Histoire

Un criminel nommé Achiary

Publié par Par Amar Belkhodja le 04-06-2014, 18h06 | 78
|

« Dans l’enfer de Guelma, l’épouvante s’amplifie. Au nom de la République, à l’ombre de la bannière tricolore, la terreur s’instaura. Les exécutions collectives commencèrent au rythme rapide des mitrailleuses en action. Le sang musulman, un sang généreux, versé à flots pour l’honneur de la France et l’affranchissement de l’humanité, continua à couler pour le plus grand profit du plus grand reich colonialiste ». (Abdelkader Safir - Egalité du 29 septembre 1947).

«Rien de solide ni de durable ne peut être construit sur la contrainte, la violence et l’assassinat». (Ahmed Hadj Ali - Membre du Bureau politique UDMA - La République algérienne n° 352 du 15 mai 1953 - Article intitulé : un douloureux anniversaire : 8 mai 1945 - 8 mai 1953).

Au lendemain de l’indépendance nationale - juillet 1962 - les massacres de mai et juin 1945 n’auront que très peu de place dans les manuels scolaires. A croire que les « leçons d’histoire » furent puisées chez les complices d’une France coloniale qu’il ne fallait pas trop accabler de grands crimes contre l’humanité. Et vaille que vaille, les 45 000 victimes de Guelma, Sétif et Kherrata furent banalisées par cette parcimonie de l’écriture historiques compensée - heureusement - par des journalistes postindépendance qui accomplirent des investigations riches et combien méritoires.

Toutefois ces escapades qui interpellent l’Histoire à venir déposer à la barre, nous éloignent quelque peu de notre sujet principal : les massacres de mai et juin 1945. Et, malheureusement, à ce niveau aussi, les abcès de fixation ont commis des ravages sur la mémoire aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte ; tout simplement parce que le drame de notre peuple ne fut pas abordé et traité avec l’intérêt qu’il méritait. Les conséquences de ce « désintéressement historique » se résument dans deux attitudes qui ont bloqué toute  forment de questionnement. La première nous renvoie à cette image simpliste que nous avons dans l’interprétation des faits et des événements de l’Histoire.

Ainsi par exemple, des compatriotes, profanes ou avertis, des jeunes pour la plupart, qu’il nous a été donné de croiser, ont toujours cru et maintiennent fortement dans leur esprit que les 45 000 Algériens - tous âges et toux sexes confondus - furent anéantis en une seule journée, c’est-à-dire le 8 mai 1945. Et pourtant… «La milice étant officiellement dissoute (18 mai) les violences civiles ralentirent fortement, mais ne cessèrent pas dans les petits centres de la région.

Elles durèrent jusqu’à la fin du mois de juin 1945, ce que reconnut le juge d’instruction du tribunal militaire de Constantine chargé de l’affaire après le transport de justice qu’il effectue à Guelma en janvier et février 1946» (Jean-Pierre Peyroulou - p. 176). Le même auteur précise en sus «Le mois de juin demeurera meurtrier.

Le chef de bataillon Hubin, commandant le 50è bataillon mobile de tirailleurs marocains rapporte dans son rapport sur le mois de juin avoir vu « les équipes de tueurs composées de Français et de prisonniers italiens se promener dans le pays, tuant bestialement sans contrôle ni jugement et par centaines tous les indigènes qui se présentaient devant eux.» (Jean-Pierre Peyroulou - p. 181).

Ceci dit  en ce qui concerne le premier comportement relatif à la durée de l’hécatombe dans le temps, la deuxième attitude, aussi compromettant que la première, c’est celle qui a trait à une absence de questionnement, à savoir pourquoi le drame est  toujours évoqué à travers les MORTS mais jamais par des blessés.

Nous tenterons de répondre à ces deux questions. D’emblée, il faut affranchir la conscience que le massacre a débuté le 8 mai 1945 et va se poursuivre jusqu’au mois de juin et, selon certains écrits, jusqu’à juillet 1945. En 1946, des parlementaires algériens, proposant une résolution suggérant la mise en place d’une commission d’enquête, signalent la durée des événements dans le temps :

«L’assemblée nationale constituante décide de procéder à une enquête sur les causes, le déroulement et les responsabilités dans les événements de mai, juin et juillet 1945 en Algérie, et de nommer à cet effet une commission de douze membres». (Egalité n° 36 du 18 août 1946).  Ceci expliquant cela, l’étendue du massacre dans le temps et dans l’espace explique l’ampleur et le bilan si lourd de la tuerie collective. Les blessés, on ne voulait pas qu’il y en ait. Seule la mort était formellement programmée. Sans pitié pour les blessés. Il faudra les achever. La milice a bien achevé des Algériens terrassés par le typhus sur leur lit de mort. Une pire lâcheté. Où faudrait-il bien aller la chercher ?

Certains lecteurs ou historiens, sur l’une ou sur l’autre des deux rives, m’accuseraient de laisser le sentiment et l’émotion l’emporter sur l’objectivité, la raison et la rigueur. Cependant je suis en droit de répliquer qu’il est très mal aisé d’afficher une froideur face à tant de mal fait aux algériens et aux horreurs qu’ils ont subis par le fait que le racisme primaire et virulent est revenu subitement à la surface pour rappeler le «classement» aux appartenances ethniques.

Le peuple vaincu n’avait droit à quoi que ce soit depuis 1830 et en 1945, son seul droit était de mourir. Abdelkader Safir - un talentueux et brillant journaliste - qui consigna des témoignages alors que le sang des algériens était encore chaud, les souvenirs vifs et les blessures béantes, a pu reconstituer l’appel au meurtre propagé par une milice criminelles et raciste. Reproduisons donc à l’attention de ceux qui ne le savent pas encore ce «morceau choisi» puisé chez une communauté qui a toujours refusé d’être intégrée à la majorité, en refusant en même temps à celle-ci de lui être assimilée :

«Ohé, fonctionnaires, ouvriers, colons, hommes, jeunes gens et même vous, femmes d’origine française, maltaise, italienne, espagnole, ou tout autre, - qu’importe ! Pourvu que vous soyez Européens - Venez ! Unissez-vous. Venez au salut de vos privilèges aujourd’hui menacés. Accourez donc ! Voici des révolvers, des fusils, des mousquetons, des mitrailleuses en nombre !

Choisissez, prenez, armez-vous au nom du colonialisme généreux et humain et tuez-nous tous ces Arabes, ces vaincus de 1830, ces va-nu-pieds, ces haillonneux, ces ventre creux, faits pour vous servir et qui osent maintenant parler de droits des gens, de dignité humaine et poussent la prétention jusqu’à vouloir être nos égaux et vivre comme des hommes sur cette terre d’Algérie qui doit nous appartenir pour l’éternité». (Cité par Abdelkaader Safir - Egalité n° 94 du 12 septembre 1947).

La réaction si violente de l’armée française qui engage derrière elle une milice haineuse et portée sur le crime, tend, pour certains historiens français, à se justifier par cette peur manifestée par une minorité de pieds noirs, qui craint d’être menacée par une majorité de musulmans, fanatisés et qui déclarent la guerre «sainte» que l’historiographie a qualifiée en tant que telle. La peur est amplifiée et accentuée par une rumeur reprise plus tard dans un livre (Paul Reboux) qui avertissait qu’il n’y avait pas d’autre alternative que «la valise ou le cercueil».

Menace exhumée à nouveau par l’OAS en 1962 et qu’on voulut attribuer au FLN pour inciter la communauté française d’Algérie à quitter au plus vite le pays. Charles-André Julien aborde la question en apportant des précisions : «Il semble que ce soit après l’affaire de Sétif que se répandit le slogan désormais célèbre : «La valise ou le cercueil». Reboux- Notre, qui lui donne crédit, signala «la petite inscription que l’on a pu voir sur les murs de certains villes d’Algérie» pp. 27-28 mais ne constata personnellement le fait nulle part.

Les journaux d’Algérie, si avides de documents contre les nationalistes, ne publièrent aucune photographie. Le nationaliste ne prit pas la formule à con compte. Au surplus, pendant la guerre, beaucoup d’Européens crurent que le FLN l’avait inventée (…) Je crois que le slogan est un produit non de l’hostilité des Algériens mais de la psychose des colons ». (Charles-André Julien - L’Afrique du Nord en marche - p. 378 - Julliard - 1972). En 1945, entre « la valise et le cercueil, une troisième « alternative» consistait à agir rapidement pour «massacrer les massacreurs».

La vérité est que les émeutes et les attaques de colons n’avaient outrepassé trois journées seulement avec un bilan de 102 morts (Rapport Tubert) parmi la communauté française d’Algérie. Au-delà du 11 mai 1945, aucune victime parmi les français d’Algérie ne fut à déplorer. La chasse à l’arabe est ouverte, l’aman est refusé. C’est ainsi qu’il faudra affirmer aujourd’hui que les massacres de mai et juin 1945 s’identifient à une véritable opération génocidaire décidée manu-militari sur un espace déterminé et limité par des circonstances très particulières.

Ce n’est pas parce que la tuerie collective ne s’était pas étendue sur l’ensemble du territoire que l’on s’abstiendrait d’évoque ici qu’il s’agissait bel et bien d’un acte génocidaire contre une communauté établie, d’une part dans région composée de Sétif et Kherrata et, d’autre part, dans une deuxième région, pourtant éloignée du théâtre initial du drame, la région de Guelma. 

Que l’armée française, exécutant les ordres du général de Gaulle, ait décidé qu’il n’y ait pas de blessés et uniquement des morts parmi les algériens, cela dénote amplement du comportement délibéré et prémédité des auteurs des sinistres exploits et de la conduite des tueries par un criminel de sinistre mémoire : André Achiary.

 

|
Haut de la page

CHRONIQUES

  • Walid B

    Grâce à des efforts inlassablement consentis et à une efficacité fièrement retrouvée, la diplomatie algérienne, sous l’impulsion de celui qui fut son artisan principal, en l’occurrence le président de la République Abdelaziz Bouteflika, occupe aujour

  • Boualem Branki

    La loi de finances 2016 n’est pas austère. Contrairement à ce qui a été pronostiqué par ‘’les experts’’, le dernier Conseil des ministres, présidé par le Président Bouteflika, a adopté en réalité une loi de finances qui prend en compte autant le ress

  • Walid B

    C'est dans le contexte d'un large mouvement de réformes sécuritaires et politiques, lancé en 2011, avec la levée de l'état d'urgence et la mise en chantier de plusieurs lois à portée politique, que ce processus sera couronné prochainement par le proj

  • Boualem Branki

    La solidité des institutions algériennes, la valorisation des acquis sociaux et leur développement, tels ont été les grands messages livrés hier lundi à Bechar par le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales Nouredine Bédoui.

  • DK NEWS

    Le gouvernement ne semble pas connaître de répit en cette période estivale. Les ministres sont tous sur le terrain pour préparer la rentrée sociale qui interviendra début septembre prochain.

  • Walid B

    Dans un contexte géopolitique régional et international marqué par des bouleversements de toutes sortes et des défis multiples, la consolidation du front interne s'impose comme unique voie pour faire face à toutes les menaces internes..

  • Walid B

    Après le Sud, le premier ministre Abdelmalek Sellal met le cap sur l'Ouest du pays où il est attendu aujourd'hui dans les wilayas d'Oran et de Mascara pour une visite de travail et d'inspection.