Histoire

L’Emir Abdelkader vainqueur de la bataille du Mactaâ juin 1835

Publié par Par Amar Belkhodja le 15-01-2014, 14h38 | 1092
|

Puis, au moment propice, c’est l’offensif. Cavaliers et fantassins se ruent sur différents corps de la colonne ; les éléments se battent désespérément pour trouver une brèche salutaire.  

Les Béni Chograne et leurs officiers se distinguent héroïquement dans cette bataille qui sera désormais évoqué par l’Histoire comme l’une des plus célèbres batailles du combat que mène l’Emir Abdelkader contre l’envahisseur français. La mêlée est indescriptible.

L’arrière et l’avant-garde de la colonne française se bousculent dans un mouvement d’accordéon. Les troupes s’enlisent dans les marécages. Elles s’enfuient dans toutes les directions, pressées de quitter un champ de bataille dominé par les charges meurtrières des cavaliers et fantassins de l’Emir Abdelkader, qui se trouve lui-même au cœur de la bataille.

Beaucoup de soldats français, dans leur fuite périssent noyés. Les rescapés tentent de regagner Arzew. « Le désordre parmi les Français atteint son combe ; les corps d’armée sont mêlés et ne conservent rien de leur agencement initial (…) Dans une confusion indescriptible, des ordres fusent ; il est impossible au général (Trézel) de faire entendre les siens. Livrées à elles-mêmes, les troupes ne savent plus que faire.»
(Abdelkader, 1994,  cité p. 183).

L’Emir Abdelkader se retire du champ de bataille. Il avait pourtant tout les avantages pour décimer la colonne du prétentieux général. Le bilan est désastreux : 850 morts, des centaines de blessés. Les historiographes français minimisent les dégâts : « Nous eûmes dans cette fatale journée, 300 hommes tués et 200 blessés et nous perdîmes la plus grande partie de notre matériel. » (P. de Reynaud, Annales algériennes, 1856, p.466).

Eprouvés moralement et physiquement, les rescapés de la colonne de Trézel tentent de rejoindre Oran, presque à plat-ventre. Ils craignent que les guerriers d’Abdelkader ne viennent les surprendre de nouveau. Leur situation est lamentable, complètement épuisés les hommes de Trézel n’ont plus de force de rejoindre Oran par terre. Des bâtiments sont dépêchés à rescousse pour embarquer les survivants. La « traversée maritime »  d’Arzew à Oran explique à elle seule l’ampleur du désastre subit par la colonne du général Trézel qui fut à son tour replacé par le général d’Arlanges.

Le protecteur du renégat, Mustapha  Ben Smaïl emportera avec lui les mauvais souvenirs de la défaite du Mactaâ, évoquée dans les milieux militaires et politiques en termes de désastre.
Après la défaite du Mactaâ, l’armée française argumente notablement ses effectifs. L’Emir Abdelkader, conscient de la faiblesse numérique de ses troupes régulières, opte pour la stratégie de la guérilla, les affrontements directs de la guerre classique ayant occasionné des défaites.

Jusqu’aux derniers moments de la lutte, l’Emir Abdelkader, avec ce qui lui restait de troupes régulières (à peine un milliers de combattants tenait la dragée haute aux colonnes françaises qui lui donnent une véritable chasse depuis 1840, c’est-à-dire depuis que Bugeaud est nommé gouverneur général et qui espérait tuer ou capturer l’Emir à l’issue de quelques expéditions seulement.

Le duc d’Orléans avouait que « les partisans faisaient plus de mal aux français que tout le reste des forces ennemies et empêchaient l’armée de dormir en la tenant sur qui-vive perpétuel. »
L’Emir recommandait à sa cavalerie avant-gardiste de « faire le plus de mal possible à l’ennemi sans s’exposer elle-même à en subir. » 

C’est cette stratégie de harcèlement continuelle qu’éprouvaient les colonnes française et qui se prolongea dans le temps et dans l’espace.
L’Emir Abdelkader est considéré comme le précurseur de la guérilla. En 1920, l’Emir Mohamed Ben Abdelkrim, héro du rif marocain, s’inspira des méthodes de son « maître dans le djihad »tel qu’il le proclama lui-même au Caire en 1948, dans une préface consacrée à l’œuvre d’El Hammami Idris.

C’est de cette même stratégie que s’inspirèrent les mouvements de libération nationale du XXe siècle. Hô Chî Minh, l’illustre vietnamien, Mao Tsi Toung, le lettré chinois, déclareront eux aussi avoir puisé leurs méthodes guerrières dans le combat du Rif mené par l’honorable Mohamed Ben Abdelkrim, vainqueur de la célèbre bataille Anoual en juillet 1919, suite à celle du Macta et préfigurant celle de Diên Biên Phu.     
Pour vaincre l’Emir Abdelkader, le général Bugeaud décréta la politique de la terre brûlée en mobilisant pour cela plus de 100 000 hommes.

Consécutivement à la destruction de la base économique (pillage des tribus et destruction de leurs biens), des places fortes (Taza, Sebdou, Saïda, Boghar) et des capitales (Mascara, Tagdempt et la Zmala), la résistance commença évidemment à s’affaiblir au plan des effectifs et de l’occupation du terrain.
Néanmoins, l’Emir Abdelkader, en combattant infatigable, restera insaisissable, malgré le nombre impressionnant de colonnes mises à ses trousses. Jusqu’en 1846, en dépit des opérations de destruction et de dévastation systématique du pays, la soumission de l’Emir n’est pas encore gagnée.

Les Français ne cachent pas leur irritation et leur impatience à mettre fin à une conquête longue et épuisante et qu’ils escomptaient réaliser définitivement un certain 5 juillet 1830, date de l’acte de capitulation d’un triste dey dont le nom est toujours présent dans notre capitale.D’ailleurs,  Bugeaud est rappelé à Paris en 1847. Il n’aura pas le « prestige » de capturer l’Emir Abdelkader qu’il s’est juré d’anéantir et de vaincre.L’Emir vaincu ? Non ! Non pour ceux qui prennent la peine d’examiner la situation de très près. Et même s’il faut parler de défaite, il faut faire preuve d’honnêteté pour convenir qu’elle est à l’honneur des guerriers vaincus.

Il y a dans cette guerre coloniale autre chose qu’un affrontement entre colonnes françaises et intrépides combattants algériens. Le peuple algérien ne fut pas vaincu par ce qu’il ne sait pas faire la guerre mais parce qu’il a subi les foudres d’une ignoble politique d’extermination qu’il nous faudra qualifier sans hésiter de crime contre l’humanité. Il faudra bien qu’un jour, l’Europe convienne de révise  l’écriture et la lecture de l’histoire coloniale.

Il ne saurait être de « glorieux soldats de la colonisation », mais cette histoire – une sale  histoire – est surpeuplée de criminels de guerre, depuis Bugeaud et Montagnac jusqu’à Bigeard et Massu en passant par leur chef de Gaulle qui ordonna le massacre de 45 000 Algériens, un certain 8 mai 1945.
Nous n’inventerons rien qui puisse calomnier les généraux et les politiciens de la colonisation et du colonialisme. Nous nous conformons fidèlement à ce qu’ils ont eux-mêmes avoué et consigné dans leurs écrits, glorifiant leurs « propres » et ignobles crimes individuels et collectifs contre le peuple Algérie. Nous proposons au lecteur le résumé – combien édifiant – de ce que fut la politique coloniale telle que définie par le docteur (oui, un docteur) Bodichon, en 1845 :

« Peu importe que la France, en sa conduite politique, sorte quelquefois des limites de la moralité vulgaire, l’essentiel est qu’elle constitue une colonie durable et que par la suite elle rendre les contrées barbaresques à la civilisation européenne. Quand une œuvre doit tourner à l’avantage de l’humanité (six) le chemin le plus court est le meilleur. Or, il est positif que le chemin le plus court soit la terreur…

Sans violer les lois de la morale, de la jurisprudence internationale, nous pourrons combattre nos ennemis africains par la poudre et le fer joints à la famine, les divisions intestines, les guerres entre les Arabes et les Kabyles, entre les tribus du Tell et celles du Sahara, par l’eau-de-vie, la corruption et la désorganisation. Or, cela est la chose du monde la plus facile » (cité par Charles-Henry Favrod, dans La révolution algérienne, 1959, p.23).

N’oublions pas aussi et surtout que l’Emir Abdelkader et ses huis khalifas furent combattus par relais par 5 princes, fils du roi Louis-Philippe, 14 ministres de guerre, 9 maréchaux de France, 55 généraux divisionnaires, 65 généraux de brigade ainsi qu’un nombre infini d’autres officiers de la hiérarchie militaire de l’armée française.
L’épopée de l’Emir Abdelkader fut mal enseignée et parfois même occultée pour des raisons que la raison dévoilera un jour.

La littérature historique de type colonial tantôt la calomnia, tantôt le récupéra pour tenter pernicieusement de faire admettre qu’il termina son existence dans l’intimité avec la France. La vérité, c’est que l’homme qui estima avoir accompli sa mission (15 années de lutte implacable) se consacra à l’étude, à la méditation, à l’enseignement, à l’écriture, au soufisme.

Cette « amitié » tant de fois rabâchée par les spécialistes de la mascarade de l’espèce de Marcel-Edmond Naegelen, est une amitié que voua l’Emir Abdelkader non seulement à quelques rares personnalités française, mas aussi à un grand nombre d’hommes politiques, de sciences et de culture de nationalités t de religions différentes.
Abdelkader avait conquis un prestige qui passera nettement les limites géographiques de Mascara, de l’Algérie et du Monde arabe.

Certains d’entre nous, y compris des intellectuels – victimes de leur étroitesse d’esprit – ont contracté la manie de réduire ce qui est grand, de nier le passé prestigieux de l’Algérie et, plus grave encore, d’afficher mépris et indifférence pour les illustres hommes de la patrie. Alors pourquoi s’interroger trop sur ce qui nous arrive aujourd’hui ! (L’Emir Abdelkader – Ni Sultan ni Imam – Ed -  Alpha – Alger – 2007)
A. B. 
(*) Journaliste-auteur
Membre fondateur de la Fondation Emir Abdelkader

|
Haut de la page

CHRONIQUES

  • Walid B

    Grâce à des efforts inlassablement consentis et à une efficacité fièrement retrouvée, la diplomatie algérienne, sous l’impulsion de celui qui fut son artisan principal, en l’occurrence le président de la République Abdelaziz Bouteflika, occupe aujour

  • Boualem Branki

    La loi de finances 2016 n’est pas austère. Contrairement à ce qui a été pronostiqué par ‘’les experts’’, le dernier Conseil des ministres, présidé par le Président Bouteflika, a adopté en réalité une loi de finances qui prend en compte autant le ress

  • Walid B

    C'est dans le contexte d'un large mouvement de réformes sécuritaires et politiques, lancé en 2011, avec la levée de l'état d'urgence et la mise en chantier de plusieurs lois à portée politique, que ce processus sera couronné prochainement par le proj

  • Boualem Branki

    La solidité des institutions algériennes, la valorisation des acquis sociaux et leur développement, tels ont été les grands messages livrés hier lundi à Bechar par le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales Nouredine Bédoui.

  • DK NEWS

    Le gouvernement ne semble pas connaître de répit en cette période estivale. Les ministres sont tous sur le terrain pour préparer la rentrée sociale qui interviendra début septembre prochain.

  • Walid B

    Dans un contexte géopolitique régional et international marqué par des bouleversements de toutes sortes et des défis multiples, la consolidation du front interne s'impose comme unique voie pour faire face à toutes les menaces internes..

  • Walid B

    Après le Sud, le premier ministre Abdelmalek Sellal met le cap sur l'Ouest du pays où il est attendu aujourd'hui dans les wilayas d'Oran et de Mascara pour une visite de travail et d'inspection.