Guelma/La ville martyre, les hécatombes: Comment le colonialisme provoque, puis reprime: La tragedie du 8 mai 1945

Publié par A. S. le 08-03-2014, 14h46 | 392

Smaïn Abda Secrétaire  local SMA de Guelma assassiné en mai 1945 a écrit sur le mur de sa geôle avant d’être exécuté: « Nous sommes des braves engagés dans le dur combat pour la libération de leur patrie. Nous ne craignons point la mort et nos ennemis ne nous font pas peur. Mieux vaut un jour de vie dans la dignité que mille ans passés dans la servitude ». Egalité  n° 89 du 8 août 1947 (extrait d’un reportage réalisé par Abdelkader SAFIR «La Tragédie du 8 mai à Guelma»

 L’immense tragédie du 8 mai 1945 qui fait de ce reportage rétrospectif est certainement la pire des calamités qui se soient abattues sur l’Algérie depuis longtemps. L’histoire, cette éternelle ennemie des menteurs qui voudraient la falsifier, la décrira dans toute son horreur et la postérité en condamnera les véritables responsables confondus dans une même opprobre avec le régime inhumain dont ils sont les plus solides piliers.

Quant à nous, notre but est bien modeste.
Nous n’allons pas évoquer phase après phase, détail après détail, les événements qui ont entraîné le massacre de dizaines de milliers d’innocents dans les régions martyres de Sétif et de Guelma, endeuillé tout un peuple et fait déferlé sur le pays tout entier un vent de défaitisme et de panique si violent que ses effets n’ont point encore cessé de se manifester.
 Dans le cadre étroit ces articles qui vont suivre celui-ci, nous nous proposons tout simplement de dire à nos lecteurs ce que nous avons entendu et vu Guelma et dans ses environs immédiats, seuls lieux où nous avons pu nous rendre.

Sans jactance ni acrimonie, mais avec fermeté et aussi avec l’indignation qu’ils ont soulevée chez nous, nous relaterons des faits, nous rapporterons des récits, nous citerons les noms de quelques-uns parmi les milliers de malheureuses victimes et nous désignerons à la conscience des hommes les assassins demeurés particulièrement impunis.

Mais pourquoi rappeler une si grave affaire nous dira-t-on ? N’est-ce-pas en quelque sorte, jouer avec le feu, risquer de surexciter les esprits déjà si faciles à troubler sur cette terre trop éprouvée, trop passionnée d’Algérie ?
On voudrait pouvoir oublier à tout jamais les crimes monstrueux perpétrés par les hommes de main crapuleux et la soldatesque du colonialisme impérialiste. Mais ils ont fait tant de morts, tant de veuves et d’orphelins qui n’ont pas eu depuis deux ans le temps de sécher leurs larmes, laissé tant de ruines qui ne seront pas relevées de sitôt, que l’on ne peut, en y songeant, invoquer l’impossible oubli.

Les auteurs de ces inqualifiables assassinats n’ont point subi le châtiment qu’une justice indigne de ce nom se refuse jusqu’ici à leur appliquer. Leurs principaux instigateurs, les Achiary, les Lestrade-Carbonel, les Duval, pour ne citer que les plus connus d’entre eux, loin d’être appelés devant les tribunaux de la République pour répondre de leurs forfaits, continuent de jouir de la liberté, de la considération et des honneurs officiels en rêvant sans doute à de futurs événements bien plus importants encore.

De plus, l’équivoque savamment créée autour de cette lâche agression de nos populations désarmées, subsiste encore. Avec le profond mépris de la volonté populaire, malgré les vœux sans cesse renouvelés par les représentants les mieux qualifiés de l’Algérie et tout particulièrement par les élus du MANIFESTE, le gouvernement français, après avoir longtemps opposé un refus inexplicable, voudrait maintenant retarder indéfiniment l’envoi d’une commission parlementaire d’enquête sur les lieux, afin de faire la lumière, toute la lumière sur l’horrible tragédie du 8 mai 1945. Les origines profondes et les auteurs en sont pourtant connus. Il est ridicule et puéril de finasser et de ruser pour nier l’évidence même.

Dès qu’il a repris sa publication, notre journal s’est courageusement appliqué à dissiper l’équivoque. Abbas, au cours de mémorables débats à la dernière Assemblée Constituante, a clamé à la face du monde la vérité sur le complot colonialiste du constantinois dont il a été la victime la plus visée. Dans ce reportage réalisé un peu tardivement, notre souci primordial est de contribuer avec conviction à cette œuvre d’éclaircissement et aussi de montrer à ceux- y en aurait-il encore ? – qui oseraient en douter, toutes les ignominies dont est capable le colonialisme honni.

Des mots ? Non ! les réalités et les preuves sont là accumulées, tangibles, sanglantes et terribles.
A l’inverse des insensés qui ont osé prétendre que les événements du 8 mai 1945 ont été l’œuvre du groupement des Amis du Manifeste et de la Liberté, ce qui revenait à dire qu’ils ont été le résultat de manœuvre ourdies par le peuple musulman algérien lui-même contre lui-même, nous affirmons, nous, qu’ils ont été l’aboutissement des manœuvres machiavéliques des spécialistes de la guerre psychologique aux ordres d’un colonialisme moribond, mais désireux de prolonger son agonie par tous les moyens.

La manœuvre est classique. Chaque fois que l’Algérie musulmane, écrasée sous le joug, s’est organisée et a commencé à lutter pacifiquement pour conquérir son droit légitime à la vie, son oppresseur colonialiste suscite des troubles faciles à réprimer et destinés principalement à discréditer des adversaires décidés mais loyaux, pour étouffer les voix qui osaient revendiquer, au nom des principes républicains sacrés de liberté, d’Egalité et de Fraternité !

A la veille du 8 mai 1945, jour de la victoire des forces démocratiques sur l’impérialisme germanique, jour où une aube nouvelle se levait sur le monde, mais qui devait réserver à notre malheureux pays toute une série d’aubes grises. La réaction colonialiste était alarmée. Autour du MANIFESTE, autour d’Abbas, les populations musulmanes avaient avec enthousiasme uni leurs forces pour briser leurs chaînes. 
Les démocrates  français d’Algérie se montraient de plus en plus compréhensifs à leur égard. Ils n’allaient peut-être tarder à se joindre à eux pour précipiter une victoire probable. Déjà l’aurore rosée des jours de liberté pointait à l’horizon.

Il fallait coûte que coûte arrêter cette marche en avant, faire cesser la coalition des forces (…) et pour cela il convenait de faire croire à l’existence d’un bloc national xénophobe et raciste, menaçant au recours à la guerre sainte.

 La grande défensive fut déclenchée. La grosse colonisation aidée officiellement dans son infâme besogne de division raciale par ses valets de plume, réclamait avec des cris hystériques le rassemblement des éléments européens du pays et leur cristallisation en bloc prêt à se défendre.

La « grande peur » commença à gagner le pays. L’un des plus laids représentant de la caste agraire qui s’y connaît comme pas un en la matière de provocation, le seigneur Abbo, pouvait alors déclarer sur un ton prophétique que des troubles graves allaient sous peu éclater en Algérie. Le misérable était sûr de ce qu’il avançait. Le premier mai, en effet, les premiers résultats du complot se manifestèrent dans certaines villes d’Algérie. Alger, qui fêtait ce jour là le travail, fut le théâtre d’incidents qui ne nous annonçaient rien de bon pour l’avenir, mais qui montraient aux ennemis du peuple algérien que leurs efforts allaient aboutir au succès, s’ils y persévéraient.

Egalité, en diffusant les résolutions et les appels au calme du comité central des A.M.L., ainsi que d'autres documents, pouvait rassurer les esprits inquiets. La censure, sous les ordre de feu, l’ex-directeur des « Affaires Musulmanes », Berque, lui interdit la publication, voulant ainsi rendre suspect un mouvement absolument pacifique qui s’était donné pour mission de réaliser l’union fraternelle de tous les éléments ethniques vivant en Algérie. La psychose de peur gagna rapidement tout le pays.

Et la journée du 8 mai 1945, fut une journée de massacre et de deuil. Massacres à Sétif, à Kerrata, à Chevreul, à Saint-Arnaud, à Périgotville, à Guelma, dans d’autres lieux encore.Les feux du ciel sur Sétif et sur Guelma, comme sur Sodome et Gomorrhe ! Mais pour quelques…
Et comment se sont-ils abattus ?
C’est ce que nous verrons dans notre prochain article.