Histoire

Aissat Idir 1915 - 1959 : La conscience du syndicalisme algérien

Publié par DK News le 14-03-2015, 17h23 | 625
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Aïssat Idir est mort comme il a vécu, au service des déshérités, des gueux, des miséreux. Il est mort au service de sa patrie. Il est mort pour que vive l’Algérie libre, indépendante, démocratique et sociale.

(L’Ouvrier algérien - Numéro spécial, août 1959).Il aurait fallu que l’insurrection de novembre 1954 vienne trancher. Les bombes que fit exploser André Achiary au siège de l’Ugta (juin 1956) et à la rue de Thème (Casbah d’Alger août 1956) va davantage creuser le fossé entre les deux communautés.

La majorité des effectifs européens du PCA rejoindra le camp naturel auquel elle appartenait de par l’origine et l’histoire du peuplement. Seule une infime minorité s’en est allée se battre contre le régime de l’exploitation et du racisme.

Par contre, le courant nationaliste (PPA-MTLD), ou du moins les éléments qui animaient la commission centrale des affaires sociales et syndicales, étaient conscients que seul le caractère national était capable d’aller plus loin dans la revendication.

Le même esprit prévalait d’ailleurs dans le mouvement estudiantin qui tenait à son ‘M’ dans le sigle qui consacra la création de l’Ugema en 1955, non pas par souci d’appartenance à une confession mais beaucoup plus pour une distinction d’une identité nationale puisqu’algérien pouvait être une revendication commune, seulement pour une minorité européenne consciente de cette revendication en rejetant sans marchandage aucun le système colonialiste.

Dans les rangs de la CGT, on prenait acte que la commission centrale du PPA-MTLD, confiée à Aïssat Idir, commençait à prendre en main les préoccupations des travailleurs algériens et coordonnait et orientait leurs luttes mêmes s’ils étaient affiliés à la CGT.
Toutefois si les cadres militants du PPA-MTLD étaient conscients que nationalisme et syndicalisme étaient indissociables, ils savaient du moins que le mouvement ouvrier avait ses particularités, se spécificités. Critères qui laissaient une bonne marge d’indépendance par rapport aux structures inhérentes au Parti.

Il était dans la nature des choses que le mouvement ouvrier, dès lors qu’il acquiert sa nationalité propre, ne pouvait pas ne pas militer pour et dans le mouvement nationaliste, en lui fournissant des cadres aguerris, compétents, disciplinés, rompus aux méthodes de luttes et aux capacités d’organisation.

Et si on se donne la peine de bien observer les choses, on trouve beaucoup plus de qualités chez un militant syndicaliste que chez un élément ordinaire d’une structure de base du parti. Les succès des mouvements de grève, par exemple, sont garantis et assurés que s’ils sont encadrés par des syndicalistes même s’il arrive qu’un mouvement soit initié par le mouvement politique.

L’expérience tunisienne a amplement et concrètement démontré que le combat syndical est un combat particulier avec ses propres méthodes. Toutefois son détachement et son indépendance des structures syndicales « étrangères », la CGT notamment, prouvera que le mouvement ouvrier national est plus libre et plus apte à servir le mouvement nationaliste, tout en entretenant ce désir de continuer à être indépendant de toute tutelle d’une autorité politique.

C’est d’ailleurs ce qui explique le départ  de l’Ugta- après 1962 - de plusieurs cadres et fondateurs de la centrale. Ils avaient refusé de se mettre au garde-à-vous devant les nouveaux chefs de l’Algérie.
Aïssat Idir était lui aussi un fervent défenseur de cette indépendance. Il fut convaincu par Abane Ramdane que dans un état de guerre pour l’indépendance, il était malaisé de tolérer des autonomies, par rapport à une seule bannière, celle du FLN.

En l’année 1954, la situation passe rapidement d’un cran à un autre. La CGT décide de changer de stratégie dans l’espoir d’atténuer les distorsions avec le courant nationaliste qui n’est pas très satisfait des résultats des luttes sous l’égide de la CGT. Cette dernière se convertit sous une autre étiquette : l’Ugsa (Union générale des syndicats d’Algérie).

Ceci en prévention qu’un jour une autre centrale   - purement nationale - qui se projette à l’horizon, ne lui rafle le gros de ses troupes. Une démarche analogue eut lieu entre d’autres lieux et en d’autres temps.

C’est une situation que j’évoque dans le chapitre consacré au syndicalisme tunisien. En effet, pour saper l’engouement manifesté à l’égard de l’Ugtt, fondée par Ferhat Hached, et le départ massif des travailleurs vers la nouvelle centrale, la CGT ne trouve pas mieux que de se convertir en optant pour un nouveau sigle : Ustt -Union syndicale des travailleurs de Tunisie).

Le même scénario se déroule en Algérie mais le rêve de stopper l’hémorragie s’estompe. L’insurrection du 1er novembre 1954 va bouleverser toutes les données. Qui est avec qui ? Qui est contre qui ? La décantation se chargera de clarifier la situation.

Le MNA de Messali Hadj entre en scène lui aussi et tente, sans répit, d’avoir l’ascendance et l’autorité sur le monde du travail, convaincu du succès qu’il espère remporter en France où les travailleurs algériens sont trop attachés à Messali depuis la légendaire ENA (Etoile nord-africaine).

Cependant on semble compter sans Abane Ramdane qui, organisateur hors pair, prend sérieusement les choses en mains dès qu’il est mis en liberté après cinq années de dure captivité. La révolte vient tout juste d’éclater.

Abane ne prend pas le train en marche. Il en devient le chef mécanicien qui produit de nouvelles énergies pour permettre à la locomotive d’aller plus vite et plus loin et en précisant davantage les détails dans la conduite de ce train, détails qu’on découvrira sur les tablettes du Congrès de la Soummam en août 1956.

Sur injonction de Aïssat Idir, Abane décide qu’il faut aller vite en besogne, torpiller les loyalistes de Messali et faire échec à leur projet d’affilier l’ensemble des travailleurs au sien de la centrale nouvellement créée en février 1956 : l’Usta (Union syndicale des travailleurs algériens).

A Bruxelles, c’est le défilé devant le portail de la Cisl (Confédération internationale des syndicats libres). Boualem Bourouiba entre à Alger les mains vides. On lui dit à Bruxelles qu’il faut d’abord  créer une centrale syndicale et discuter ensuite de son affiliation.

Alors ce n’est plus une question de jours mais d’heures. Le 17 février 1956, Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda tiennent une réunion expresse au domicile de Boualem Bourouiba, le médiateur entré bredouille de Bruxelles. La date de naissance de l’UGTA est décidée chez lui.

L’Ugta : naissance et décapitation

Le Congrès eut lieu le 24 février 1956, place Lavigerie, dans l’ancien siège de l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien). Une centaine de représentants des travailleurs ont participé à cette rencontre historique. Le premier secrétariat est né. Il comprend Aïssat Idir - coordinateur - et Benaïssa Attallah, Bourouiba Boualem, Djermane Rabah et Ali Yahia Madjid. Les statuts sont adoptés et déposés à la préfecture d’Alger pour agrément.

L’Ugta ne tarde pas à adopter les mêmes orientations politiques du FLN et à prendre des décisions à l’égard des autres formations. A savoir le renoncement à l’appartenance d’origine et l’adhésion à titre individuel. C’était là un principe sur lequel Abane Ramdane ne reculera jamais malgré les tergiversations des communistes qui ne tenaient pas tellement à couper le cordon ombilical qui les liait à la matrice première.

Aïssat Idir, lui non plus, ne lésine pas sur le principe et considère que le moment était  venu - pour tous - de soutenir qu’il ne saurait exister d’autre mouvement syndical que celui qui vient de naître : l’Ugta. La nouvelle centrale est née dans un état de guerre et c’est celui-ci qui lui accorde toutes les légitimités d’incarner un syndicat spécifiquement national - d’abord - mais ouvert à l’ensemble des travailleurs quelle que soit leur race ou leur  confession. Comme Abane Ramdane, Aïssat Idir était intraitable :

«L’organisation nationale existe, c’est l’Ugta. Il est du devoir de dissoudre l’UGSA-CGT qui n’a plus sa raison d’être et de rejoindre l’Ugta, ouverte à tous les travailleurs sans distinction aucune ». (Lettre de AÏssat Idir adressée à la CGT -  l’Ouvrier algérien du 6 avril 1956 - Cité par Mohamed Farès dans Aïssat Idir).

« Qu’importe la race ou la confession» est une notion présente dans tous les discours des courants nationalistes (PPA-MTLD, UDMA) et qu’on retrouve également chez l’Association des Oulémas (organisation qui regroupe des hommes du culte musulman) qui n’a jamais manifesté un sentiment raciste à l’égard des juifs et des chrétiens d’Algérie.

S’il y avait discrimination, elle venait de l’autre bord. Elle était alimentée et entretenue par le colonialisme, certes, mais acceptée, quoi qu’on dise, par  la majorité des Européens d’Algérie. Ce sont là des vérités historiques qui plaident pour l’esprit de tolérance connu chez le peuple algérien que viendra, hélas, polluer, bien plus tard, un courant xénophobe, instauré par un islamisme politique qui rendit de très mauvais services à l’Islam, selon le mot de Roger Garaudy.

La naissance de l’UGTA consacrée, c’est l’engouement. C’est une véritable traînée de poudre. Des demandes d’adhésions affluent de partout. Une nouvelle démarche est initiée en direction la CISL qui accepte, le 2 juillet 1956, la candidature de la nouvelle centrale algérienne.

A suivre

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