Marché mondial de la publicité : Un géant mort-né

Publié par Par Samy yacine le 18-05-2014, 15h59 | 42

Après des mois de négociations, la fusion annoncée en juillet dernier du français Publicis et de l’Américain Omnicom finit par tomber à l’eau. L’union des numéros deux et trois du marché mondial de la publicité avait deux visées : créer un mastodonte mondial et surtout tenir face à la menace des géants de la publicité sur internet.

Surprise pour les uns, prévisible pour les autres ; l’annonce de la fin des négociations entre Publicis et Omnicom pour la création d’un grand groupe leader mondial de la publicité fait couler beaucoup d’encre pour un projet mis en route en juillet 2013. Les premiers indices de doute sur l’aboutissement de ce projet ont pointé il y a à peine quelques mois, laissant transparaitre beaucoup de divergences mais, plus inquiétant, des zones d’ombres inimaginables pour un business mené par des opérateurs de cette dimension.

Au début du mois de mai, la presse internationale rapporte une séparation à l’amiable entre le groupe français de la publicité Publicis et l'Américain Omnicom qui ont annoncé, avoir « mis un terme à leur projet de fusion entre égaux d'un commun accord, au vu des difficultés à clore la transaction dans des délais raisonnables » rapporte  l’agence française AFP qui précise  que  « Les deux parties se sont libérées de toute obligation mutuelle liée au projet de transaction et aucun frais n'est dû par aucune des deux parties. »


Interviewé par le quotidien français Le Monde, Maurice Lévy, président du directoire et actionnaire de Publicis, estimait pour autant que ce devait être  « Une opération superbe » expliquant qu’en comptant « pour Omnicom une chiffre d'affaires de 14 milliards de dollars (10 milliards d'euros) et pour Publicis de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros), nous étions en mesure de faire une fusion entre égaux grâce à l'attractivité de notre modèle. »

La perspective de naissance d’un tel géant devait changer les données du marché publicitaire mondial, explique l’AFP qui souligne que  « la nouvelle entité ainsi née aurait employé 130 000 personnes dans le monde pour un chiffre d'affaires d'une vingtaine de milliards d'euros, dépassant ainsi le britannique WPP. » Le quotidien économique français Les Echos expliquait à l’époque de l’annonce de cette fusion que les deux parties misaient beaucoup   sur l’argument selon lequel leur fusion constituerait, écrivait-il,  « le seul moyen de lutter contre les géants du net, au premier rang desquels Google. Il s’agissait de verrouiller une bonne partie de la publicité média, celle échappant encore aux acteurs du Net. »  

Les Echos s’appuyaient alors sur les propose du patron de Publicis qui lui disait : « Nous pourrons unir nos forces pour investir, sachant que les géants du Net ont des capacités considérables en la matière. Omnicom et Publicis investissent à peu près autant chaque année mais il y a parfois des doublons ». Bien avant l’annonce de la fin de cette tentative infructueuse, la presse spécialisée avait tenté de percer les mystères de la négociation menée par les deux patrons, dont les ambitions de pouvoir personnel n’étaient pas inconnue des observateurs.

A la question de savoir sur quoi butait exactement cette opération, le patron du groupe américain Omnicon affirmait à l’AFP que le blocage n’était pas imputable  à « un élément en particulier [mais] un grand nombre de questions complexes que nous n'avons pas résolues ».Au mois d’avril dernier, le quotidien américain The Wall Street Journal voyait déjà l’affaire se transformer en « bataille de titans », animée par des appétits de pouvoirs inavoués, qui selon  le WSJ, cité par l’AFP, « bloquaient le processus. »

Deux facteurs essentiels pour l’accomplissement de la négociation semblaient opposer frontalement les deux leaders. D’abord la nécessité réglementaire d’un rachat comptable de l’un des groupes par l’autre ; aucune des deux parties en négociation n’envisageait de se voir absorbée par l’autre. Ensuite, comme le révélait le quotidien américain, « Les deux groupes n'étaient pas non plus d'accord sur le nom du futur chef de la direction financière : Publicis voulait que ce soit le sien, Jean-Michel Etienne, alors qu'Omnicom proposait son propre directeur financier, Randall Weisenburger ».

Autre point obscur de l’accord engagé par les deux groupes, le projet de domification de la nouvelle entité semble avoir connu un revirement aussi soudain qu’inexplicable. «  A l'origine, le nouvel ensemble issu de la fusion devait avoir son siège -et donc sa résidence fiscale- aux Pays-Bas », souligne le site de la télévision française bfmtv.com  qui poursuit que, finalement, «les deux groupes ont changé d'avis. Ils veulent désormais installer la résidence fiscale de Publicis Omnicom Group en Grande-Bretagne. Une idée nouvelle qui ne figure pas du tout dans l'accord initial. » Au final, les deux parties ont résolu de s’installer en Grande Bretagne, et saisi pour cela, les administrations fiscales des deux pays.

Dans l’espoir, explique le site de la télévision française de pouvoir  « utiliser la procédure d'agrément mutuel prévue par l'accord fiscal britannico-néerlandais sur les doubles impositions ». Mais au bout du compte la démarche n’a fait que compliquer la tâche, note bfmtv.com, soulignant que « ni le fisc néerlandais, ni le fisc britannique n'ont encore donné leur accord ». Pour le PDG d’Omnicom, cité par ce site,  « C'est inattendu », voire même « si nous n'obtenons pas ces approbations, cela pourrait affecter la finalisation de la fusion ». 

Ce qui a finalement été le cas. L’insistance des deux parties à installer le nouveau groupe dans un siège à l’abri d’une quelconque pression fiscale, a incité les observateurs à s’interroger sur cette ‘’obsession de l’optimisation fiscale ». Ce à quoi le secrétaire général d’Omnicom a répondu, en déclarant, repris par le site de bfmtv.com que  "l'accord de fusion prévoit un grand nombre de conditions à remplir. Il prévoit notamment que la fusion soit non imposable sur bien des aspects: non imposable pour Omnicom, non imposable pour Publicis, et non  imposable pour leurs actionnaires".

Le quotidien économique Les Echos revient sur beaucoup de détails non résolus, qui confirmeraient le caractère ‘’amateur’’ de cette négociation sensée produire un géant mondial de la publicité. Il note ainsi qu’ «aucun arbitrage n'a été rendu public sur le nom du futur patron du numérique : Alan Rutherford, CEO du leader mondial Global Digitas LBi (Publicis) ou Jonathan Nelson, CEO d'Omnicom Digital. Le poste est crucial, compte tenu de l'évolution du métier. »

Le même sort aurait été réservé, selon le journal,  aux postes de directeur des opérations (COO), de secrétaire général, et de  patron des médias au niveau mondial. Ce qui semble fonder et en même temps susciter la grosse question d’ouverture du  papier de ce journal: « Mais comment diable se sont-ils débrouillés, alors que dix mois se sont écoulés depuis l'annonce de la fusion le 28 juillet, pour ne pas réussir à se mettre d'accord sur le nom du directeur financier du futur ensemble Publicis Omnicom Group, et pour que tant de points ne soient toujours pas verrouillés ? ».