Culture

Tiwizi en Kabylie : Les chants des cueilleuses d’olives, un patrimoine à sauvegarder (REPORTAGE)

Publié par DK NEWS le 15-02-2020, 16h17 | 58
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A Tizi-Ouzou, même si «Tiwizi» ou la «Touiza» existe encore à travers  plusieurs villages de la wilaya, les chants traditionnels, appelés  «Ichewwiqen» ou «Izlan» interprétés principalement par les femmes lors de  ces volontariats, n’accompagnent plus les longues et épuisantes journées de  cueillette, et les oliveraies sont devenues tristement silencieuses. 
Faisant vraisemblablement l'exception, la région de Bouzguène continue de  perpétuer ce legs ancestral. C’est précisément dans le village Sahel, qui a  remporté le prix Rabah Aissat du village le plus propre pour l’édition  2019, à une soixantaine de kilomètres à l’extrême sud-est de Tizi-Ouzou,  que des femmes organisent encore des volontariats en fredonnant des airs  «Izlen» pendant la cueillette des olives. 
Un groupe de femmes dont Titem, Ouiza, Djoher se sont données rendez-vous  tôt le matin pour organiser une Tiwizi. Une piste agricole mal entretenue  et caillouteuse mène vers le verger. Les branches des oliviers sont  chargées de fruit murs qui n’attendent qu’à être cueillis. Des femmes se  chargent de ramasser les fruits tombés au sol avant de poser les filets  sous les arbres à récolter. 
On installe les filets et les hommes grimpent aux arbres pour cueillir, à  la main, les olives, une opération appelée «Achraw». Des femmes participent  aussi à cette opération et certaines grimpent aux arbres, mais souvent,  lorsque les hommes sont présents, elles se chargent des branches proches du  sol. 
Le travail commence dans le silence, puis un «Achewwiq» est entonnée par  une femme à voix basse, repris spontanément et en ch£ur par ses  accompagnatrices. El le chant se poursuit par des refrains repris à  intervalle régulier. «Ichewwiqen nous donnent de la volonté, du courage et  de la force pour accomplir le travail sans ressentir la fatigue», a observé  Djoher. 
«Aujourd’hui, les gens sont pressés, ils arrivent aux champs, placent les  filets et entament rapidement la cueillette dans la précipitation, et les  chants sont devenus rares et sont interprétés à voix basse», a-t-elle  regretté. 
Le soleil, une fois au zénith, réchauffe le verger et emporte avec lui le  froid glacial du matin. Les Iwiziwen (volontaires) se détendent et les voix  des femmes, qui chantent en ch£ur lorsque l’Izli (poème) est connu par les  autres femmes, montent crescendo, couvrant l’ambiance joyeuse, faite de  rires et de boutades que les volontaires s’échangent. «Par le passé, toutes les femmes chantaient, mais à présent elles sont  rares celles qui chantent pendant la cueillette», ont déploré les  participantes à cette Touiza. «Nous chantons juste entre nous sans élever  la voix pour être entendues par les cueilleuses qui sont dans les autres  vergers comme cela se faisait jadis», ont-elles observé. Durant la «décennie noire», lorsque les oliveraies étaient quasiment  désertées pour cause d’insécurité, les voix de femmes se sont tues à  travers les oliveraies de la wilaya. Pendant cette période, s’est produite  une véritable cassure. Non seulement les chants n’étaient plus interprétés  mais aussi la relève n’était pas formée et les jeunes filles n’ont pas pu  apprendre ces chants traditionnels alors que des «ichwwiqen» sont tombés  dans l’oubli, ont expliqué les femmes de Sahel. Même si l’interprétation des «Izlan» est libre et n’obéit pas à un  enchaînement particulier, puisque les femmes se laissent guider par leur  humeur dans le choix des poèmes, dont les thématiques sont très variées  (chants satiriques, d’amour, de louange, de cueillette des olives), un  court poème était tout de même de mise au début de la cueillette. 
Le premier achewwiq est une sorte de cri de victoire. Durant ces  volontariats, il y avait une sorte de concurrence entre les cueilleuses  d’olives. Les paniers étaient suspendus autour du cou par un foulard pour  faciliter et accélérer la tâche. Dés qu’une femme remplit son panier, elle  crie «amîine amîine, ghelvagh leflani ournemîne, awer tsîine, Ouiiiii» et  toutes les femmes, qui sont dans les oliveraies avoisinantes, répliquaient  en ch£ur «Ouiiii». Tittem a souligné que «jadis lors des Tiwizi, il y avait tellement une  bonne ambiance qu’on ne se rendait pas compte du temps qui passait et on  n’était pas pressé de rentrer au village. Ce n’est que lorsque les rayons  du soleil commencent à disparaitre derrière la montagne que les femmes se  décident à rentrer en se donnant rendez-vous pour d’autres volontariats». Si les chants renforcent les liens sociaux, les repas partagés les  consolident davantage et c’est le moment fort de la journée de travail  épuisante, lorsque tous les Tiwiziwine se réunissent autour d’un repas. Celui-ci est généralement modeste et est souvent composé de couscous,  facile à transporter et qui permet de nourrir un nombre important de  cueilleurs sans avoirs à engager de lourdes dépenses. Qu’il soit aux  légumes secs ou au poulet servi sans sauce «seksou n’tassilt» ou aux  légumes frais cuits à la vapeur «Tamaqfoult» et accompagné d’£ufs durs,  d’oignons frais, de piments et de petit lait, ces repas consommés en pleine  nature sont de véritables festins. L’universitaire Ali Chouitem (université de Bouira) qui a travaillé sur  «Les chants kabyles traditionnels, typologie et situations d’énonciation»,  a observé que «le chant traditionnel des femmes kabyles se considèrent  comme l’un des meilleurs accompagnants de leur vie quotidienne. Un chant  qui s’anime au gré des occasions différentes. En berçant son enfant, en  l’endormant, en faisant écraser son orge par le moulin traditionnel, en  tissant, en modelant l’argile, en ramassant les olives, en faisant la fête  .. la femme kabyle chantait». Achewwiq, a-t-il ajouté, «est un genre de poésie kabyle traditionnelle,  souvent, chanté par les femmes sans instruments musicaux sous une forme  mélodieuse avec des longueurs d'ondes à couper le souffle, abordant divers  thèmes par des métaphores et des images, pour exprimer un sentiment de joie  ou de deuil, des rêves souvent secrets, l’amour, la souffrance, l’espoir,  le désespoir...etc». 
M. Chouitem a relevé que Achewwiq est l’un des genres de poésie chanté le  plus représentatif de la culture kabyle traditionnelle», ajoutant que ces  chants interprétés lors des Twiza donne de la force et du courage aux  femmes lors de l'exécution de leurs travaux. 

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