Histoire

Un criminel nommé Achiary

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 08-06-2014, 15h05 | 354
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« Dans l’enfer de Guelma, l’épouvante s’amplifie. Au nom de la République, à l’ombre de la bannière tricolore, la terreur s’instaura. Les exécutions collectives commencèrent au rythme rapide des mitrailleuses en action. Le sang musulman, un sang généreux, versé à flots pour l’honneur de la France et l’affranchissement de l’humanité, continua à couler pour le plus grand profit du plus grand reich colonialiste ». (Abdelkader Safir - Egalité du 29 septembre 1947).

Immédiatement après ces premiers incidents, Achiary rejette toute assistance que lui propose certains élus algériens, en leur jetant à la face haut et fort, en présence du maire de Guelma : «Il n’y a plus personne qui compte maintenant, ni élus, ni maires, ni notables ; il n’y a que moi que ça regarde». (Marcel Reggui - renvoi 9 - p.80).  

Une aubaine pour ce spécimen aux méthodes brutales et expéditives. Il a un palmarès en la matière copieusement chargé. Il accapare les pleins pouvoirs, les exerce sans partage et ouvre grand le portail aux meurtres et à tous les abus, en toute impunité : « A la sous-préfecture veillait un homme qui sentait l’occasion favorable pour réduire à néant les aspirations des musulmans.

A Guelma, comme à Constantine, il rencontrait le soutien et les encouragements nécessaires. Aussi s’engagea-t-il totalement dans la répression. Elle fut à la mesure de ses désirs les plus secrets : roi et seigneur dans son domaine, il exerça les représailles les plus atroces contre une population médusée, inerte et affolée». (M. Reggui - p.81).

Le soir même du 8 mai, André Achiary convoque la milice qui, au fil des jour, va atteindre un effectif de 800 hommes pour se lancer dans le tueries dans l’impunité la plus totale sous l’œil bienveillant et encouragent du sous-préfet, un proconsul des temps modernes qui se transforme aussitôt en chef d’une communauté ethnique, ordonnateur d’un vaste «règlement de comptes racial» et promoteur d’un ordre nouveau, de type «révolutionnaire».

Cet ordre nouveau et illégal disposait de ses propres institutions : une milice et son conseil de guerre, un tribunal désigné sous les noms de « comité de salut public» ou «cour martiale» et chargé d’envoyer à la mort les «condamnés», un comité de vigilance rassemblant les élus et chefs de partis européen. (Préface de Jean-Pierre Peyroulou - Les massacres de Guelma de Marcel Reggui - pp.22-23).

Sur le terrain de «bataille» point de guerriers ou d’insurgés qu’il fallait combattre mais de pauvres paysans traqués après un soulèvement improvisé et éphémère, qu’on pourchassait ou qu’en rencontrait sur les chemins de la campagne.

Comme dans la région de Sétif, les troubles ont gagné la campagne de Guelma où quelques attaques de colons furent signalés çà et là mais sans ampleur et qui se sont d’ailleurs limités dans le temps et dans l’espace. On était bien loin de cette image qui voulait faire admettre que des milliers de paysans musulmans s’étaient armés (quelles armes ?) pour anéantir les «roumis». 

«Malgré la disparition du danger, l’aviation continua à bombarder et à mitrailler chaque jour les populations des douars qui se réfugiaient dans le djebels du nord et du sud, que les autorités civiles et militaires qualifiaient de « rassemblements d’indigènes». Les automitrailleuses de combouriens «parcouraient» la région au cours d’opérations denettoyages, guidées par les colons et les miliciens. (Jean-Pierre Peyroulou - p.164).

A partir du 12 mai 1945, plus aucun incident ne fut signalé dans la campagne guelmoise. D’ailleurs l’intervention rapide de l’aviation française commença à faire fuir les populations, abandonnant leurs biens et leur bétail, livrés bientôt au pillage par l’armée, les supplétifs et la milice.

C’est alors que nous allons évidemment assister à l’esprit de vengeance, venger les quelques victimes européennes en décrétant la mise à mort de milliers d’algériens, traqués par la faim, terrorisés par les bombardements aériens et pourchassés et assassinés froidement par une milice qui va multiplier ses expéditions punitives.

Sans ordres formels des autorités centrales sur les «modalités» pratiques à mettre en place, André Achiary réunit son état-major (le président de la France combattante, le secrétaire de l’union des syndicats CGT, le président des anciens combattants ainsi que le colonel de la garnison et le commissaire de police) et annonce la mobilisation de la milice qui, dès le 9 mai 1945 est sur le pied de guerre. De fait, on lui octroie les pouvoirs spéciaux et personne ne s’inquiétera à contrôler les abus qu’elle va commettre. Colons, commerçants, fonctionnaires et leurs enfants s’avisent avec haine et empressement à se mettre à l’œuvre…macabre. 

Achiary signe le premier forfait. Le 9 mai il fit arrêter les neuf membres de la section AML (Ami du manifeste et de la liberté). Ils sont exécutés le lendemain. «Il s‘agit du trésorier de la section locale des AML (quarante ans), du secrétaire général (vingt-quatre ans) et de sept ‘propagandistes’» le plus âgé a vingt-quatre ans, le plus jeune dix-neuf) En prison, ils passent leur nuit à chanter des chants patriotiques qui épouvantent le gardien de prison. Au matin, un camion vient les chercher, ils seront fusillés sans procès. (Annie Rey-Goldzeiguer -p.3065). Entre-temps, la police dresse la liste de l’ensemble des adhérents de ce puissant mouvement né une année à peine auparavant. 

Les «suspects» qui devaient comparaître devant la «cour martiale» provenaient de la confection de quatre listes. La première et la plus importante fut celle, évidemment, des adhérents AML, établies à partir d’archives saisies chez l’un des responsable de la section. Une deuxième liste fut fatale pour les membres, professeurs et élèves des trois médersas de la ville. Un autre paradoxe. Les Algériens affiliés à la CGT locale ne furent pas épargnés. La liste de ces malheureux travailleurs fut fournie aux bons soins de Gabriel Cheylan, secrétaire de la CGT qui n’hésita pas à dénoncer ses «frères de sueur».

La quatrième liste, enfin, c’est celle qui arrange les «appétits politiques» de psychiatre Smaïl Lakhdari. C’est ce renégat qui, profitant de cette «tuerie massive» si opportune, fournira tous les noms d’adversaires politiques qui étaient susceptibles de lui dérober quelques suffrages aux futures élections, en les accusant d’être des sympathisants des courants culturels ou nationalistes. Le Gouverneur général de l’Algérie ne signera la mesure d’interdiction des AML que le 14 mai 1945.

A Guelma, Achiary s’active dans l’anticipation et passe outre les autorités centrales qu’il n’attend pas d’ailleurs. Le 9 mai 1945, la section AML de Guelma est complètement anéantie sans aucune autre forme de procès. Charles de Gaulle saura tout cela. Mais Achiary n’ira jamais à la potence. Il persistera, la haine au cœur, presque deux mois durant, à diriger personnellement l’hécatombe qui frappe effroyablement la ville de Fatma-Zohra Reggui, victime de la horde des tueurs. 

Fatma-Zohra Reggui, âgée de 30 ans ; connue pour sa double culture, subit les pires affronts pendant sa détention à Guelma. Elle est torturée à mort par les miliciens qui lui rasent sa chevelure et lu firent subir les derniers outrages. Toutes les humiliations subies avec douleur dans son corps et dans son honneur n’altèrent pas un seul instant son admirable dignité. Elle cracha son  mépris à ses tortionnaires, arracha le bandeau qui lui recouvrait les yeux et cria «Tahia El Djazaïr - Vive l’Algérie» avant d’être fusillés par la milice d’Achiary le 17 mai au niveau de la Fontaine chaude à Hammam Maskhoutine.

Je devais un jour, le 8 mai 2004, me recueillir à cet endroit à la mémoire de la martyre de Guelma. Des lieux de pèlerinage auxquels nous invite Marcel Reggui, le frère de la martyre : «Des lieux resterons célèbres et, lorsque la liberté sera accordée aux Algériens, nous les convions à honorer ces endroits qui ont pour noms Kef El Boumba, la carrière d’Aïn Defla, celle du cimetière musulman. Des centaines des leurs y ont été sacrifiés par la colonisation défaillant. Il importe de leur rendre l’honneur qu’ils méritent et de les laver d’une accusation grossière autant qu’injuste» (M. Reggui -p.110).

Chaque village aura sa propre milice. La plus important est évidemment celle de Guelma qui est placée sous le commandement d’Henri Garrivet, secrétaire de la section socialiste, Gabriel Cheylan, secrétaire de la CGT et Marcel Champ président des anciens combattants socialisant lui aussi. Cinq communistes de la localité figurent parmi les miliciens les plus zélés. Bien après le drame, ils seront exclus du PCA.

Qui rectifie le tir après avoir accusé «les émeutiers du 8 mai 1945 d’être à la solde du  fascisme hitlérien».
«Le PCA prit une part directe et active dans la répression, notamment à Guelma et sa région. C.H. Favrod a cité, sans être démenti, les noms de trois dirigeants du PCA, responsables actifs de la milice dans cette région, ayant participé à des exactions ; qui furent quelques mois plus tard, officiellement exclus du parti». (Roger Vétillard -.149).

L’appartenance à la race supplante subitement celle de la classe. (Sayhet ou arfet oumaliha - la chèvre, bêlant, a reconnu les siens) dit l’adage chez nous. Les Italiens prisonniers en Algérie, furent appelés à la « rescousse » et participèrent de cœur joie aux tueries. Alors ici également c’est l’idéologie de la race qui se substitue à l’idéologie fasciste combattue par les Alliés. Pour être davantage précis, le commissaire Tocquard, celui qui servit avec zèle le régime de Vichy, se convertit au gaullisme et va se distinguer par les plus tristes exploits aux côtés du sous-préfet de Guelma. 

Bien après les tragiques événements, le PCA soutiendra la campagne sur la loi d’amnistie qui sera votée le 9 mars 1946. Plusieurs députés appartenant à cette formation politique, reviendront sur les abus commis : «La répression a largement débordé les limites de l’émeute dans l’espace et le temps» (José Aboulker, député communiste - Cité par R.Vétillard - p.150).

C’est le maire de Philippeville (Skikda), Paul Cuttoli qui déclare devant l’Assemblée : «Cette répression a été violente et excessive notamment dans la région de Guelma. Obeissant aux ordres du sous-préfet de cette ville, les gardes civiques qui avaient été organisées en plein accord avec l’autorité militaire, le maire et les dirigeants des groupements de la résistance et des anciens combattants, se seraient livrées à de déplorables excès… Des indigènes incarcérés à la prison de la ville auraient été arrachés à leurs gardiens et fusillés. (R.Vétillard - p.150).

Même les membres de la direction du PCA sont allés vite en besogne et dénoncent avec virulence les troupes du PPA. D’ailleurs Ferhat Abbas et les éléments de l’association des oulama s’alignent sur cette thèse, accusant le PPA clandestin d’avoir fomenté les troubles et poussé ainsi les manifestants à la boucherie. C’est Amar Ouzegane qui, ne mâchant pas ses mots, se rue sur les «coupables» : (…)

Les instruments criminels, ce sont les chefs PPA tels Messali et les mouchards camouflés dans les organisations pseudo-nationalistes. Il faut châtier rapidement et impitoyablement les organisateurs de ces troubles, passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute». (Amar Ouzegane, secrétaire général du PCA - Liberté du 12 mai 1945 - Cité par R. Vétillard - Sétif, mai 1945 - p.149).

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