Massacres du 8 mai 1945 : La marche de la fidélité, point fort de la commémoration officielle

Publié par DK News le 06-05-2015, 17h36 | 331

La marche de la fidélité, qui verra des milliers de personnes parcourir, vendredi à Sétif, le même itinéraire que la procession pacifique réprimée dans le sang le 8 mai 1945, sera le point fort de la commémoration officielle du 70e anniversaire de ces évènements sanglants qui firent 45.000 victimes en Algérie.

Cette marche, organisée par des militants du mouvement national pour dire la détermination des Algériens à se défaire du joug du colonialisme, avait été sauvagement punie par les forces et les milices coloniales qui commencèrent par assassiner le jeune Bouzid Saâl avant de déployer leur machine de guerre à Sétif, à Kherrata et à Guelma, tuant, torturant et mettant le feu à des villages entiers dans une horreur indescriptible.

Vendredi à Sétif, qui abritera les cérémonies officielles commémorant le 70ème anniversaire du 8-Mai 1945, le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, les autorités locales et de nombreux invités s’associeront aux milliers de Sétifiens qui, comme chaque année, marcheront pour la Mémoire et par fidélité aux dizaines de milliers de martyrs de cette boucherie dictée par volonté d’anéantir toute velléité de révolte d’un peuple spolié et bafoué de ses droits.

La commémoration de cette date donnera lieu, à Sétif, à de riches activités sportives, culturelles, économiques et de mémoire parmi lesquelles une cérémonie de recueillement au vieux cimetière de Sidi-Saïd, au centre-ville, où l’administration française avait creusé une fosse commune pour y jeter sans ménagement des dizaines d’Algériens.

Un salon méditerranéen d’arts plastiques, un salon national du livre, des concours de dessins pour enfants, un salon national des jeunes créatifs, un semi-marathon baptisé du nom de Bouzid-Saâl, des tournois sportifs (boxe et boulisme), des projections de films révolutionnaires, des hommages à plusieurs figures historiques et plusieurs spectacles artistiques sont quelques unes des autres manifestations qu’abritera la capitale des Hauts plateaux à l’occasion de cette commémoration qui sera ponctuée par le colloque international sur les massacres du 8 mai 1945.

Il y a 70 ans, les massacres du 8 mai 1945

Il y a soixante-dix ans, la France coloniale opposait, dans le Constantinois, une répression sanglante à des milliers d'Algériens qui manifestaient pacifiquement leur désir de se libérer du joug colonial.
Au moment où la victoire sur le nazisme laissait exalter joie et passion de l'autre coté de la méditerranée, les forces coloniales, appuyées par des colons armés, s'étaient illustrées par des opérations d'une extrême brutalité.

A Sétif, Guelma et Kherrata, la répression coloniale a fait 45.000 morts, selon des témoignages repris par des historiens.Aux rassemblements organisés dans différentes villes de l'est du pays, au cours desquels était brandi le drapeau algérien, les forces coloniales répondaient par une campagne féroce qui durera six longues semaines.

Les témoignages font état d'un nombre impressionnant de militaires déployés dans les villes, les villages et les mechtas. L'entrée en action de l'aviation et de la marine, renseignait sur la férocité de la répression, indiquent-ils. Même les montagnes où se réfugiaient les survivants étaient passés au peigne fin par les forces coloniales qui décrètent couvre- feu et loi martiale.

Selon des historiens, l'objectif de cette répression était d'étouffer la volonté de s'affranchir du colonialisme, au nom du principe sacro-saint du droit des peuples à disposer d'eux mêmes. Elle visait également à tuer l'espoir d'émancipation du peuple, né de la victoire sur le nazisme pour laquelle un grand nombre d'Algériens s'étaient sacrifiés.


Amoucha la rebelle

Les habitants d’Amoucha, près de Sétif, la poignée d’intellectuels qui en est issue, de même que ses moudjahidine ne ratent jamais une occasion pour rappeler que leur ville fut aussi un haut lieu de la résistance des Algériens contre la barbarie des forces françaises, le 8 mai 1945.Le Dr Lehlali Issaâd, professeur à l’université Lamine-Debaghine (Sétif-2) s’emploie méthodiquement, avec patience et détermination, à multiplier les recherches sur cet épisode sanglant de l’histoire de son pays et d’Amoucha, sa petite ville natale devenue aujourd’hui un important chef-lieu de daïra de 30.000 habitants.

Pour cet historien, la localité d’Amoucha fut la seconde agglomération, juste après Sétif, à subir les affres de la cruauté, voire de la bestialité de l’armée française et des milices formées par les riches colons de cette région, terrorisés à l’idée de perdre les terres qu’ils avaient spoliées.

Il était midi, dit-il, citant des témoignages recueillis sur plusieurs années auprès de citoyens qui avaient vécu ces évènements, lorsque Mabrouk Diafat, alias El Adouani, chauffeur de taxi de son état, déboula à l’entrée d’Amoucha, au volant de sa voiture, hurlant frénétiquement, dans un état proche de l’exaltation, «Ya l’khaoua raï nadhet fi Stif !’’ (les frères, c’est le soulèvement à Sétif !).

«Il ne s’était même pas rendu compte que la jante d’une des roues de sa voiture, crevée depuis longtemps, produisait un feu d’artifice d’étincelles», renchérit le vieux Tayeb Chetibi, 91 ans, un des rares acteurs de ces évènements qui datent de 70 ans.

«Mon père qui venait de participer à la marche de Sétif, a été abattu et son cadavre jeté quelque part  à la sortie de la ville. Je l’ai trouvé et transporté à dos d’âne jusqu’à Takitount (Tizi N’bechar) où je l’ai enterré», se souvient le vieil homme qui fut ensuite arrêté et condamné à 10 ans de travaux forcés après que sa maison a été brûlée. Il passera trois années au camp d’internement de Berrouaghia.

Il est des faits que Tayeb Chetibi ne peut oublier. Comment le pourrait-il: «avant ma condamnation, les français nous ont regroupés, huit de mes camarades et moi-même, dans un endroit proche d’Amoucha. Là, ils remplirent d’eau un fût de 200 litres où ils mirent du sel jusqu’à saturation avant d’y verser plusieurs litres de mazout. Ils nous obligèrent à boire de ce mélange, ce qui nous causa d’atroces douleurs abdominales», dit-il en serrant les poings.

Ses huit compagnons furent fusillés, tandis que Tayeb, soupçonné de faire partie d’une famille de «rebelles» parce son père avait marché à Sétif, subissait d’affreuses tortures.Dans la seule après-midi de mardi 8 mai 1945, soixante-treize (73) personnes furent froidement abattues, qui par des policiers ou des gendarmes français, qui par des milices de colons : 36 à Amoucha, 22 à Tizi N’bechar et 15 à Oued El Bared, affirme Soufiane Loucif, historien résidant à Amoucha.

Intarissables lorsqu’il s’agit d’évoquer le 8 mai 1945 et les jours qui suivirent à Amoucha et ses environs, Soufiane Loucif, Lehlali Issaâd, Tayeb Chetibi et plusieurs autres citoyens parmi lesquels Ahmed Sayah et Hocine Brahimi, affirment que le chahid Larbi Tichi fut le tout premier martyr de ces évènements dans cette région du nord de Sétif. Un martyr que rejoindront, ce jour-là et les semaines suivantes, 45.000 autres, victimes des bombes, des obus de mortier, de l’aviation militaire et des innommables enfumages de villages entiers, à Sétif, à Kherrata, à Guelma et ailleurs.

Pour illustrer le caractère inhumain de l’administration coloniale, l’historien Soufiane Loucif insiste pour rapporter, sur la foi de témoignages, qu’Abdelkader Benallègue, leader actif du mouvement national dans la région d’Amoucha, fut tué de plusieurs balles pour avoir «titillé la fibre patriotique des indigènes». Son cadavre ne fut même pas inhumé, ses assassins s’étant contentés de le jeter au bas d’un pont. Ses ossements ne furent découverts que plusieurs mois après.

Le sacrifice d’Abdelkader Benallègue, tué en même temps que son frère Rabie, et des 45.000 autres victimes des massacres du 8 mai 1945, ne sera pas vain. Le 1er novembre 1954 en administrera la preuve cinglante, conclut Loucif.

Une des plus sombres pages du colonialisme

La France coloniale, analysent ces historiens, venait ainsi d'écrire une des plus sombres pages de sa colonisation en Algérie en même temps qu'elle achevait de convaincre les acteurs du mouvement national de la nécessité de la lutte armée. Il est utile de souligner qu'un long silence avait été imposé à ces événements du coté français avant que l'ancien ambassadeur, Hubert colin de Verdière, les qualifie, en février 2005, de «tragédie inexcusable». Trois ans plus tard, son successeur, Bernard Bajolet déclare que ces massacres «sont une insulte aux principes fondateurs de la République française».

En visite à Alger en décembre 2012, le président Hollande, au nom du «devoir de vérité» , fait-il observer, reconnaît les «souffrances infligées par la colonisation» et cite «les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata». Dans la même optique, le secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants et de la mémoire,  M. Todeschini déposait , il y a trois semaines à Sétif, une gerbe au mausolée de la première victime de ces événements. Un geste qu'il qualifie de «fort» et «concret» et que le ministre des moudjahidines,Tayeb Zitouni juge «appréciable» mais «insuffisant» .

Dire la «vérité sur la guerre d'Algérie» n'inclut pas, aux yeux de la France officielle, une quelconque reconnaissance des crimes perpétrés en Algérie, relèvent des historiens.Enfin, l'Algérie, elle, invite à une «lecture objective de l'histoire loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels».