« Le contraire de l’amour», monologue adapté du «Journal» de Mouloud Feraoun, a été présenté lundi soir à Alger dans une ambiance solennelle où la puissance du texte dit, sans emphase, le quotidien de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie avec toutes les peurs et les inquiétudes existentielles qu’elle a généré.
Devant le public recueilli de la salle Mustapha -Kateb du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi, le monologue adapté et mis en scène par Dominique Lurcel apporte un constat lucide des erreurs de l’entreprise coloniale, et de l’échec de la présence française en Algérie.
Constitué de plusieurs tableaux aux humeurs différentes, en relation avec les évènements relatés et soumis à une datation périodique, le soliloque a brillamment été rendu par Samuel Churin dans une diction rigoureuse marquant l’ascendance de la violence et de l’insécurité causées par la guerre.
Les exactions, la peur, les actes de courage, la torture, les viols systématiques, les rapports humains, la grève, les petites lâchetés et la mort omniprésente ont été rapportés tels que vécus par l’auteur et rendus dans un ton grave dans un jeu de comédien époustouflant, soutenu par les sonorités mélancoliques et illustratives du violoncelle de Marc Lauras.
Partant de la nécessité, devenue sans appel, de l’indépendance de l’Algérie, le spectacle montre, au jour le jour, l’évolution, «dans sa complexité, loin de tout manichéisme», d’un intellectuel déchiré, dans la richesse et la douleur d’une double culture aux antagonismes pourtant inévitables.
Parole irréductible, encore d’actualité, contre toute puissance de l’irrationnel, « Le contraire de l’amour» est un regard perspicace sur la guerre d’Algérie avec un sentiment de révolte dressée face à tous les silences et toutes les zones d’ombre.
Dominique Lurcel donnant de l’élan au texte à travers une scénographie «minimaliste» (une table, un siège, le tabouret du violoncelliste et son pupitre), parle d’un travail «d’incarnation» affirmant la structure et les couleurs souvent contrastées du «Journal», entretenu par Mouloud Feraoun de 1955 à 1962, dans la volonté de «faire émerger la variété de ses émotions».
Colères impuissantes, ironie, découragement et espoir, tous les instants qui portent les rapports aux évènements complexes et multiples auxquels l’auteur réagit sont rendus dans leur plénitude, sous un éclairage uniforme et continu, laissant au spectateur la liberté de se construire sa propre image du personnage durant tout le long de ces années terribles de guerre.
Bien accueilli au Festival d’Avignon de 2015, «Le contraire de l’amour» est produit par la Compagnie «Passeurs de mémoires», fondée par Dominique Lurcel en 1997 et qui est déjà venue présenter le spectacle «Folies coloniales» en 2010 au TNA, dans le cadre du 2e Festival International du Théâtre d’Alger.
Dominique Lurcel a confié à l’APS son intention de mettre en projet un nouveau spectacle sur le «Procès des porteurs de valises» connus sous le nom du «Réseau Jeanson». «Journal» de Mouloud Feraoun (1913-1962) «devrait être adapté en film» que Karim Bengana, un jeune cinéaste établi en France, réalisera.
«Le tour de manivelle de ce docufiction sera donné à Tizi-Hibel, village natal de l’auteur, le 16 mars 2016», date commémorant son assassinat en 1962, selon Ali Feraoun, le fils du grand écrivain.
