous coûte aujourd’hui tant de drames et tant de tourments.

Nous sommes indignés de constater que, dans une même patrie, il subsiste des martyrs de seconde zone, du deuxième collège. A Tiaret, on refuse effrontément de faire baptiser un lieu au nom de «Manifestations du 8 Janvier 1961» en vue d’honorer la mémoire de celles et de ceux qui ont accepté de braver les balles françaises pour le triomphe de la liberté.

Les martyrs de Zridib (El Abiodh Sidi Cheikh), de Sidi Abderrahmane (Frenda), de Gueltet-Sidi-Saad(Aflou), de Sougueur et de Tiaret sont – ils les orphelins de l’histoire, les laissés- pour-compte de la résistance algérienne?

Un silence déplorable se fait autour de la lutte populaire et du sacrifice noble et vertueux de nos femmes, de nos enfants, en un mot de notre peuple demeuré hostile à toutes les formes d’injustice.