Histoire

Un criminel nommé Achiary

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 09-06-2014, 16h19 | 171
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« Dans l’enfer de Guelma, l’épouvante s’amplifie. Au nom de la République, à l’ombre de la bannière tricolore, la terreur s’instaura. Les exécutions collectives commencèrent au rythme rapide des mitrailleuses en action. Le sang musulman, un sang généreux, versé à flots pour l’honneur de la France et l’affranchissement de l’humanité, continua à couler pour le plus grand profit du plus grand reich colonialiste ». (Abdelkader Safir - Egalité du 29 septembre 1947).

La terreur s’installe aussitôt à Guelma. L’obsession du complot, grossier prétexte, pousse Achiary et sa milice à mener une chasse impitoyable à tous les «suspects», c’est-à-dire à tous ceux appartenant au mouvement des AML ou qui appartiennent au PPA clandestin, à la médersa libre, aux SMA.

Les perquisitions se poursuivent dans l’espoir de mettre la main sur des listes où figureraient les noms des «comploteurs». Tous les documents sont confisqués, y compris ceux détenus par la sous-préfecture qui confie aux tueurs la liste des membres du conseil d’administration de la médersa, jouissant pourtant d’une existence légale. La CGT fournit elle aussi la liste de ses adhérents musulmans (!).

«Le 9 mai, la liste des adhérents des AML, du conseil d’administration de la médersa et des membres musulmans des syndicats de Guelma est remise à la milice par l’inspecteur Bérard. Cela entraîne l’arrestation de 2 500 personnes. Un conseil de la milice en cour martiale, les interroge, en relâche certains et conduit les autres à la prison civile. Les prisonniers sont retirés individuellement sans levée d’écrou». (R. Vétillard - p.144).

Ainsi, le pouvoir judiciaire et pénal se trouve entre les mains de la milice qui rappelle les tribunaux des Ku Klux Klan de l’Amérique du nord. Après la première exécution des neuf membres de la section AML le 9 mai, les assassinats collectifs vont se multiplier en série, sans instruction légale, sans procès. C’est par camions entiers que les malheureux prisonniers étaient extraits de leurs lieux de détention, emmenés aux extrémités de la ville et mitraillés lâchement.

«Chaque matin à 6h, un camion des Ponts et chaussées, escorté par des miliciens et des gendarmes, conduit, hors de la ville une vingtaine d’hommes. Après quelques minutes, le camion s’arrête, les condamnés sont alignés au bord de la route et sont exécutés sans autre forme de procès. Le camion rentre ensuite en ville. Le soir, une demie heure avant la tombée de la nuit, nouveau voyage ». (R. Vétillard - p.198).

Ces voyages macabres ont duré une dizaine de jours sans interruption. Trois cents algériens ont péri au terme de ces voyages de la mort. Une immolation décidée, programmée et menée par des individus mus par un désir morbide de perpétrer un réel génocide si l’on prend en compte l’ampleur du massacre et de cet acharnement à l’encontre d’une population désarmée et accusée de ce «complot» qui va engendrer et justifier tous les abus, toutes les horreurs, toutes les atrocités, toutes les humiliations.

Les humiliations ? Ce sont les maltraitances et les tortures pratiquées par le gendarme et les miliciens de Guelma contre la population algérienne. Marcel Reggui, dans son réquisitoire, rapporte quelques « échantillons » de ce ses compatriotes avaient subi, les uns avant de mourir, les autres rescapés par des circonstances miraculeuses :

«A coups de crosses et de triques, à trois ou quatre miliciens, avec un zèle mais las, toujours enthousiaste, ils battaient le musulman, partout, sur la bouche, sur le front, sur les parties sexuelles, sur le dos, sur les tibias. Et longtemps. Longtemps. Ni cris, ni prières, ni hurlements ne les arrêtaient. Au contraire, ils éprouvaient une joie sadique à martyriser ces corps jeunes ou vieux, toute leur haine, et leurs forces enfin fléchies, ils contemplaient ave une joie sauvage ce corps inerte, dégoulinant». (M. Reggui - p.90)
(1) Faut-il rappeler que l’armée française va se comporter de la même manière pendant la guerre d’Algérie (1954-62), avec évidemment autres innovations en la matière et autres moyens plus « sophistiqués ».

L’armée française, émule de la milice de Guelma. Il n’y a pas de plus déshonorant. (Note de  l’auteur).
La liste des inculpés grossit avec la complicité active d’un «indigène» auxiliaire du régime colonial, zélé et haineux de ses propres compatriotes. C’est le psychiatre Smaïl Lakhdari qui dénonce les éléments les plus connus dans les milieux nationalistes auquel se joint le juif Amar qui fit exterminer 40 à 70 scouts du groupe «Ennoudjoum». Smaïl Lakhdari s’était déjà déclaré adversaire de Ferhat Abbas, reniant le Manifeste et proclamant haut et fort « qu’il n’ira pas en prison comme Ferhat Abbas pour un peuple pourri» :

«Tout le monde sait que ce personnage, efféminé, flasque et tartuffe, était à Alger le 8 mai. Le gouverneur général Chataigneau mit à sa disposition son avion personnel pour le transporter à Guelma, au milieu de ses malheureux électeurs. Le lâche refusa, préférant sauver sa  pauvre et dégoûtante peau. Ce Juda qui vendit ses frères osa se représenter à leurs suffrages. Réélu en 1945, contre les volontés d’Achiary, il vient de mordre la poussière aux élections du 2 juin 1946. Puis-t-il se souvenir, ainsi que Caïn, de ses frères dont il avait livré les noms à l’administration française, qui n’eut plus qu’à puiser sur ses listes !» (Renvoi 19 - M. Reggui - p.95). 

   Guelma est sous le règne de la milice qui met la cité en état de siège. Ses sections patrouillent, perquisitionnent, procèdent aux arrestations dans les milieux lettrés ou réputés appartenir ou sympathiser avec les courants nationalistes, notamment avec le tout récent rassemblement des AML. Les trains en transit dans la gare de Guelma donnent lieu à des perquisitions et des fouilles. Malchanceux ce passager qui détient une carte AML. Les voyageurs sont délestés de leur argent.

Achiary proclama que ces sommes dérobées par les miliciens étaient destinées à alimenter «le complot». Pillés, les passagers sont conduits en dehors de la ville pour être exécutés. Un grand malheur s’est abattu sur la ville de Guelma. Sa jeunesse, la fine fleur, est complètement décimée par la volonté morbide du sanguinaire Achiary. «Bras armé du comité de salut public, la milice se comporte désormais en organisation paramilitaire terroriste, reconnue de fait par les représentants de l’Etat». (Jean-Louis Planche - p.200).

Une milice protégée et encouragée dans la poursuite du crime par son sinistre initiateur André Achiary. Encouragée aussi par le colonel Duvel qui se déplace de Constantine pour soutenir les tueurs dans leur œuvre diabolique et malfaisante. «Faites votre devoir, les rassure-t-il. Continuez à assurer l’ordre par tous les moyens et montrez que la France est puissante». (Voir le reportage d’Abdelkader Safir).

L’atmosphère est horrifiante dans Guelma. Un véritable état de siège sévit. Les patrouilles mixtes - milice, gendarmes, hommes de troupe - arpentent les voies urbaines. Le couvre-feu est décrété depuis la soirée du 8 mai. Les places publiques sont désertes, les attroupements interdits, les arrestations se poursuivent tous les jours. Le 9 mai, c’est Achiary qui fit arrêter et exécuter les neuf membres de la section AML. Le sous-préfet et ses complices sèment désormais la terreur.

L’angoisse est étouffante. La peur d’être arrêté à tout moment et exécuté sur le champ, prend à la gorge les éléments de la communauté musulmane et surtout les adhérents et sympathisants du mouvement des AML qui avait regroupé depuis avril 1944 toutes les forces de différentes origines : le PPA de Messali, l’association des ouléma ainsi que tous les amis de Ferhat Abbas dont le nom et l’influence remontent depuis les 1920, c’est-à-dire pendant l’époque où il fit son baptême aux côtés de  Mohamed-Salah Bendjelloul de la Fédération des élus et champion de l’Entente franco-musulmane.

Les arrestations se multiplient. On réquisitionne tus les locaux disponibles pour y entasser la masse des algériens. «Toute la journée, les miliciens continuèrent à arrêter les personnes que le comité de vigilance désignait. Comme leur nombre augmentait à toute heure, le sous-préfet fit réquisitionner de nouveaux locaux : la prison civile, la caserne, le local des scouts, un garage, une huilerie». (M. Reggui - p.93).

Plusieurs Guelmois sont dénoncés par un interprète qui répondait du nom de Fassi Abdelkrim. Gilbert Meynier écrira plus tard : «A Guelma, avec la complaisance active du sous-préfet Achiary, plusieurs centaines de gens furent ramassés par camions.  Les prisonniers furent extirpés de la prison. Après une parodie de jugement, plusieurs centaines furent exécutées près des fours à chaux d’Héliopolis et Belkheir. Une rumeur insistante encore bien vivante dans le constantinois à la fin des années 1960, parlait des cadavres brûlés dans les fours à chaux au lieu-dit El Hadj Embarek ». (G. Meynier - Histoire intérieure du FLN - p.67 - Casbah Editions -Alger - 2003).

Dans son ouvrage - certainement le plus documenté - Sétif, mai 1945, massacres en Algérie, Roger Vétillard, s’attarde-t-il en fait un souci majeur - à débusquer les «erreurs» commises par des historiens qui ont traité le sujet et, satisfait de les confondre, est grisé par les démentis qu’il leur oppose. Mais à vrai dire, si nous acception d’appliquer à l’écriture historique la terminologie dite du FOND et de la FORME, nous accordons à l’auteur le scrupule et la minutie qui servent uniquement LA FORME. Il profit, par voie de conséquence, des « mensonges » véhiculés par la paresse cultivée, elle, par le « suivisme bibliographique », pour mettre en doute le FOND. 

En refusant lui-même d’aller au fond des choses et suggère au lecteur - surtout celui qui vivote avec des préjugés raciaux et culturels - d’accorder des circonstances atténuantes au sordide sous-préfet de Guelma, en livrant les ingrédients pour justifier les actes abominables sur «sauveur de Guelma», André Achiary. 
Voici, entre autres, une «dose bienfaitrice» que tente de nous inoculer R. Vétillard qui, implicitement, nous suggère de «féliciter» Achiary pour les grands services rendus aux colons de Guelma pour les avoir sauvé de la grande menace des arabes :

« Ce qui s’est passé à Guelma fera beaucoup écrie et parler : la personnalité du sous-préfet André Achiary, résistant, socialiste, gaulliste, ancien commissaire de police, homme à poigne, n’hésitant pas à prendre beaucoup d’initiative pour la défense de la ville et de l’arrondissement, explique la tournure particulière des événements qui va permettre aux nationalistes algériens et à leurs alliés, de dénoncer les horreurs de la répression et d’exploiter politiquement la situation». R. Vétillard - p.101).
Un témoignage à décharge, en quelque sorte, qui vise de déculpabiliser le bourreau qui a une idée bien faite des «Arabes», à savoir qu’ils ne peuvent prétendre à aucun droit, y compris le droit à l’existence.

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