Histoire

L’Emir Abdelkader vainqueur de la bataille du Mactaâ juin 1835

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 14-01-2014, 16h11 | 1484
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L’invasion française eut lieu un certain 14 juin 1830 avec le débarquement à Sidi Fredj de 37 573 hommes et d’un immense matériel de guerre. Le 5 juillet, après quelques combats livrés dans l’improvisation et le désordre, le dey Hussein cède docilement les clefs de la ville d’Alger ainsi que le trésor à l’armée française. Jusqu’à nos jours, un quartier « l’un des plus importants de la capitale » porte encore le nom du dernier dey de la présence turque dans notre pays. Il faut dire toutefois, que la capitulation de l’odjak ne fut pas synonyme de soumission du peuple algérien. 

C’est d’abord en rangs dispersés que la résistance s’organise aux portes d’Alger, révélant les noms de Ben Zaâmoun, de Ben Saâdi, des Hadjoutes  qui se rallièrent ensuite sous un seul commandement : celui d’Abdelkader. Dans l’Oranie, Mohieddine prend la tête du soulèvement et attaque plusieurs fois Oran, abandonnée par le dey Hassan aux Français qui l’occupèrent dès 1831

. Le fils de Mohieddine, Abdelkader, âgé à peine de 20 ans, se trouve au cœur de ces premières batailles et se distingue par sa témérité et sa bravoure. L’historiographie évoque le futur chef de la résistance nationale en termes exceptionnels : « On remarque au premier rang un jeune cavalier, intrépide qui galopait au milieu des boules, les saluant de plaisanterie, et ramassait les blessés à la fin du combat sous le feu des Français. Son sang-froid son courage, attirèrent d’autant plus l’enthousiasme des Arabes que son invulnérabilité se liait pour eux à la sainteté de son  père. »

Ou encore : « Les combattants restaient stupéfaits et pleins d’admiration devant un jeune chef sui chevauchait sans peur et sans mal, partout où le danger menaçais, tantôt rompant les lignes des voltigeurs ennemis, tantôt chargeant un de  leurs carrés de défense et balayant leurs baïonnettes de ses charges au sabre, les boulets de canon qui sifflaient au-dessus de sa tête ou qui explosaient à ses pieds. »
Déjà se dessinaient les grands destinées d’un jeune homme qui se consacrait pourtant pour les choses du ciel avec lesquelles il ne renouera exclusivement qu’après avoir tenté de construire un Etat national fort, moderne, unifié et tenu tête à l’un des plus puissante armées d’Europe.

L’an née suivante, en novembre 1832, Abdelkader est plébiscité par les chefs de tribus de l’Ouest algérien  le portant par le serment d’allégeance à la tête de la résistance qui ne tardera pas à prendre un caractère national grâce aux prodigieuses qualités du jeune émir. En effet, c’est l’avènement d’un grand chef de guerre, doublé d’un fin diplomate, d’un grand chef d’Etat et d’un homme vertueux dont l’œuvre et la pensée viendront enrichir le patrimoine universel. Une année après, en juillet 1933, Mohieddine, le vieux cheikh de la zaouïa de Gueitna, est rappelé à Dieu. 


Son fils, proclamé Emir, va mener le plus dur et le plus long combat contre la pénétration française. En décembre 1833, il remporte l’une de ses premières victoire militaires sur le général Desmichels qu’il soumet ensuite à un blocus économique en interdisant aux Algériens de commercer avec les français. Desmichels est contrait de négocier avec le jeune chef qui exerçait d’ores et déjà les prérogatives d’un souverain.  Il traita donc en position de force, en ce sens que c’est Desmichels lui-même qui désira la trêve aux termes de deux correspondances successives, trêve conclue le 26 février 1834. Il s’agit là de la première victoire diplomatique qui permet à l’Emir Abdelkader d’inscrire le ralliement de nouvelles tribus et la mise en place et le renforcement des instituions du nouvel Etat national en formation.

Au plan économique, le jeune Etat jouit du monopole des exportations et des importations puisque le traité accorde à l’Emir l’exploitation exclusive du port d’Arzew, mais quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils se virent soumis au monopole qu’Abdelkader prétendait exercer dans cette place. L’Emir s’était constitué le seul négociant dans ses Etats. Il était interdit aux Arabes de traiter directement avec les Européens. Ils devaient vendre à l’oukil d’Abdelkader à des prix fixés par lui-même et en tout l’avantage des marchés des premières mains », (P.de Reynaud, Annales algériennes, pp.371-372).


Au plan du territoire, la souveraineté de l’Emir s’exerce au lendemain de la signature du traité de février 1834 sur une importante partie du pays. La trêve permet donc à l’Emir de gagner à la cause plusieurs tribus, d’organiser son armée et de la préparer à la poursuite de la lutte contre l’envahisseur français. Toutefois, son autorité est contestée par un groupe de féodaux habitués à défendre uniquement leurs privilèges. C’est pendant la trêve conclue avec les Français que l’Emir Abdelkader neutralisa Kadour Ben Mokhfi, Sidi-El-Aribi, Mustapha Ben Smaïl – le plus puissant de tous -  

et El-Ghomari à l’issue de la célèbre bataille de Meharez, le 12 juillet 1834, et de celle de la Mina, quelque temps après. Sidi-El-Aribi maître de la pleine du Chelif, est fait prisonnier à Tagdempt, nouvelle capitale de l’Emir. L’allier du Français meurt du choléra. Sa famille et même sa postérité soutiendront à qui voulait les entendre que Sidi-El-Aribi, leur aïeul, fut empoisonné par l’Emir Abdelkader.


Or, on sait que le chef de la résistance, profondément religieux, ne condamnait aucun de ses ennemis sans le faire comparaître devant un tribunal légalement constitué, puisque le fervent disciple d’Ibn El-Aribi, en même temps qu’il combattait l’envahisseur français, s’attelait avec savoir et intelligence à mettre en place les institutions d’un Etat fort, moderne, rigoureux et juste.


D’ailleurs, l’historiographie dément les accusations portées contre l’Emir : « Un conseil des cadis et des oulémas les condamna (Sidi-El-Aribi) à mort. Soit pour générosité naturelle, soit par crainte d’exciter le ressentiment d’une famille puissante, Abdelkader ne laissa pas exécuter la sentence. Sidi-El-Aribi fut cependant mis prison où murut peu de temps après le choléra.» (P. de Reynaud, Annales algériennes, t. I. 1856, p. 449) A la fin de l’année 1834, le gouvernement français ayant pu constater – tardivement – que les clauses du traité du 26 février 1834 sont à l’avantage de l’Emir Abdelkader, désavoue Desmichels.

Le gouverneur général Drouet d’Erlon semblait s’interroger comment le général Desmichels « a-t-il pu livrer en réalisé à Abdelkader la possession d’Arzew où nous tenons garnison, imposer à l’exportation des grains à un tarif arbitraire au gré de l’Emir qui on a des quantités considérables à livrer au commerce étranger tandis qu’il ne tient pas les conventions faites par lui pour approvisionner la place d’Oran ». (R. Villet, Le port d’Arzew et le traité Desmichels, 1947, p.7).

Dès janvier 1835, Desmechels tombe disgrâce laissant place au chef d’état-major, le général Trézel, loué par ses chefs pour « son instruction et sa province d’Oran à la recherche d’une autre gloire, est venu se mesurer aux guerriers de l’Emir, convaincu de les mâter et de reconquérir par la négociation. Dès qu’il prend son poste à Oran, Trézel cherche tout les prétextes pour violer les dispositions contenues dans le traité du 26 février 1834. Au cœur du conflit surgit la question de la souveraineté d’administration des tribus de l’ancien agha des Turcs, Mustapha Ben Smaïl, féodal intransigeant qui n’accepte pas et qui n’acceptera jamais de vivre sous la tutelle politique de l’Emir Abdelkader.

Le 16 juin 1835, Trézel prend la décision d’annexer unilatéralement les tribus Douaïr et Zmala du futur « général » de l’armée française, Ben Smaïl, qui depuis lors prend les armes pour combattre l’Emir Abdelkader. Sa postérité, les colonels Ben Daoud, les colonels Ould Kadi, le caïd H’lima, se distinguera comme une auxiliaire zélée du colonialisme français. L’Emir Abdelkader proteste les mesures prises par le nouveau général. En guise de réponse come François Mitterrand, à la veille de l’agression contre l’Irak, il opte le langage des armes. Les événements se précipitent. 

Le 26 juin 1835, Trézel s’en va en guerre, à la tête de 5000 hommes. Objectif : surprendre les troupes d’Abdelkader stationnées sur les rives de Sig et poursuivre la « randonnée » jusqu’à Mascara. Le colonel Trézel est aussitôt signalé. C’est d’abord dans la forêt « Moulay-Ismaïl » que les soldats de Trézel sont sérieusement accrochés. Le désordre gagne rapidement le cap français. Le colonel Oudinot est tué au cours de l’assaut des Algériens. On sonne la retraite pour limiter les dégâts.

En fin de journée, le général Trézel se tire difficilement d’affaire et tente de reconstituer ses troupes. Il bivouaque sur les rives du Sig, ruminant sa première défaite qui n’est que le prélude au désastre de Mactaâ. « Trézel doit déployer tout son énergie et tout son art de la guerre pour se sortir d’une situation devenue trop critique. C’est avec toutes les peines du monde qu’il franchi le col, se dégage de la forêt et rejoint la plaine où il sera moins vulnérable. » (S. Aouli, R. Redjala, Ph. Zoummeroff, Abdelkader, 1994, p.178)

« Après avoir passé la journée du 27 juin 1835 sur le Sig, Trézel poursuit dès le lendemain sa retraite sur Oran, mais il est de nouveau acculé au niveau des marées du Mactaâ. La colonne française n’était pas prête à cette attaque surprise à l’actif de la stratégie militaire de l’Emir qui exploite intelligemment les erreurs du général Trézel.

La colonne s’était introduite dans le défilé de l’Harba qui, avec l’oued Sig, donne naissance à la Macta, confluent des deux cours, situées à 12 kilomètres au nord de l’actuelle ville de Mohammadia. 
L’Emir, à l’affut du mouvement de la colonne, avait aperçu au préalable l’itinéraire choisi par Trézel. Il donne l’ordre à ses meilleurs cavaliers – un millier – de gagner à la hâte le défiler d’El Harba.

L’effectif guerrier de l’Emir passe simple au double, en ce sens que chaque cavalier prend un fantassin en croupe et rejoint le fameux défiler au galop, précédent ainsi la lente et lourde marche de Trézel. D’autres fortes conduites par l’Emir Abdelkader lui-même, coupent les arrières du convoi français.
A. B. 
(*) Journaliste-auteur
Membre fondateur de la Fondation Emir Abdelkader

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