Histoire

Aissat idir1915 - 1959 - La conscience du syndicalisme algérien : I- Mouvement nationaliste et syndicalisme algérien

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 15-03-2015, 18h03 | 56
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Aïssat Idir est mort comme il a vécu, au service des déshérités, des gueux, des miséreux. Il est mort au service de sa patrie. Il est mort pour que vive l’Algérie libre, indépendante, démocratique et sociale. (L’Ouvrier algérien - Numéro spécial, août 1959).

Mais avant cela, le ciel s’est déjà obscurci pour l’Ugta et ses cadres, malgré toutes les précautions prises pour qu’il n’apparaisse pas comme étant un soutien direct du FLN. L’Ugta est étroitement surveillée.

Si les droits syndicaux lui sont reconnus pour tolérer son activité légale, les services de sécurité contrôlent à la loupe le contenu de l’Ouvrier algérien dont l’entrée fracassante dans le paysage se fait le 6 mars 1956.

Dans ce premier numéro, l’éditorialiste qui ne peut être que Aïssat Idir, annonce la couleur, lui qu’on identifiait à la rubrique syndicaliste de l’Algérie libre du PPA-MTLD : L’Ouvrier algérien sera le porte-parole des aspirations légitimes de la classe ouvrière.

Il sera l’interprète authentique de ses positions sur le problème algérien et reflétera chaque fois ses sentiments les plus profonds sur les douloureux événements que traverses notre pays (…) L’équipe du journal prend l’engagement de faire de l’Ouvrier algérien une arme puissante afin que triomphent dans notre pays la liberté, la justice sociale et la démocratie » (Cité par Mohamed Farès dans Aïssat Idir - p.85).

A bon entendeur salut, semblaient avertir Aïssat Idir et ses camarades. Une détermination ne plaît pas trop aux tenants du pouvoir en Algérie. Les autorités colonialiste vont évidemment surveiller de très près, non pas seulement les activités de la centrale mais aussi son téméraire organe l’Ouvrier algérien. Désormais sa parution devient hypothétique.

La saisie, ce spectre qui frappait déjà les publications nationalistes, intervient au niveau de l’imprimerie même, empêchant ainsi la circulation du moindre exemplaire. Sur 13 numéros parus, 12 furent saisis. Après la dislocation et l’interdiction de l’UGTA, la clandestinité devient la  seule arme, le seul recours.
Le Résident général, Robert Lacoste est dans les murs d’Alger.

Il n’aime pas trop les Arabes. En mars 1956, les pouvoirs spéciaux sont votés par le parlement français. Robert Lacoste se frotte les mains. Il va donner libre cours à une volonté de détruire les réseaux FLN par la répression et par la terreur.

L’Ugta figure parmi les cibles à neutraliser. Par voie de conséquence l’existence légale de l’UgtaA sera très courte : 24 février 1956 - 24 mai 1956. Trois mois. En tout et pour tout. A peine née, l’Ugta est aussitôt décapitée. C’est le ministre résidant qui l’aura décidé. Et comble du paradoxe, Robert Lacoste est lui-même un ancien syndicaliste.

Les prouesses honteuses de l’armée française, Robert Lacoste les chante avec des accents et les particularités chez un homme nourri à l’esprit de domination qu’il faut maintenir par la violence et la terreur.

Il approuve tous les méfaits de l’armée coloniale tout en la couvrant d’éloges dans une envolée qui voile difficilement une hypocrisie que nous retrouvons chez la plupart des hommes politiques français qui brandissent ridiculement un tamis pour cacher le soleil, niant effrontément «une forme de guerre où l’assassinat des prisonniers, la torture des suspects, le viol des femmes, la destruction des villages et le pillage des moyens d’existence des population insoumises » (Gille Mancéron - Mariane et les colonies - p.175 -Ed. La Découverte - Paris - 2003).

Voici le plaidoyer de Lacoste, partisan invétéré des violences contre un peuple en insurrection contre la malédiction colonialiste. Le Ministre résidant persiste et signe. Un discours qui conduira la guerre jusqu’en 1962, sans la moindre volonté d’engager, pour les Français, des discussions raisonnables et évidentes avec le FLN :

«La guerre de 1957 est une guerre totale qui est livrée à toute une population ; c’est une guerre qui se fait,  non seulement par des opérations militaires, mais par des opérations de police et par un débauche de propagande politique.

Les militaires ont pour mission de faire la guerre telle qu’elle se présente à eux. On a assez dit qu’il leur arrivait souvent d’être en retard d’une guerre. L’armée française, la jeune et ardente armée française d’Algérie, a fait sans plaisir mais avec détermination la guerre de 1957 qui lui était imposée. Elle l’a faite vaillamment, elle l’a faite humainement».  (Raphaëlle Branche - La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie - p.219 - Gallimard - Paris - 2001).

L’idée coloniale et de reconquête coloniale est plus que jamais présente. C’est sous le règne du même Lacoste que la guillotine se met en mouvement pour décapiter le 19 juin 1956 le premier condamné à mort : H’Mida Zabana. «L’une des revendications les plus impérieuses des Européens d’Algérie est l’exécution des condamnés à mort Algériens.

Par leurs journaux, leurs tracts, leurs déclarations, les Européens font pression sur le gouvernement de Paris. Robert Lacoste, à peine installé à Alger, février 1956, fait mienne cette revendication. A ses yeux, l’exécution des condamnés à mort Algériens a deux avantages. Le premier, faire peur aux Algériens ; le second - qui est déterminant - donner satisfaction aux Européens d’Algérie. C’est ainsi qu’il ajoutera, aux pressions et menaces, sa propre détermination ».P. Kessel et G. Pirelli -  Le peuple algérien et la guerre - Maspéro -1963).  

Nous sommes en 1956. Le 24 mai l’Ugta est mise à mort et ses représentants jetés en prison. Lacoste vent en finir avec un mouvement ouvrier qui trouve un soutien et solidarité auprès de la Cisl dont les représentants sont déclarés personnalité non grata en Algérie. L’ancien syndicaliste qu’était Lacoste, n’aime plus le syndicalisme lorsqu’il est algérien. Il n’hésite pas non plus d’interdire l’accès en territoire algérien les délégués de la Cisl, chargés de notifier la réprobation suite aux arrestations massives des syndicalistes et aux atteintes à l’exercice du droit syndical.

En effet, l’Ugta subissait toutes sortes de pressions et d’intimidations. En un mois (20 octobre-20 novembre 1956) le siège de l’Ugta fit l’objet de 12 perquisitions. « Le harcèlement incessant des militants ouvriers, la menace de destruction de l’organe de l’Ugta l’Ouvrier algérien par les saisies successives et enfin le dynamitage criminel du 9 novembre (1956) de l’imprimerie. Ce dernier acte, comme l’attentat du 30 juin 1956, par la Main rouge de «Présence française» en collaboration «fraternelle» avec la police. (1)

La répression frappe sévèrement. Tous les membres du secrétariat sont arrêtés. On opère à l’arrestation de 250 cadres syndicaux dans la nuit du 23 au 24 mai 1656. Plusieurs syndicalistes  sont victimes de cette opération de « destruction massive » du mouvement ouvrier par laquelle Robert Lacoste, qui assène des coups de massue au nom de l’Etat français, espère mettre hors d’état de nuire la centrale syndicale et priver ainsi le FLN de l’un de ses principaux appuis.

Néanmoins, les bureaux exécutifs se reconstituent au fur et à mesure des arrestations de ceux qui les composaient. Une mobilisation permanente des défenseurs des droits de la liberté indispose un pouvoir porté sur la violence  ainsi que son représentant, Robert Lacoste, qui promet de «rétablir l’ordre» par des moyens répressifs, illégaux et déloyaux. La relève des exécutifs de l’Ugta se maintien dans la clandestinité jusqu’en 1957 avant d’opter carrément pour le transfert de la structure en Tunisie.     

Le procès des syndicalistes et membres des réseaux FLN s’ouvre le 12 janvier 1959. Ils sont poursuivis par «association de malfaiteurs» et «d’atteinte à la sûreté de l’Etat».
Malgré une féroce répression qui s’abat sur elle, l’Ugta a superbement réussi le renouvellement systématique de ses forces en puisant dans un riche réservoir de cadres.

Tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, la centrale s’acquitte du mieux qu’elle le pouvait en mobilisant le monde du travail, en organisant des grèves çà et là. Il s’agit plus particulièrement des grèves du 5 juillet 1956, des 1er et 13 novembre 1956, observées avec succès. Désormais la centrale mobilise plus de 100 000 travailleurs adhérents provenant de différentes branches d’activité : mineurs, ouvriers agricoles, postiers, enseignants, cheminots, hospitaliers, traminots…

A l’extérieur son « succès est d’une portée considérable. L’Ugta accède à la tribune internationale, couvrant non seulement le monde occidental mais aussi l’Afrique, l’Asie et les Amériques » (Mohamed Farès - Aïssat Idir).

(1)    Cette bombe a fait 17 blessés dont un ou deux seront amputés, selon différentes sources. Nous oublions souvent que les premières bombes qui explosent à Alger portent la griffe des ultras. La plus meurtrière fut celle de la rue de Thèbes (Casbah d’Alger) le 10 août 1956, commanditée par le boucher de Guelma, André Achiary, membre actif de l’organisation « Présence française ».

Le FLN qui utilise à son tour des explosifs, en guise de riposte, est accusé par l’armée française et ses services d’intoxication d’être l’innovateur en la matière. La bombe contre le siège de l’UGTA - le 30 juin 1956 - est malheureusement passé sous silence, y compris dans certains écrits de journalistes et d’ historiens Algériens.
A. B.
 journaliste et auteur
A suivre

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