Histoire

Guelma-La ville martyre, les hécatombes: II. – La manifestation du premier mai

Publié par Amar Belkhodja le 09-03-2014, 15h11 | 652
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Le vendredi 29 juin 1945, presque deux mois après les incidents du gouvernement provisoire que présidait le général de Gaulle, retour sanglants du Canstantinois, M. Adrien Tixier, ministre de l’Intérieur d’un voyage d’enquête sur les lieux du drame, parlait ainsi au micro de Radio-France :

« Les événement ont été très sérieux. Il serait vain de le dissimuler, mais il est certain qu’ils ont été démesurément grossis et systématiquement déformés en Algérie, en France métropolitaine et à l’étranger par des éléments qui ne sont des amis ni de la France ni de l’Algérie. »

« Les troubles qui ont commencé le 8 mai à Sétif et à Guelma se sont rapidement étendus à un certain nombre de centres des arrondissements de Sétif, Guelma et Bougie avec des gravités d’ailleurs très diverses. Par contre, l’arrondissement de Constantine et les départements d’Oran et d’Alger sont demeurés parfaitement calmes. »

La voix autorisée de M. Adrien Tixier, que l’Algérie entière, croyant enfin connaître la vérité sur la tragédie du 8 mai, retenant son haleine, reprenait de plus en plus affirmative :
 « Des crimes ont été commis : des assassinats, des viols, des pillages, des incendies. Quatre-vingt-huit personnes ont été tuées, cent cinquante ont été blessées. J’adresse aux familles des victimes les condoléances du gouvernement et je les assure de la solidarité de tout le peuple français. »
« Les meneurs et les exécutants sont généralement connus, car ils ont été vus directement à l’œuvre de destruction par la population française ».

« Il est incontestable que la plupart d’entre eux appartenaient au mouvement des « Amis du Manifeste » et aux sections locales du P.P.A. illégal et clandestin. Il n’est donc pas douteux que la responsabilité du déclenchement des troubles incombe aux dirigeants des mouvements nationaliste et séparatiste ».
M. Adrien Tixer est mort quelques mois après avoir prononcé ce mémorable discours qui a été la source de très graves erreurs, fort heureusement en partie corrigées par la suite.

La libération d’Abbas, Saâdane, du Cheikh Brahimi, tenus aveuglement pour responsables des troubles mais sortis de prison grâce à un non-lieu en bonne et due forme délivré par la justice militaire, l’amnistie des détenus politiques musulmans votée par le parlement, sont venus, en effet, opposer un démenti formel et posthume aux allégations fantaisistes de l’ancien ministre.

Certaines contre-vérités cependant, énoncées par lui, reprises et diffusées largement par une presse aux ordres qui n’ont pas manqué de paraître comme l’expression stricte de la réalité et continuent, sans doute, d’être considérés comme traduisant la réalité des faits par beaucoup d’esprits. Il convient de les redresser. C’est ce que nous allons essayer de faire tout de suite.

A Guelma, tout comme à Sétif et dans les centres si durement éprouvés par les tragiques événements du 8 mai, ce ne sont pas les « Ami du Manifeste et de la Liberté » qui ont provoqué leur propre massacre.
Contrairement à ce qu’ont osé prétendre les colonialistes et leurs valets de plume, la responsabilité du déclenchement des troubles incombe à d’autres. Elle incombe en tout premier lieu à Lestrade-Carbonnel, préfet de Constantine, au tueur d’hommes Achiary, l’ex-commissaire de police et tortionnaire des communistes algériens arrêtés sous Vichy. Elle incombe ensuite à ces nombreux comparses dont nous allons dénoncer les agissements avant et après le 8 mai 1945.

Voyons d’abord brièvement qu’elle était la situation à Guelma à la veille des événements.
Chef-lieu d’un important arrondissement qui s’étend jusqu’à la frontière algéro-tunisienne, et l’une des plus importantes villes de cette province du Canstantinois qui a toujours été à l’avant-garde du progrès en Algérie, Guelma pouvait s’enorgueillir de posséder, quelques mois seulement après la création des « A.M.L. », l’une des sections les plus actives, et d’être le siège d’un comité régional groupant plus de 12.000 membres instruits et guidés par des cadres intelligents et dynamiques.

Les rapports entre les habitants musulmans et européens, sans être plus que cela amicaux ni intimes, étaient corrects sinon cordiaux. Cette atmosphère de cordialité et de quiétude s’altéra cependant peu à peu. Dès le début du mois d’avril, une bonne partie de l’élément européen de la ville, composé surtout de colons et maquignons d’origine maltaise, nouvellement enrichis. Inconcevablement frustes et faciles à entraîner, prêts à toutes les compromissions comme toutes les brutalités, commença à manifester une certaine émotion.

Journellement, en effet, les informations, les plus mensongères, les bruits les plus tendancieux lui parvenaient, soit par la voie de la presse, soit colportés par des provocateurs du colonialisme, qui répétaient que la sécurité et l’existence même de tous les Européens étaient menacées par les Arabes résolus à jeter les Français à la mer.

        L’administration locale elle-même, d’abord discrètement, puis de plus en plus ouvertement, intervint dans cette œuvre de division raciale, se faisant aussi le relais puissant des mots d’ordre mystérieux, mais précis, lancés d’Alger ou d’ailleurs par ceux qui, machiavéliquement préparaient avec  précaution le complot destiné à provoquer des incidents propres à justifier la répression. Comme dans presque tous les centres d’Algérie, elle fit distribuer des armes à de nombreux colons de la ville et de la campagne, leur recommandant de s’en servir dès le premier signal l’alerte.

La psychose de peur se développa de jour en jour chez les Européens, tandis que les Musulmans et plus particulièrement les dirigeants de la section locale des « Amis du Manifeste » subissaient fréquemment les menaces d’emprisonnement et d’internement du sous-préfet Achiary et de certaines autorités et notabilités guelmoises.

Quelques jours avant le premier Mai, l’un des plus « loyaux et fidèles serviteurs » de l’administration colonialiste, un musulman indigne – dont nous reparlerons tantôt- le docteur Lakhdari, rencontrant à la bibliothèque municipale le regretté Smaïn Abda, secrétaire général de la section des « A.M.L. » et notre vaillant militant, Benaïssa Yazid, trésorier général, occupés à feuilleter un ouvrage d’astronomie, leur adressait cette menace : « Le Manifeste est mort, vous irez bientôt faire de l’astronomie plus à loisir à Bossuet ou à Méchéria »

En dépit de toutes les menaces, par dessus tous les obstacles, les militants guelmois poursuivaient cependant leur activité au grand jour, stimulés par l’enseignement politique et social élevé que notre journal prodiguait malgré la censure à travers l’Algérie, exécutant avec le meilleur esprit de discipline les mots d’ordre de calme, d’union et de persévérance dans la lutte anti-impérialiste pacifique, lancés par le Comité central d’Alger. Grâce à cette attitude digne, les vœux des colonialistes allaient-ils demeurer stériles, leur complot allait-il échouer ? Non, hélas ! Le premier mai, à Guelma, se joua le premier acte de l’immense tragédie.

Pour célébrer la fête du travail, un certain nombre de musulmans de Guelma, à qui Achiary avait refusé l’autorisation de manifester librement, improvisèrent un petit défilé qui devait, comme tous ceux organisés par les différents mouvements politiques et syndicalistes français, traverser quelques rues de la ville et prendre fin devant le monument aux morts. Il s’avançait déjà vers ce monument pour ensuite se disperser, lorsqu’il fut arrêté en chemin, précisément sur la place du théâtre romain, par le sous-préfet Achiary lui-même.

Ce dernier échangea quelques paroles avec les responsables qui, aussitôt, décidèrent de disloquer le cortège et se retirèrent calmes, sans aucun autre incident. Quelques pancartes portant l’inscription : « Libérez Messali » étaient arborées par les musulmans. Cela suffit pour alerter la population européenne, prévenue et depuis plusieurs semaines prêts à toute éventualité, comme on dit. Mais dès le lendemain, on put voir circuler dans les rues de Guelma de nombreux européens portant l’arme en bandoulière. 

L’effervescence créée la veille par l’attitude d’Achiary ne cessa de grandir. Au lieu de calmer les esprits inquiets, l’administration locale y jeta plus de trouble. La police d’Etat, la gendarmerie étaient sur le pied de guerre. Des patrouilles de tirailleurs algériens, en garnison à la caserne Haket, sillonnaient la ville d’un pas martial, revêtus de leur uniforme de guerre, et très ostensiblement armés.

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