« Les mathématiques, la psychanalyse et la créativité »

Publié par Arslan B. le 06-06-2015, 17h21 | 72

Comme promis dans notre édition du 06 juin 2015 (Culture) à nos chers lecteurs (dont probablement de nombreux anciens étudiants du très affable professeur, digne fils de la capitale des Hammadites), voici, intégralement, la communication du Pr-Dr. Mohamed (Noreddine) Boumahrat lors du déroulement du colloque (Béjaia, 04 juin 2015, TRB) intitulé «Psychanalyse et créativité ».

Nous avions dit, dans nos précédents articles à propos de cet événement culturel, que l’ « intrusion » ( tout à fait inattendue) des mathématiques dans le colloque en a surpris plus d’un… « Pour un néophyte avisé la problématique de cette rencontre paraît, au premier abord, plutôt floue. En effet, comment articuler la créativité aven la psychanalyse, alors que les deux concepts semblent de prime abord antinomiques ?

Cependant, après lecture de la thématique,  sur la base d’informations puisées ça et là…et de quelques souvenirs personnels recueillis dans une discipline que j’ai humblement étudiée, les mathématiques, en l’occurrence, la compréhension des thèmes m’est graduellement apparue un peu plus abordable.

Tout comme le programme qui m’a été remis par l’association « Bruits des mots » n’a pas manqué de m’édifier davantage sur cette rencontre, cette confluence entre les arts plastiques, la littérature et la psychanalyse et j’ai alors osé inclure les mathématiques dans le débat…Ce qui me semble aller de pair avec la notion et concept de créativité. D’abord, il s’agit de cerner les caractéristiques de la créativité mathématique.

Comment le processus de la créativité s’inscrit-il en nous ? Questions franchement très difficiles à propos desquelles je veux bien oser soumettre à appréciation quelques réflexions personnelles : en mathématiques, qui  donc ne connaît la fameuse et très ancienne expression « bosse des maths » ? Elle « pousse » comment et quand, chez les gens ? Est-ce durant la prime jeunesse ou au cours de l’existence ?

A ce propos, une remarque me vient à l’esprit, et qui concerne l’attribution de la prestigieuse Médaille Fields, l’équivalent du Prix Nobel pour les mathématiciens, médaille qui n’est décernée qu’à des candidats de moins de quarante ans. Faut-il en déduire que la créativité s’éteint au-delà de cet âge limite ? Rares, par ailleurs, sont les génies de ce monde n’ayant reçu aucune éducation mathématique.

Bien souvent, aussi, des siècles d’efforts sont requis afin de mettre au point un bon langage permettant de formuler la question avec précision, de la résoudre et ouvrir la porte à d’autres interrogations. En fait, les mathématiques s’inscrivent, généralement, dans un contexte socio-culturel  bien précis, ce qui peut, quelquefois, constituer un frein à la créativité. Il faudrait alors réapprendre à regarder les choses avec des yeux d’enfant pour ne pas manquer de passer à côté des bonnes idées.

Avec votre autorisation, je vais me permettre de vous exposer un souvenir d’enfance : Cela se passait dans une petite classe pour des enfants de 06 ans. La maîtresse posait le problème suivant : puisant dans une boîte, elle en retira divers objets de formes différentes (triangles, carrés, cercles…) ainsi que des pièces de différentes couleurs (vert, rouge, jaune).

Elle demanda ensuite aux élèves d’entourer avec une ficelle les pièces rouges et avec une autre les carrés, puis leur demanda également de placer les carrés rouges. Le problème était très difficile pour les enfants et seul l’un d’entre eux avait proposé de recouper les ficelles puis placer les carrés rouges dans une partie commune qui était, de fait, l’intersection. Ce souvenir a été pour moi une illumination, en dehors de la logique rationnelle.

Des mathématiques, on a créé un espace de partage, une intersection qui permettra de répondre à 02 définitions et de résoudre une contradiction ! le 2e exemple que je donnerai concerne la découverte de la mesure de la diagonale d’un carré de côté 01 et qui est « racine de 2 » que les mathématiciens ont nommé nombre irrationnel ! D’où venait donc une irrationalité dans un domaine censé représenter précisément  la rationalité la plus rigoureuse ?

Lorsque j’ai appris qu’aucun instrument de mesure ne pouvait mesurer une telle diagonale j’ai eu une autre illumination, ce qui a encore augmenté mon envie de pénétrer ce monde fantastique des espaces mathématiques et des nombres. Le troisième exemple et qui n’a pas encore trouvé de réponse à nos jours concerne la trisectrice d’un angle ou la recherche d’un partage égal d’un angle en trois parties égales sans l’aide d’un rapporteur mais seulement à l’aide d’un compas…Malgré un travail de plusieurs jours, je n’étais pas arrivé à résoudre ce problème même après avoir essayé toutes les possibilités créatives que je recelais en moi.

Ce dernier problème m’a d’ailleurs  complètement orienté vers des mathématiques plus pratiques et plus en adéquation avec les calculs de l’ingénieur. Je me suis permis de faire appel à ces exemples qui m’ont été inspirés par les thèmes de la créativité, pensant ainsi que l’on peut parfaitement les inclure dans le champ de la psychanalyse et de la créativité afin de montrer que maints aspects des mathématiques pourraient aider à sonder l’inconscient et développer la créativité chez l’enfant en particulier…

Pourtant, je voudrais rappeler que les plus grands mathématiciens porteurs ou créateurs de théories le plus complexes mais néanmoins les plus fondatrices de l’avancement de la recherche en mathématiques ont terminé leur existence dans un « dénuement » psychique avéré, et il est difficile d’échapper au cliché du savant fou, s’agissant notamment et surtout des mathématiciens ! Les exemples ne manquent pas, effectivement, car en dépit d’une créativité débordante, certains mathématiciens ont versé très tôt dans la psychose. Parmi ceux-là, l’on peut citer A.

Grothendiek, Médaille Fields 1966 et créateur de la théorie des catégories. Il avait fini par quitter la sphère académique pour s’isoler à la campagne en compagnie de quelques moutons, ses seuls compagnons. Cantor, créateur de la théorie des ensembles et de l’infini en mathématiques mourut dans un hôpital psychiatrique. Gobel logicien hors gabarit mourut également reclus, il refusait toute nourriture, de craint d’être empoisonné.

Aussi, à la lumière de ces exemples, l’on aurait plutôt tendance à ne pas séparer folie et raison, et à se poser la question sur le tribut à payer à la création ».
Dr. Mohamed Boumahrat, ancien Professeur à l’Ecole nationale polytechnique (El Harrach, Alger-Algérie), ancien Professeur SUPMECA (Saint Ouen-France), Président du Conseil scientifique Siqcom, IDEEFORCE, Rouiba, ancien Ministre de la formation professionnelle et de l’emploi (Gouvernement algérien).