Culture

Entretien avec l’artisane Amina Youcef Khodja- Lefki : « Le travail du tapis haute lisse est un artisanat d’art indémodable»

Publié par Djamel BOUDAA le 21-11-2021, 19h45 | 227
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Ingénieur de formation, Amina Youcef Khodja – Lefki a choisi de se consacrer au tissage traditionnel qu’elle a repris sous une version contemporaine tout en lui gardant son authenticité notamment dans le processus de fabrication, la palette de couleurs et surtout les signes et symboles ancestraux décorant cette véritable œuvre d’art.

Dans cet entretien, l’artisane qui a été la première à redimensionner un tissage en tableau décoratif lui donnant ainsi un cachet artistique, parle des conditions de sa venue au noble métier de tisserand, des modèles créés, de sa recherche de documentation en rapport avec cet art, pan important du patrimoine algérien.

DK News : comment êtes-vous venue au tissage ?

AYKL- Il est vrai que nos projets ne sont jamais acquis.

En suivant mes études d’ingéniorat, j’ai été atteinte d’une maladie qui m’a rendue malentendante donc a diminué mes capacités à vivre une vie normale. Ma mère (qu’Allah l’accepte en Son Vaste Paradis) était mon guide dans la vie de tous les jours, en m’initiant au travail de la laine et à l’amour de ce métier.

Enfermée à la maison car on ne pouvait m’appareiller, j’ai appris à lire sur les lèvres pour obtenir mes diplômes suisse et Français sur le perfectionnement du tissage et l’installation artisanale.

A partir de là, toujours guidée par ma mère qui m’a secondé dans la vie pour entendre, j’ai pu investir dans un atelier de la laine.

Mon atelier produit des modèles atypiques et très en vogue. J’ai aussi assuré des formations en tissage, design et teinture naturelle, pour le comptoir des métiers CDM de khemis Miliana, en partenariat avec les chambres des métiers de Ghardaïa, Tiaret et Blida et pour l’association « Femmes en communication » dans le projet de PAP ENPARD (Le Programme d'Action Pilote pour le Développement Rural de l’Union européenne).

En partenariat avec le Bureau de conseil et formation, j’ai aussi assuré des formations pour structurer et conseiller les associations d’artisans en partenariat avec le Ministère de l’artisanat.

DK News : pourriez-vous nous parler de votre travail ?

AYKL- Actuellement, mon travail consiste d’un côté à accompagner les femmes formées dans le cadre des programmes de formations de l’union européenne et d’un autre coté à faire toujours de la création tissée pour valoriser la marque que j’ai créée il y a 15 ans.

Nos clients sont à l’affut de nouveautés et nous devons toujours être au diapason.

DK News : vous gardez l'authenticité au tapis. Pourriez-vous nous donner des détails ?

AYKL- L’authenticité d’un tapis c’est son histoire, sa technique de travail, son mode de façonnage.

Je continue à le faire valoir par le travail manuel en haute lisse, une technique ancienne, en y ajoutant de la matière naturelle et noble filée à l’ancienne, avec un cachet authentique mais un design atypique.

DK News : vous essayez de promouvoir le tapis algérien en en faisant un objet d'art. Pourriez-vous nous donner des détails ?

AYKL- En lui-même le travail du tapis haute lisse est un artisanat d’art, indémodable, et fait main ; ce qui fait de lui un objet rarissime.

Aucune machine n’intervient dans le chaîne de fabrication, depuis la tonte du mouton, le lavage, le cardage, le filage, la teinte et enfin le tissage, tout se fait à la main.

De ce fait, c’est un travail qui prend beaucoup de temps, produisant des pièces uniques qui font sa grande valeur.

DK News : vous avez donné au tapis un cachet artistique ?

AYKL- Effectivement.

A partir du moment où on contrôle la façon de tisser et surtout le design, on assemble des idées créatives réalistes. Par exemple, j’ai été la première à redimensionner un tissage en tableau décoratif, en lui donnant un cachet artistique, enfin recycler des tablettes pour y incorporer en fond des tissages que j’ai mis sous verre, créant ainsi un tableau.

DK News : pourriez-vous nous parler du processus de réalisation de votre produit?    

AYKL - En premier lieu je dois choisir la région où les brebis ont été nourries avec le plus d’herbe fraîche car la laine doit être soyeuse, ensuite voir quel filage je peux en tirer, à cela je réfléchis à un design qui doit être en relation avec la grosseur de la laine obtenue.

Enfin l’exécution du modèle prend beaucoup de temps mais la réflexion porte sur son utilité d’abord puis sur une rapport qualité-prix.

DK News : vu la richesse du tissage algérien, vous avez certainement fait un travail de recherche documentaire ?

AYKL- Oui.

Beaucoup de recherche dans les musées mais aussi beaucoup de voyages à travers le territoire national pour rencontrer les anciens tisserands, qui sont aujourd’hui décédés ; c’était des personnes instruites par l’expérience et par le vécu.

DK News : vous ne vous êtes pas limitée au tapis mais vous avez aussi touché à tout le tissage ?

AYKL - Oui.

Avec le programme de recyclage de l’union européenne et certaines associations contribuant au recyclage, j’ai un peu amélioré l’art de tisser du plastique en créant des sets de tables actuellement bien pris en charge par un restaurant.

DK News : travaillez-vous avec des produits naturels, matières premières et colorants ?

AYKL - En Algérie, un mouton donne 800gramme de laine par an, alors que d’autres pays vont jusqu’à 1,500kilograme par an.

Il faut dire cependant qu’un produit 100% naturel est une cause d’allergie.

En ce qui concerne la teinture, je suis conditionnée car il faut beaucoup de plantes pour teindre une laine et il faudrait aussi avoir un atelier approprié.

Toute les teintes utilisées actuellement sont chimiques, je dis bien toutes.

Il reste une association à Timimoune qui utilise le 100 % naturel qui par ailleurs est dangereux car il peut abriter des acariens.

C’est pour cela, qu’un rapport qualité-prix doit être pris en charge pour pouvoir sortir un produit acceptable en rapport avec le marché et la demande actuelle.

DK News : à votre avis que faut-il faire pour promouvoir le tissage algérien?  

 AYKL- Pour promouvoir le tissage algérien, je pense qu’il faudrait supprimer les charges et les impôts, créer des points de récupérations de la matière première de premier choix, élire une commission composée d’artisans professionnels pour solutionner la problématique de la qualité de la laine, mettre à la disposition des artisans les espaces étatiques notamment pour les porteurs de projets dans le domaine de la laine et augmenter les pensions de la retraite versée aux artisans, qui est actuellement 15000 DA par mois. Par ailleurs, il serait souhaitable d’organiser des salons consacrés au tissage.

A ce jour, aucun salon du tissage n’a été organisé pour mettre plus en valeur le tissage algérien. Le tapis haute lisse devrait avoir sa place sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

DK News : comment garder son authenticité au tapis algérien tout en lui donnant une touche contemporaine ?

AYKL – En lui donnant une touche contemporaine tout en gardant la symbolique et l’histoire de certains motifs, ces derniers sont reliés à l’histoire de l’Algérie.

Il faut aussi travailler avec les techniques traditionnelles.

DK News : vous considérez-vous plus comme artiste qu’artisane ?

 AYKL- Je dirai les deux, l’un complète l’autre. Je suis aussi formatrice et conférencière.

DK News : participez-vous souvent à des expositions ?

 AYKL – Outre une exposition personnelle tenue à l’hôtel SOFITEL d’Alger en décembre 1998, j’ai participé à plusieurs manifestations culturelles notamment à une exposition à Ghardaïa en 1990, au Cinquième Salon International de l’Artisanat.

(Palais de la Culture Moufdi Zakaria (Alger) en février 1999, au 6 ème Salon de l’artisanat et du tourisme, en octobre 1999, à la fête du tapis à Ghardaïa en mars 2000, à la Foire de Paris (France) « Voyage et découverte » qui a eu lieu du 26 Avril au 08 Mai 2000, à la Foire du lin et de l’aiguille en Normandie (France) fin juillet 2000, au SITEV (Salon international du tourisme et des voyages) à la SAFEX, à la Foire internationale de Marseille (France) du 20 au 30 novembre 2002, au Salon mondial du Tourisme organisé à Paris en mai 2004.

Aux semaines africaines à l’UNESCO en partenariat avec l’association « AU FIL DES CULTURES » en mai 2015. Ma participation à toutes ces manifestations et rencontres ont forgé mon caractère.

DK News : avez-vous des projets?

AYKL - Oui actuellement, je monte un site web, cela pourra m’aider à exporter à l’échelle international Incha Allah.

Mon cerveau déborde toujours de créativité. Je compte aussi, avec toutes les données dont je dispose, écrire un livre sur le tissage.

DK News : que vous a apporté votre travail ?

AYKL - Pas beaucoup d’argent en tous cas, mais le contrôle d’un savoir-faire en voie de disparition et une paix intérieure.

 

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