
L’image de la femme dans la chanson raï reflète une certaine image de la société et de son évolution, a estimé un professeur à la Faculté des langues étrangères de l’Université de Mostaganem et chercheur au Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) d'Oran.
«Dans le rai, les hommes chantent la femme et leurs fantasmes vis-à-vis d’elle. La femme, quant à elle, chante son vécu», a indiqué Miliani Hadj, lors d'une table-ronde sur le «l’image de la femme à travers la culture populaire algérienne actuelle.
Le cas de la chanson raï», animée samedi soir à Oran.
L»universitaire a été catégorique : «ces chansons font partie de notre histoire, de notre patrimoine. Dans cinquante ans, les gens qui écouteront ces chansons sauront comment nous vivions, comment la femme vivait à cette époque».
Pour le chercheur, que ce soit dans le raï, dans le hawzi, le bédoui ou dans les autres genres, la femme est toujours présente dans la musique populaire.«Ce qui est intéressant, c’est d’essayer de prendre conscience des messages véhiculés dans ces chansons, de quelle manière les hommes chantent les femmes et comment les femmes se chantent elles-mêmes», a-t-il estimé, signalant une «stigmatisation» de ce genre musical.
Dans ce cadre, Hadj Miliani a indiqué que le raï reste toujours «quelque de chose de mal acceptée». «La société est beaucoup plus frileuse aujourd’hui qu’avant. Il y a un refus du populaire. C’est un paradoxe. Pourtant, les chanteurs de raï ont payé le prix fort durant la décennie noire. Et ce paradoxe est d’autant plus explicite lorsque le raï, en passant par Paris, devient fréquentable», a-t-il opiné.
«Des milieux français ont voulu faire du rai une chanson contestatrice.
En fait, le raï est contestataire. Il dit les choses de manière crue, mais reflète la société et reconstitue une partie de notre histoire car l’oralité est devenue un document», a souligné l’orateur, estimant que les femmes, dans le raï, affirment leur vécu, amoureux notamment, brisant les tabous et les codes établis, en racontant des vécus sociaux réels et montrent des situations extrêmement sensibles des femmes.
Pour le chercheur, auteur, entre autres, d’un ouvrage sur ce genre musical répandu dans l'Ouest du pays, la chanson rai est une «sorte de révélateur de la société, de ses codes, ses dits et ses non-dits. Elle arrondit les angles et fonctionne, parfois, comme une thérapie et pour les hommes et pour les femmes. C’est une donnée anthropologique reflétant la société».
Toutefois, a-t-il relevé, il existe aujourd’hui un «problème d’ancrage culturel». «Les femmes du raï ont toujours été stigmatisées. Aujourd’hui, par exemple, il n’y a plus de +medahates+ qui ont existé depuis le 19ème siècle.C’est tout un patrimoine, une partie de notre culture, qui disparaît», a-t-il observé.
«Les cadres d’échange n’existent plus, car ils ont été atomisés par la mondialisation qui a apporté de nouveaux modèles : moyen-orientaux, occidentaux, turcs, entre autres», a souligné le chercheur, ajoutant que les échanges se font ailleurs, dans un cadre interculturel.
Cette rencontre a été co-organisée par les associations Civ-£il et AFEPEC dans le cadre du programme de célébration de la journée mondiale de la femme, qui s’étale sur plus d’un mois.