Guelma - La ville martyre, les hécatombes de mai et juin 1945 : Toute la jeunesse décimée L’horreur à Héliopolis

Publié par Amar Belkhodja le 07-03-2014, 15h03 | 471

Pour enrichir l’écriture de la douloureuse page du 8 Mai 1945, nous proposons ici un recueil d’écrits d’époque consacrés par la presse nationaliste aux horribles événements dont Sétif, Guelma, Kherrata et autres lieux d’Algérie ont été le théâtre.

Bien qu’incomplet, ce recueil permet au lecteur de remonter dans le temps et relever par lui-même que les nationalistes algériens n’ont jamais cessé d’acculer le régime colonial pour lui faire «avouer» sa responsabilité du massacre, lui arracher l’amnistie des détenus et l’indemnisation des victimes.
Nous avons pu collecter tous les articles du reportage d’Abdelkader Safir, publié par La République algérienne en août - septembre 1947, deux ans après la tragédie.

Ce reportage, réalisé par un pionnier du journalisme algérien, à une époque où la plume constituait une véritable arme de combat, est sans conteste un document percutant dans la mesure où il apporte les premiers témoignages alors que la plaie se trouvait encore ouverte.Les journalistes, ces «historiens du présent», pour la plupart des militants du mouvement national, ont transcrit pour le temps les événements dont ils étaient les témoins.

Les collections d’El Bassaïer, de  L’Algérie Libre, et de La République algérienne constituent pour le chercheur des sources importantes pour la période 1945-1954, phase sensible au cours de laquelle le mouvement national évoluera selon des données particulières et débouchera sur la déflagration de novembre 1954

Il s’agit d’une étape qui aura été profondément marquée par les massacres commis par le colonialisme français sur le peuple algérien. Il est vrai que cet autre génocide perpétré, lui, sur une période très courte- c’est dire avec quelle violence et haine on avait conduit la meurtrière opération – dictera les futurs comportements des courants nationalistes dont le statut de 1947 ne freinera guère l’élan ; en dépit de ce qu’espéraient les réformateurs parisiens, toujours en retard d’une époque ou d’une réforme par rapport à la réalité algérienne.

Les articles de presse qui ont traité de la tragédie du 8 Mai 45 révèlent combien la presse nationaliste était déjà riche par la qualité de ses écrits mais aussi par la diversité des thèmes qu’elle assumait.

Si la question nationale restait au centre des débats, les questions internationales étaient abordées avec une égale maîtrise qui plaçait à l’avant-garde le journalisme algérien pour avoir pris en charge avec courage et lucidité le problème de la décolonisation ainsi que les préoccupations essentielles des pays et des peuples sous domination.

Depuis les premières publications au début du XXe siècle, jusqu’à la veille du 1er novembre 1954, le journalisme de combat anti-colonialiste était une affaire de journalisme militant. Que ceux qui savaient écrire devaient donc le faire pour dénoncer les mille et un méfaits d’un régime honteux qui porta de graves atteintes à la dignité humaine.

Toutefois dans cette corporation des soldats de la plume, un jeune journaliste va se distinguer et, somme toute, va se prédestiner pour ce métier de passion et de séduction. Il s’appelle Abdelkader Safir. Il est né à Mascara le 2 juin 1925 et décédé le 13 janvier 1993 à Benchicao. Dans les années 1940, il a à peine 20 ans quand il se retrouve à Alger où il rencontre une avant-garde intellectuelle qui pratique l’art, les lettres, le combat politique dans un Alger entre les mains des cent seigneurs à l’exception de l’envoûtante Casbah colonisée officiellement mais souveraine tout de même.

Abdelkader Safir va taquiner l’art dramatique aux côtés d’une plume aussi précoce et fébrile : Kateb Yacine. Le futur auteur de l’immortelle   Nedjma, produit à cette époque des « papiers » pour le compte d’Alger républicain, un quotidien qui constituait en fait une tribune et un moyen d’expression à l’ensemble des courants nationalistes et culturels. Ainsi on y retrouvait assez souvent des signatures de cadres appartenant au PPA-MTLD comme Mohamed –Chérif Sahli aux Ouléma comme Tewfik El Madani, à l’UDMA comme Mohamed Bensalem.

Abdelkader Safir, grand admirateur de Ferhat Abbas, a déjà fait son choix. Il livre tous ses écrits dans Egalité, premier organe des AML, (Amis du Manifeste et de la Liberté) puis de l’UDMA avant de devenir La République algérienne.

Safir « jongle » avec les mots. Il écrit merveilleusement bien dans la langue de Boris Vian. Et c’est plus particulièrement dans le grand reportage qu’il va se distinguer. Egalité va fleurir de ses abondants écrits et sa réputation va s’affirmer chaque jour davantage. Car Abdelkader Safir va enquêter sur les questions les plus sensibles (l’enfance démunie,  le sort des étudiants algériens, la prostitution). Safir répondra également aux insultes et propos mensongers de certains porte-parole de la grosse colonisation.
Toutefois nous retrouvons la plume de A. Safir relatant le martyrologe algérien.

C’est lui le premier qui va enquêter et livrer de très émouvants écrits sur les massacres perpétrés par l’armée française et la milice un certain 8 mai 1945. Et c’est lui le premier qui va révéler le chiffre de 45.000 morts. Le chiffre n’est pas exagéré si l’on veut bien se donner la peine d’imaginer l’ampleur des massacres et la haine avec laquelle les crimes furent commis contre des populations désarmées à Sétif, Guelma, Kherata et leurs régions. Pour cela il faut aussi et surtout lire attentivement le reportage de Abdelkader Safir publié dans Egalité en une dizaine de parties et que nous avons pris le soin de rassembler en plaquettes dans un souci de servir l’écriture de l’histoire mais aussi de rendre hommage à l’un des pionniers du journalisme algérien.

Nous retrouvons la plume d’Abdelkader sur les traces d’un autre drame, celui des martyrs de Zeralda. Vingt cinq Algériens d’âges différents (enfants, adultes, vieillards) sont morts asphyxiés, entassés à l’intérieur d’une geôle le 1er août 1942, par la volonté d’un maire raciste. Encore une fois, le jeune reporter est sur les lieux pour dénoncer le forfait du colonialisme. C’est grâce au compte rendu de A. Safir, même s’il est signé quatre ans après le crime, que M. Ferhat Abbas portera l’affaire du haut de la tribune de l’Assemblée constituante à Paris en 1947.

Emmanuel Roblès s’inspirera également du texte de Safir pour écrire une nouvelle littéraire qui remportera le Prix Fémina. Il est fort utile d’entretenir la mémoire collective qui a tout l’air de s’effriter et faire haïr le colonialisme et les injustices. L’oubli, voilà une bien mauvaise chose qu’il faut combattre sans complaisance. Il y va de la survie de notre personnalité. Il faut bien que l’histoire serve à quelque chose. L’histoire coloniale reste encore à écrire. Les martyrs de Zeralda : voilà une page dramatique que nous n’avons pas le droit d’oublier.

Quand nous nous sommes rendus à Zeralda en 1987, il n’y avait plus aucun témoin pour nous relater la nuit effroyable. Tous les rescapés de cette nuit tragique du 1er août 1942 avaient disparu. Un seul se trouvait encore en vie. Malheureusement, il avait sombré totalement vers un déclassement social d’où son inaptitude à ne rien nous communiquer. C’est dire le danger de voir disparaître tant de pages d’histoire et tant de témoignages sur le passé honteux du colonialisme français. SOS, le temps passe… vite ! 
Les chercheurs ont la chance aujourd’hui de retrouver des traces de ce passé grâce aux écrits du regretté Abdelkader Safir.