Culture

9 questions au sociologue et auteur Rachid SIDI BOUMEDINE : «J’ai lu des livres sur les carreaux de faïence mais je les ai regardés à ma manière»

Publié par DK NEWS le 09-01-2022, 14h48 | 32
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Dans un entretien à DK News, Rachid SIDI BOUMEDINE, sociologue ayant travaillé dans le domaine de l’urbanisme, parle de son dernier livre intitulé « Céramique. Toute une histoire », paru dernièrement aux éditions ANEP. Il pose la problématique de l’origine des carreaux de faïence tapissant les murs des maisons de la Casbah, réfutant les affirmations de BROUSSAUD, auteur du livre « Les carreaux de faïence peints dans l’Afrique du nord », selon lequel, ces carreaux sont d’origine européenne.
Rachid Sidi Boumedine a occupé de nombreuses fonctions de responsabilité ou d'expert dans des organismes d'urbanisme, notamment le Comedor (Comité permanent d'Etudes, de développement, d'organisation et d'aménagement de l'agglomération d'Alger) et l'Agence d'Urbanisme d'Alger.

 

DK News - Comment est née l’idée de l’écriture de votre dernier livre intitulé : «Céramiques d’Alger. Toute une Histoire» ?

llRSB- Au début, je n’avais pas l’idée d’écrire ce livre. A l’époque, comme il n’existait pas de travail sur la céramique de la Casbah, on m’a demandé d’écrire un livre sur ce sujet. J’ai commencé un catalogage, une espèce de reconnaissance des carreaux tapissant les murs des maisons de la vieille ville mais certaines circonstances ont prévalu et j’ai dû m’arrêter. J’ai repris le projet plus tard. A l’époque quand j’ai fait une première esquisse du projet, il n’y avait pas d’éditeur pour le prendre en charge. A ce moment- là, j’ai trouvé un document de Broussaud datant de 1930. C’est un catalogue où il a fait un inventaire des carreaux de faïence et dans cet ouvrage, l’auteur a donné leur origine. C’est un document qui a servi de référence à tous ceux qui ont écrit sur la céramique. En lisant le livre de Broussaud, cela m’a surpris car pour lui, tous ces carreaux de faïence sont d’origine européenne. J’ai trouvé cette explication étonnante et j’ai voulu la vérifier.

Et après vous avez commencé votre travail de recherche ?

llJe suis allé à l’actuel Centre des arts et de la culture Palais des Raïs, ex Bastion 23 qui était en plein travaux de restauration, c’était au début des années quatre-vingt-dix. J’ai fait la connaissance de M. Auréli, le responsable italien qui dirigeait les travaux. Au cours de la discussion, il m’a posé des questions et je lui en ai posé d’autres Il m’a montré des biscuits de faïences qui étaient réalisées en Italie et qui figuraient dans les catalogues comme d’origine espagnole. A ce moment, j’ai considéré qu’il fallait travailler sur la réalité de la production des céramiques et non pas les traiter seulement comme des objets de décor collés sur les murs des maisons anciennes.  C’est -à-dire non pas les regarder comme des objets archéologiques mais les regarder comme une chose vivante. Leur donner une origine réelle.

Qu’entendez-vous par « une origine réelle» ?

llUne origine réelle, cela signifie qu’il y avait mouvement. Ce carreau n’était pas seulement un produit de décoration. A partir du moment que j’ai considéré ces carreaux de faïence comme des objets vivants et étant donnée leur cherté à l’époque – ce n’était pas des produits banals- il fallait s’intéresser à la question : « Qui avait les moyens de les acheter pour décorer sa maison ? ». A ce moment, il y avait pour moi deux pistes. D’abord, le carreau étant précieux, faisait donc l’objet de transactions internationales en Méditerranée occidentale. Cela c’était une piste. La seconde piste, dans le contexte des échanges méditerranéens, les Européens voulaient vendre des produits manufacturés aux pays du Sud et en contrepartie, ces pays achetaient les matières premières et les produits alimentaires. L’Algérie était un pays précieux car il produisait du blé et de la cire d’abeille qui a donné naissance à la bougie qui a donné son nom à Bougie. Le pays avait aussi des peaux brutes et certains métaux. Derrière ça, il y avait les rapports de l’Algérie avec les autres pays qui ne se réduisant pas à ce que les Européens présentaient comme piraterie alors que dans la réalité, cela s’inscrivait, pour tous ces pays finançant des corsaires, dans la guerre commerciale qu’il y avait entre eux. Il faut dire aussi, qu’à Alger et par conséquent de ces échanges et ces luttes, il y avait une classe qui s’enrichissait. Cette classe était composée de riches marchands, de Raïs et de toute la nomenklatura ottomane.

Et donc ce sont ces gens riches qui achetaient ces carreaux ?

llCe sont ces gens riches qui achetaient et apposaient ces carreaux des différentes origines sur les murs des palais et demeures d’Alger. Il va se poser la question : « pourquoi, ils ont acheté ces carreaux ? ». Et là aussi, il fallait creuser dans une autre direction. Il y a toute une littérature sur l’art islamique mais cela « débouche » sur une impasse, car on montre des dessins géométriques et c’est tout, sans s’inscrire dans une perspective. Quand on parle d’art islamique, on s’arrête souvent à deux clichés sur la calligraphie et la géométrie des dessins. On n’est pas allé chercher la philosophie qu’il y avait derrière. Or à la question « Pourquoi, cette bourgeoisie est allée acheter ces carreaux de faïence en Europe ? » on peut se demander : « Comment ces personnes pouvaient se reconnaître là-dedans ? ». J’ai suivi la trace de la céramique arrivée du Moyen-Orient. Ce sont apparemment les Arabes, manière de désigner les peuples Perses, les Turcs, les Phéniciens les peuples islamisés, qui ont introduit en Europe et en même temps leurs techniques de production des émaux et un mode de représentation du monde. Il y a eu pénétration en Europe de ces savoirs et de ces arts en Andalousie, mais aussi en Sicile. Plus tard, les seigneurs locaux et les rois ont fait appel à ces artisans. Quand, plus tard, les Arabes ont été chassés d’Andalousie et se sont repliés au Maghreb, on a continué à faire de la céramique aux 17eme et 18eme siècles, Mais on est passé des représentations stylisées, des figures géométriques vers une expression plus concrète, c’est-à-dire des feuilles et des fleurs, quittant ainsi la représentation symbolique des fleurs pour aller vers leur représentation réaliste.  Et les techniques de production ont aussi évolué, de l’artisanat vers la manufacture et la production industrielle C’est ainsi qu’on a importé à Alger au dix-huitième des carreaux que je qualifierai de «décadents». Mais ces « acheteurs » ont rapatrié une sorte d’héritage de leurs ancêtres dans lequel ils se sont reconnus, retrouvés, même sous sa forme un peu décadente, altérée par deux siècles en Europe. Et l’usage qu’ils en ont fait a donné un cachet aux palais de la Casbah bien distinct des habitations de Tunis et de Rabat malgré les similitudes architecturales.

Dans le cadre du projet de ce livre, vous avez réalisé du travail sur terrain ?

llUniquement pour les photographies mais j’avais une connaissance ancienne des tissus et des architectures.

Vous avez travaillé au COMEDOR, (Comité permanent d’études, de développement, d’organisation, d’aménagement d’Alger) à l’époque, cela vous a-t-il aidé ?

llRien à voir. Je travaillais à l’échelle de l’agglomération. On a fait des relevés sur les constructions. C’est vers la fin, en 1976, quand on a fini toutes les enquêtes, préparé les plans d’intervention, qu’on a commencé à nous intéresser aux carreaux, aux tuiles.  Quand on est arrivé au stade des relevés architecturaux pour intervenir, on a fait la photographie systématique de toutes les faïences d’Alger. Il y a encore des traces de ces travaux.

Et en ce qui concerne la documentation?

llJ’ai trouvé très peu de travaux en Algérie, uniquement des catalogues c’est-à-dire des descriptifs. Il y avait seulement une thèse mais aucun écrit ne remettait en cause l’origine des carreaux telle qu’affichée par Broussaud. Non, rien n’est facile. J’ai lu des livres sur les carreaux de faïence mais je les ai regardés à ma manière. La matière ne vous dit rien si vous ne lui posez pas de questions. Rien n’est acquis, il faut tout vérifier, tout chercher. Il faut aussi « décloisonner » les connaissances, toucher à tous les domaines : architecture, géographie, sciences sociales. 

A qui s’adresse votre livre ?

llCe livre s’adresse à tout le monde, mais il vaut mieux avoir un niveau d’instruction et culturel assez élevé pour en tirer profit.

Des projets ?

llUn autre livre sur d’autres facettes du patrimoine paraîtra prochainement. On en parlera au moment voulu.     

Du même auteur :

- Aux sources du Hirak, Editions Chihab, Alger, 2019.
- Le Comedor, une aventure humaine et intellectuelle, Editions Alternatives urbaines, Alger, 2018 - Bétonvilles contre bidonvilles. Cent ans de bidonvilles à Alger, Editions APIC, 2016.
- Cuisines traditionnelles d’Algérie : un art de vivre, Editions Chihab, 2015.
- Yaouled, parcours d’un indigène, Editions APIC, 2013.
- L’urbanisme en Algérie : échec des instruments ou instruments de l’échec, Editions Alternatives urbaines, 2013.

 

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