Histoire

Aïssat Idir 1915 - 1959 : III - Un destin , une gloire, un drame

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 18-03-2015, 17h13 | 85
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Syndicaliste d’élite, spécialiste averti des questions sociales et économiques, Aïssat Idir a toujours travaillé avec cœur et acharnement pour un syndicalisme authentiquement algérien. Il souffrit beaucoup pour ses idées politiques et son activité syndicale. Mais son esprit de sacrifice, sa loyauté, son honnêteté, la justesse et la continuité de son action, lui ont permis d’atteindre son objectif, avec la création de l’UNION GENERALE DES TRAVAILLEURS ALGERIENS.-(Aïssat Idir : Un combattant de la cause nationale - El Moudjahid n° 47 du 3 août 1959)

Né le 1915 en Kabylie dans la région de Mekla, Aïssat Idir fait des études primaires chez  ses parents puis termine des études supérieures en Tunisie chez son oncle. De retour en Algérie, il s’intègre dans le monde du travail après avoir réussi à un concours de recrutement aux Ateliers industriels de l’air (AIA) de  Maison-Blanche qui emploient  plus de 3000 travailleurs.

En 1938, il remplit les fonctions de comptable dans ces établissements qui le réintègrent après sa mobilisation pendant la Seconde Guerre mondiale. Grâce à ses compétences, il gravit les échelons et devint un cadre supérieur. Il a accompli plusieurs missions de contrôle au niveau des filiales de l’AIA installées au Maroc. Il a même droit à un diplôme d’honneur qu’on lui décerne en 1949. C’est grâce aux mission officielles qu’il accomplissait pour le compte des AIA que Aïssat Idir eut l’heureuse occasion de rencontrer à Tunis le leader de l’UGTT, Ferhat Hached.

Compétent et sérieux, il avait bonne réputation. C’est dans ces ateliers que Aïssat Idir s’affirme dans les luttes syndicales au sein des sections cégétistes au même titre que d’autres amis algériens.  « L’action d’Aïssat Idir et de ses amis explique l’attachement des travailleurs au nationalisme algérien et à la revendication de l’indépendance devenue la véritable mot d’ordre des masses populaires ». (Mahfoud Kaddache - Préface Aïssat Idir de Mohamed Farès).

En 1950, les choses tournent mal. Tout le monde parle du démantèlement d’une organisation (OS). Les AIA qui relèvent du ministère de la Défense décident de se débarrasser d’éléments suspects. Aïssat Idir est licencié - pour des motifs non professionnels - avec une dizaine de ses camarades algériens.(1) «Leur présence est incompatible dans une entreprise travaillant pour la défense nationale. Des enquêtes et certainement une surveillance discrète par les services de sécurité, ont dû révéler l’appartenance de certains au parti nationaliste.

Il y eut des licenciement dont celui d’Aïssat Idir et son frère et plusieurs algériens ». (Ahmed Kaïd - Cité par Mohamed Farès dans Aïssat Idir).Aïssat Idir ne tarde pas à trouver un emploi à la Cacobath qu’il ne quittera d’ailleurs qu’après son arrestation en mai 1956. Une carrière professionnelle qui s’achève et qui coïncide avec l’avènement de l’UGTA. Aïssat Idir en sera le premier secrétaire général. Le militant nationaliste discret et efficace, le syndicaliste passionné et soucieux de défendre les mal nantis, après avoir transité d’un camp de concentration à un autre, sera assassiné le 26 juillet 1959 par les parachutistes français.

Ceci dit au chapitre professionnel, quel fut l’itinéraire politique du leader syndicaliste ? On le retrouve dans les années 1940 aux côtés d’une séduisante figure du nationalisme algérien : Mohamed Belouizdad. Futur et premier responsable de l’OS (Organisation spéciale), issue du congrès de PPA-MTLD tenu en 1947. C’est Mohamed Belouizdad qui lance et anime un noyau très dynamique connu par l’histoire et les historiens sous le nom de « Comité de la jeunesse belcourtoise ».

Aïssat compte parmi ce noyau qui va fournir au PPA un sang nouveau, des jeunes dont l’enthousiasme, la verve, l’engagement et l’intelligence vont épater les aînés, ces anciens compagnons de Messali Hadj, des figures dont la réputation est établie. Epatés, certes, de découvrir un relais chez une génération prometteuse mais pas au point d’accepter que l’élève puisse dépasser un jour le maître.  La crise entre Messali et ses amis puise ses raisons, entre autres, dans ce sentiment qui grise les hommes jusqu’à leur faire croire qu’ils sont l’incarnation du patriotisme et refusent de partager avec quiconque la paternité du nationalisme. Messali fera les frais de cet entêtement.

Aïssat Idir intègre les rangs du PPA clandestin en 1943. Il fait partie du comité de rédaction de l’organe La Nation algérienne. Boualem Bourouiba évoque le souvenir de son compagnon de lutte en termes  révélateurs : « J’ai connu Aïssat vers 1944-45 au siège du parti ex-place de Chartres (Alger). Il fit des études supérieures en Tunisie. Il possédait une grande culture. Il analysait rapidement et sûrement les situations. Lecteur attentif de tout ce  qui avait trait à la vie politique et aux problèmes sociaux, il était bien informé sur les questions syndicales dont il devient le spécialiste ». (Cité par  Mohamed Farès dans Aïssat Idir - p.24 - Ed. Andalouses - Alger - 1992).

Syndicalistes, collègues ou compagnons de lutte au PPA-MTLD, sont subjugués par la figure d’Aïssat Idir qui se distingue par son sentiment d’un patriotisme ardent, par sa discrétion, son efficacité, sa culture et sa conscience aiguisée à toutes les épreuves et à toutes les expériences. « Idir était un homme méthodique, ordonné dans son travail, très sérieux, ayant une  mémoire prodigieuse. Il était généreux. Il coiffait 5 secteurs dans son service, il s’adaptait à toutes les situations. Plusieurs militants venaient lui rendre visite : Saâd Dahlab du PPA, Belmihoub des cheminots, Oudjina Dris des dockers, Bourouiba Boualem ». (Témoignage de Gueddouar Senouci - cité par Mohamed Farès).

Aïssat Idir, dès 1955, en concertation avec Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda, parvient, avec ses plus proches compagnons du syndicat et du parti, poursuit le projet et le mène à terme le 24 février 1956. « En quelques mois et en sa qualité de secrétaire général, Aïssat Idir fait preuve d’un extraordinaire dynamisme doublé d’une inébranlable foi patriotique mise au service exclusif de la cause  nationale ». (Mohamed Mebarki - Revue El Djazaïr - p.94 - Février 2012).

Le 24 mai 1956, la centrale est démolie par l’autorité française et ses précurseurs arrêtés, torturés, poursuivis et condamnés. Autant Aïssat Idir vivra passionnément la dualité syndicalisme et nationalisme, autant  cette date fatale va s’ouvrir sur une véritable tourmente et un véritable drame pour le premier secrétaire fondateur de l’UGTA.     

Aïssat Idir devient la cible des autorités colonialistes. Il est arrêté et envoyé dans un camp à Berrouaguia.  Il « quitte » Berrouaguia pour le camp de Saint Leu près d’Oran. Ensuite il est transféré à Aflou pour échouer ensuite à Bossuet. Il est soumis à un dur régime d’incarcération. Le prisonnier est privé de tous ses droits. L’être humain est déchu. Le système n’a plus aucune honte à détruire les hommes par les moyens les plus abjects et les plus inacceptables.

D’une persécution à une autre, d’un transfert à un autre, aucune pitié n’est accordée à Aïssat Idir qui est extrait à nouveau de Bossuet pour être livré à la tristement célèbre prison de Barberousse (Serkadji). En mai 1957, les militaires français le transfèrent par avion spécial à Alger où  les parachutistes le soumettent à des tortures pour le diriger ensuite au camp de Bussuet. En septembre 1958, il est transféré à Serkadji sous l’inculpation « d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ».

Les autorités militaires françaises apprennent qu’Aïssat Idir figure sur la liste de la plateforme du Congrès de la Soummam (août 1956) comme membre du CNRA (Conseil national de la révolution  algérienne).  Pourtant le congrès de la Soummam est postérieur à sa première arrestation et son inculpation  qui ont lieu en mai 1956. En dépit de cet anachronisme,  pour les Français, le captif est devenu «  une prise de taille ». Il est censé connaître de précieuses informations qu’il faudra lui arracher par n’importe quel moyen, par tous les moyens.

Les tortionnaires sont assistés d’éléments de la DST. Aïssat Idir n’est pas un « suspect ordinaire».  Il subit tous les sévices et toutes les avanies. On lui inflige toute la panoplie de ce que le système de la torture aura inventé : les séances de courant électrique utilisé par la gégène (générateur de radio de transmission), la baignoire (la tête de la victime est plongée dans un récipient empli d’eau malsaine jusqu’à l’asphyxie).

Ce sont ici les principales pratiques jugées les plus « rentables » par les DOP (Dispositifs opérationnels de protection) qui ne sont autres que des employeurs de tortionnaires professionnels. Cela n’écarte pas de vue que grand nombre de soldats du contingent sont devenus (engrenage oblige) ou pouvaient le devenir - quand ils le voulaient - des tortionnaires « occasionnels » - par plaisir ou par haine - parce que, à vrai dire, ce n’était pas la matière qui manquait. Les suspects étaient disponibles en abondance.

Alors une torture de plus ou de moins ne pouvait pas causer du mal (c’est le cas de ne pas le dire) ni causer du remords pour le soldat français qui ne pouvait que céder à la tentation en ce sens que son système auditif s’était amplement habitué aux hurlements inhumains des suppliciés.  A Serkadji, Aïssat Idir est gravement blessé lors d’un affrontement  avec les geôliers. Une grève de la faim s’ensuivit. 

En 1958, le préfet d’Oran le signale comme un élément «irrécupérable», très dangereux, anti-français, meneur à ne jamais libérer ». Le procès de l’UGTA s’ouvre le 12 janvier 1959.  La défense des inculpés est assurée par Me Rollin, ancien ministre et sénateur belge, désigné à cet effet par la CISL. Il est assisté par Me Raymond Scemama du barreau de Tunis et  par Me Gallot de Paris qui suivra spécialement le dossier de Aïssat Idir. Bien sûr, Me Jacques Vergès fait partie de ce collectif.
(1)Des témoins font remonter le licenciement d’Aïssat Idir à décembre 1949.
A suivre

 

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