Histoire

AISSAT IDIR 1915 - 1959 : La conscience du syndicalisme algérien

Publié par Par Amar Belkhodja le 13-03-2015, 18h26 | 2050
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I- Mouvement nationaliste et syndicalisme algérien

Aïssat Idir est mort comme il a vécu, au service des déshérités, des gueux, des miséreux. Il est mort au service de sa patrie. Il est mort pour que vive l’Algérie libre, indépendante, démocratique et sociale. (L’Ouvrier algérien - Numéro spécial, août 1959).

Certes, faute de syndicalisme spécifiquement algérien, c’est-à-dire national, les travailleurs algériens sont en quelque sorte contraints à s’affilier à la seule centrale qui domine le paysage : la CGT. Quelques cadres y émergent mais, globalement, sans parvenir à hisser la revendication sociale des Algériens au niveau de celle de leurs camarades Européens.

Ce syndicalisme à deux vitesses ne laisse pas le mouvement nationaliste dans l’expectative. Il subsiste un autre indicateur à prendre en compte.

Les militants syndicalistes présents dans les structures cégétistes sont en même temps - pour la plupart - militants dans un parti nationaliste, notamment le PPA-MTLD (Parti du peuple algérien -Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques).

Aïssat Idir compte parmi ceux-là. Il possède déjà une solide expérience et une bonne formation acquise sur le terrain de la lutte syndicale. Il s’affirmera davantage dans une structure que le PPA-MTLD va mettre en place dès 1947.

Il s’agit de la commission centrale des affaires sociales et syndicales qui a pour mission d’étudier et de suivre les questions se rapportant  au monde du travail avec comme objet et finalité à la création d’une véritable centrale syndicale. 

« Aïssat Idir anima la commission des affaires syndicales et où il œuvra dans le parti pour la création d’une centrale proprement algérienne. Au grand dam de la CGT et du parti communiste qui avaient particulièrement Aïssat Idir dans le collimateur ». (Gilbert Meynier - L’Histoire intérieure  du FLN - 1954-1962 - Casbah Editions -Alger - 2003).

Il s’agit d’une commission qui, somme toute, assume le rôle d’une direction d’orientation qui préparera la mise en place d’une centrale syndicale - en gestation - et qui consacrera le détachement des travailleurs algériens par rapport à la centrale  incarnant jusque-là la représentation syndicale : la CGT. 

La commission centrale des affaires sociales et syndicales comprenait : Aïssat Idir, Djermane Rabah, Bourouiba Boualem, Charef Bachir et Oudjina Driss, cadres cégétistes et en même temps militants du PPA-MTLD. Aïssat Idir est, à cette époque, membre du comité central du PPA-MTLD. La création de cette commission coïncide avec l’appel de Ferhat Hached en mars 1947, soucieux de promouvoir et d’unifier le syndicalisme Maghrébin. 

« L’Union générale tunisienne du travail, première organisation syndicale indépendante d’Afrique du nord, fait appel à tous les travailleurs nord-africains de toute condition, afin de s’organiser en syndicats autonomes dans toutes les villes et dans tous les centres d’Algérie et du Maroc (…)

La fédération syndicale nord-africaine pourra être fondée lors d’un congrès historique et prend ra en mains les destinées des travailleurs de nos trois peuples frères ». (Appel de Ferhat Hached du 21 mars 1947 - cité par Mohamed Farès -Aïssat Idir - Annexe 27).

Les choses s’affirment et se confirment au fil des ans. Dans son deuxième congrès tenu en 1953, le PPA-MTLD exprime à nouveau la nécessité de créer la centrale syndicale déjà annoncée au congrès de 1947. A nouveau il vote une résolution dans ce sens. La mission est toujours dévolue à Aïssat Idir qui est à l’œuvre depuis longtemps déjà. Il semblerait que le projet touche à son terme.

Contrairement à la Tunisie où en 1925 et en 1946 le mouvement ouvrier naîtra et se développera sur l’initiative de syndicalistes (Mohamed Ali puis Ferhat Hached), en Algérie on constate l’inverse puisque c’est le PPA-MTLD qui est à l’origine de la création d’un syndicat authentiquement national.

Le rôle actif d’Aïssat Idir dans ce domaine n’est pas à écarter puisqu’il militait déjà dans les rangs du PPA. C’est également le PPA qui fut à l’origine de la création du mouvement SMA On a tendance à soutenir que les SMA sont « une école du patriotisme » en oubliant souvent que cet éveil prend sa source chez l’aile marchante du nationalisme algérien : le PPA.          

Les secousses que traverse le parti de Messali Hadj diffèrent ce projet qui ne verra le jour qu’en février 1956 en pleine guerre d’Algérie et qui replonge dans la clandestinité trois mois après eu égard à une féroce répression qui frappe l’ensemble des cadres fondateurs.

Avec la crise qui va miner le parti de Messali Hadj, les événements vont s’accélérer. La fracture est inévitable. Membres du comité central et partisans du vieux routier entrent dans affrontement aux graves conséquences.

De 1949 à 1954, une importante étape est franchie. Effectivement depuis cette date, Aïssat Idir a mis toute sa verve et toutes ses compétences pour donner au mouvement ouvrier toute son âme et toute sa conscience sociale, politique et nationale.

Les deux dernières notions complètent la première dès lors que l’encadrement syndical est entre les mains de militants qui appartiennent au PPA-MTLD. Sommes-nous face à la formule de Mahdjoub Ben Seddik, le syndicaliste marocain qui fait « le nationalisme dans le syndicalisme » et non l’inverse. 
Cette association de notions ne veut pas dire non plus que le syndicalisme n’a pas ses propres méthodes et ses propres spécificités.

Ces qualités particulières que nous découvrons chez Aïssat Idir - et chez ses camarades - ont justement ce mérite d’être aguerris dans les luttes syndicales. Une conscience doublement forgée puis le sentiment patriotique est éprouvé parallèlement dans le combat politique dans un courant nationaliste.

Une rubrique est réservée au monde ouvrier dans les colonnes de L’Algérie libre du PPA-MTLD. Intitulée Le prolétariat algérien, cette rubrique est animée par Aïssat Idir. Ses articles sont signés sous le pseudonyme Mohand Amokrane. Il est assisté par d’autres pionniers, ses compagnons de toujours, Boualem Bourouiba, Benaïssa Attaallah, Ramdani Mohamed, Kheffache Laïd.

La rubrique est également alimentée par la commission des affaires sociales de la fédération de France du PPA-MTLD, sous la coordination de M’hamed Yazid, futur ministre de l’Information du GPRA.

Le prolétariat algérien, voilà une rubrique qui, somme toute, préfigure L’Ouvrier algérien, l’organe de l’UGTA. Dans l’histoire du mouvement nationaliste, il subsiste une permanence et une continuité dans les idées sans faille. La rubrique traite des thèmes et des sujets les plus riches et les plus variés.

On y retient, entre autres, que « La position nationaliste clairement affirmée s’oppose à toute tentative d’association, d’intégration dans le cadre politique français. Aïssat Idir et l’équipe de rédacteurs traitent régulièrement de l’actualité politique, syndicale, maghrébine et mondiale.

Ils publient des informations sur les positions politiques des leaders syndicalistes : Ferhat Hached (Tunisie) et Mahdjoub Ben Seddik (Maroc) ». (Mohamed Farès - Aïssat Idir - p.27 - Ed. Andalouses - Alger - 1992).      

Jusqu’en 1951, la discrimination dans la distribution des salaires entre Européens et Algériens est encore une réalité. La commission des affaires sociales et syndicales suit de très près la situation. Aïssat Idir, sous le pseudonyme de Mohand Amokrane, déplore ces inégalités dans la rubrique Le Prolétariat algérien de l’Algérie libre et fait état avec clarté et sans équivoque une discrimination on ne peut plus criarde et manifeste : « Ainsi les syndicats acceptent deux types de salaires minimum, l’un pour la fonction publique, l’autre pour l’industrie. 

On laisse faire une discrimination raciale dans les salaires : hauts salaires aux ouvriers qualifiés et bas salaires aux manœuvres algériens. Il y a des inégalités flagrantes dans la solidarité prolétarienne, dans toutes les corporations ».

Le rédacteur déplore, en sus, l’abandon des grévistes algériens : « Nous notons, en effet, avec regret le fléchissement dans les mines : au Kouif 2000 mineurs font grève durant 70 jours sans solidarité ouvrière ; à Timezrit, les mineurs soutiennent une grève de 120 jours sans appui ; à Kenadsa 3800 mineurs résistent 67 jours sans défense syndicale ». (L’Algérie libre n° 38 du 8 novembre 1951 - Cité par Mohamed Farès dans Aïssat Idir - pp.32, 33).

Le mouvement de protestation s’amplifie. En décembre 1952, 4500 mineurs sont en grève. De Boucaïd (Ouarsenis), les arrêts de travail s’étaient élargis aux mineurs de l’Ouenza et Kenadsa. Le PCA a mené une campagne de solidarité avec les mineurs et leurs familles en demandant aux commerçants d’assister les grévistes en souscriptions, en vivres et vêtements  eu égard aux rigueurs de la saison hivernale.

Les Algériens syndiqués à la CGT et qui appartiennent au PPA-MTLD reprochaient aux dirigeants Européens cégétistes de ne pas être à la hauteur des exigences et des revendications des travailleurs algériens.

Il semblerait que le caractère mixte incarné par la CGT faisait en sorte que la centrale voguait dans les mers des revendications sociales sans jamais atteindre la vitesse de croisière  tout en affichant du recul et de la prudence dès lors que la question nationale était évoquée.
Les préoccupations de l’élément autochtone n’étaient pas le souci majeur de la CGT.

Une mixité vécue dans le PCA avec le même dilemme qui laissait toujours en suspens la question nationale, de même que la question sociale changeait de forme dès lors qu’elle s’adressait à l’un ou l’autre des éléments des deux communautés qui peuplaient tant l’organisation syndicale (la CGT que l’organisation politique (Le PCA).

A suivre 

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