Régions

L’eau «romaine» d’Algérie : « Le problème de l’eau commande le problème du blé » (J. Lassus)

Publié par Arslan-B le 15-05-2015, 18h00 | 404
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Histoire d’eau, certes, mais en deça (ou au-delà) de l’historique des techniques anciennes d’exploration, de détection, de domestication et, enfin, de mise en valeur et de gestion du liquide vital par excellence, qui plus est par un conquérant de taille, des enseignements,  des renseignements à propos du respect sacro-saint de cette plus que précieuse denrée, en l’occurrence l’eau…de tous les horizons ou fonds bleutés. Ou la « non-eau » de toutes les oraisons…

Ainsi séduit et passionne l’histoire de l’eau en Algérie « sous » les Romains. Tant il est si rare qu’un envahisseur, un conquérant, ait eu cette tendance à domestiquer et mettre en valeur une denrée ô combien précieuse du pays conquis, également pour le  bénéfice de la population autochtone en même temps qu’il en profite, comme de bien entendu, pour sa propre survie.

L’eau numide, l’eau algérienne de l’époque si elle avait une valeur stratégique, outre le caractère évident de l’impérieuse nécessité de sa domestication n’était-ce que pour pérenniser la présence physique des légions de la domination, n’avait quand même rien de comparable avec les agrumes, les céréales, la vigne, l’olivier, les câpres, les figues… ou le pétrole et le gaz aux XXe et XXIe siècles.

Elle (l’eau) était la condition sine qua non tant en quantités suffisantes et durables qu’en termes de disponibilité sans trop de disparités géographiques pour prétendre à quelconque développement et organisation sociale viables et fiables, du moins comme les Romains en avaient la conception. Il est en tout cas pour le moins surprenant, aujourd’hui, d’apprendre qu’il est possible de remployer les puits, les captages ou les canalisations antiques et que l’examen attentif, la recherche systématique des aménagements romains dont les  captages se caractérisent, dans la plupart des cas, par l’économie des moyens utilisés, peut autant faciliter, de nos temps, la tâche du chercheur d’eau. Et « Le problème de l’eau commande le problème du blé » (J-Lassus).

Ainsi, dans un document signé J. Birebent et intitulé «Aquae romanae », consacré à des recherches d’hydraulique romaine dans l’Est algérien, il est dit que l’ouvrage principal est souvent un simple bassin de rassemblement des eaux construit soit en pierres taillées de moyen appareil, soit en maçonnerie de moellons. Et qu’intérieurement, ce type de bassin, qui peut être rectangulaire ou demi-circulaire n’est pas recouvert de mosaïque et son plafond est une voûte ou, parfois, constitué par une ou deux dalles de pierre.

Sachant que le site d’apparition d’une source n’est généralement pas un lieu favorable à l’implantation  d’un captage, les Romains avaient donc tendance à remonter le cours de l’eau jusqu’à la rencontre es couches rocheuses non délitées, non fissurées où ils étaient assurés de rassembler tout le débit possible et c’est ce qui explique, affirme-t-on, que nombre de captages anciens fonctionnent encore parfaitement, d’une part, et que, d’autre part, et dans de nombreux cas, le bassin «ne se contente pas » de rassembler les eaux qui apparaissent in situ,mais constitue, la plupart du temps, soit l’aboutissement d’une galerie drainante, soit le terminal d’une série de drains parallèles ou en étoile.

Régions de Sétif et Béjaïa (Bougie –Saldae civitas et Setifis )

A Sétif même, les thermes du théâtre,  le grand château avoisinant la place ex-Barral ne furent découverts qu’en 1876. A six (06) kilomètres de la capitale des Hauts Plateaux, Bir-En- Nsa, entre fontaine romaine et El Hassi, à environ sept cents mètres de la route actuelle et à l’origine de la vallée de l’ouest Tinar  existait un puits comblé au fond duquel, une fois recreusé (par la Société génevoise), on découvrit, à quatre mètres de profondeur, « une vasque circulaire dans laquelle se réunissaient des sources abondantes et donnant passage au dehors par trois arceaux d’01,90 m de hauteur, supportés par des piliers en pierre de taille.

En avant des arceaux était un petit bassin de retenue auquel aboutissait une conduite qui portait les eaux au loin, La tranchée de la conduite traversait à vingt (20) mètres du puits les murs d’un balneum si l’on en croit la quantité considérable de cendres qu’on en a extraites… ». Archéologues et hydrauliciens chercheurs s’accordent à constater que le réseau hydraulique romain consistait, quelquefois, en de bien curieux ouvrages cependant parfaitement conçus et, surtout, judicieusement placés.

« Aquaphiles », les Romains l’étaient à telle enseigne que leur inclination particulièrement obsessionnelle à vouloir déceler les périmètres aquifères pour ensuite les explorer, les aménager et les exploiter laisse supposer qu’au-delà de son caractère aussi vital que, par conséquent, absolument indispensable, l’eau devait assurément jouir, dans leurs croyances, d’un statut sacro-saint, voire de divinité .

Une disposition de type animiste d’autant plus probable qu’elle compte un grand nombre d’adeptes  discrets (même de nos jours). A Qhalfoune  ont également été découvertes es thermes avec mosaïques et, à Chama, il y avait « une séguia à ciel ouvert d’origine romaine ». Tout comme à Berdia, ce réservoir romain semi-circulaire dont la partie arrondie avait un diamètre intérieur de cinq mètres,la base en pierre de grand appareil et le radier en béton entouré de pavés de vingt à vingt-cinq centimètres de long sur dix de large. Ce pavage avait une hauteur approximative de 0, 70 m et autour de celui-ci, une série de pierres dégrossies à l’aiguille d’un mètre de long sur trente centimètres de large .

La hauteur du mur était d’un mètre soixante-dix avec un couronnement de pierres taillées. Les eaux arrivaient dans le réservoir par un canal dont l’orifice était  formé de deux tuiles creuses superposées …Il amenait un débit de dix litres minutes. A Messaoud, en 1878,fut découvert par M. Mangiavacchi, un des anciens maîtres de la commune, un vaste bassin sur la face ouest duquel débouchaient vingt-trois conduites en poterie issues de drains remplis de pierres sèches. Sur la face Est, il y avait une vanne en pierre qui, glissant dans un châssis, fermait  hermétiquement une ouverture garnie d’un tuyau en plomb et par laquelle s’écoulaient  les eaux.

C’est dire que les techniques de domestication des eaux de la captation à la phase de distribution étaient déjà, à l’époque, assez élaborées, révélant, de ce fait, l’existence d’ un génie avancé en matière d’hydraulique . Et ce qui est fantastique c’est qu’à la fin des travaux de déblaiement, les drains se remirent à … fonctionner normalement ! Des milliers d’années après ! (Découverte de Messaoud). 

Et à (donc) alimenter le bassin. Tout simplement fabuleux ! Il a également été recensé à Bordj Zembia (Bordj Bou Arreridj) le fameux aqueduc de la colonie des Lemlefensiens avec sa conduite en poterie, et l’inscription qui commémore la réparation de l’ouvrage sous le règne des deux Philippes (244-249) : « L’eau de la source qui, depuis longtemps, se perdait, ce qui condamnait les citoyens à de pénibles privations, a été ramenée à grands flots dans les fontaines après la réparation de l’aqueduc opérée par les soins de Marcus Aurélius Athon, surnommé Marcellus ». Et comment ne pas encore évoquer Djemila, avec son aqueduc de grandes dimensions et dont le captage de la source s’opérait au sud de la ville. Les fontaines publiques et autres aquamaniles étaient particulièrement spectaculaires dans cette cité.

Région de Béjaïa (Bougie)

A Choba (Ziama), un réservoir de pierre de taille de grand appareil et de12m sur 06 , situé au sud des collines qui forment la limite méridionale de la ville servait de château d’eau, probablement alimenté par la conduite issue de Aïn Ezzedma qui sort en deux endroits de captages anciens. Cette conduite alimentait aussi la ville principale et la contournait par l’ouest. Puis l’ancienne Saldae, B’Gaïth, Bougie, Bejaia…

La principale ville de la côte de Saphir : Très pauvres en eau étaient les abords de la ville à cause des calcaires du Gouraya qui laissent passer les eaux d’infiltration jusqu’à la mer par des milliers de fissures et de crevasses. Ce qui explique le fait que l’ancienne cité fut contrainte d’aller chercher au loin la plus précieuse des denrées (avec l’oxygène). A dix-sept kilomètres à l’ouest de la ville, Toudja et sa source principale à partir de laquelle un aqueduc long de 21 km allait chercher l’eau. C’est au pied du djebel Aghbalou, au point bas des calcaires, que naît cette source. J. Birebent signale que les points les plus curieux de cette grandiose réalisation sont : L’aqueduc aérien d’Hannaïat, le tunnel d’El Habel et les citernes de Saldae.

Ce fut l’empereur Antonin Le Pieux qui régna de 138 à 161 qui dota la cité de canalisations d’eau, tandis que Nonius Datus, le vétéran, se chargea de la conception des plans concernant le captage des sources de Toudja et de la construction de l’aqueduc.C’est de l’actuelle source d’Aïn-Seur que la conduite d’eau (l’aqueduc) partait, suivant d’une manière presque constante le tracé de l’actuelle route dite des crêtes (Chemin des crêtes), laquelle, d’ailleurs,semble avoir emprunté un tracé romain. Le tracé initial :

L’aqueduc contournait par le sud, partant de Toudja,le petit massif de Breroudj (ou Berroudj), pour atteindre le col d’Anaïat (ou Hanaïat). On retrouve la canalisation à Ifren, sur la montagne Ifri-entmiri, à Agouni Tahanaït, à Sidi Mefta, à Taghrourth Imoula, à Taourt n’ Aïth Errahma, à Adhrar Ou Farnou, à Demous puis, enfin, y aboutissant en phase terminale, au Fort Clauzel et à Sidi M’Hand Amokrane à Bejaia où l’eau acheminée se déversait dans d’immenses citernes  construites au haut de la ville.

L’une d’entre elles, écrit M. Melix, avait 1,50m de large, 29,60 m de long et 15,50m de profondeur…La construction de cette citerne, relève-t-on, dans « Histoire de Bejaia et de sa région » de Mouloud Gaïd, « …remonte assurément aux premières années de l’occupation romaine » et, depuis elle, partent des canalisations vers de fontaines publiques et les citernes privées. Une inscription trouvée à Lambèse nous renseigne sur l’histoire du percement de cet ouvrage. En 137, l’ingénieur militaire Nonius Datus est prêté par le légat de Numidie au gouvernement de Maurétanie pour étudier le projet d’adduction d’eau.

Les chantiers sont ouverts et vers 148 la galerie est commencée. En 152, Nonius Datus apporte les rectifications nécessaires et l’aqueduc peut alors être achevé, puis inauguré par Varius  Clemens. Il aura fallu seize à dix-sept ans à l’armée, vraisemblablement, pour achever cet ouvrage monumental…Mais l’odyssée hydraulicienne romaine est loin de s’arrêter à ce seul aqueduc (celui, certes, fabuleux de Toudja) tant elle est présente, tantôt simple, tantôt très élaborée, sur plusieurs points du territoire national et delà.

Quant à la conclusion qu’a tirée M. Birebent de ses propres recherches sur le terrain, autant dire qu’elle est loin de laisser indiférent : « …J’ai acquis la conviction, basée sur des résultats tangibles, que la recherche de «l’eau romaine » donne, partout où elle peut être entreprise utilement, des quantités d’eau fort appréciables avec un minimum de frais. De plus, j’ai pu étudier les zones colonisées par les Romains et trouver les raisons de leur présence sur des terres stériles ou actuellement désertiques.

Là aussi, j’ai pu constater qu’avec des moyens simples, souvent même avec la seule main d’œuvre locale, on peut rétablir ce qu’avaient réalisé les anciens : La prospérité agricole ». Fort heureusement, aujourd’hui, en 2010, précisément, l’ère des grands barrages dont celui tout récemment mis en service, Tichi Haf en l’occurrence, n’a pas inhibé la mémoire d’une élite à Bejaia qui s’est attelée avec passion, enthousiasme et respect quasi religieux à rendre un vibrant et non mois tangible hommage aussi bien à ces hydrauliciens millénaires qu’à Toudja et sa région, son épopée aquatique, à l’eau, tout simplement. En réussissant cette entreprise culturelle assez originale qui a consisté à réaliser et inaugurer « Le Musée de l’eau ».

Dans «La Maison de l’Eau», «Le Musée de l’eau», sur… «La Route de l’Eau»

Un hymne en dur à l’eau, « cette plus que précieuse et unique denrée qui nous vient du paradis », affirmaient, sur un ton docte, nos aïeux. Samedi 20 mars 2010 aura été  une journée  de liesse populaire pour les autochtones de Toudja, jeunes et vieux, hommes et femmes, dédiée à « leur » produit fétiche, leur fierté millénaire, l’eau, en l’occurrence. L’eau du mont de l’Aghbalou. Déjà que : « 

L’Oued Toudja, appelé dans le haut Oued Aghbalou, a fait, dit-on,se mouvoir cent un moulins. Il y en a encore aujourd’hui plus de vingt en activité » (E- Carette, 1848). Conçu par la très entreprenante association GEHIMAB (Groupe d’Etudes sur l’Histoire des Mathématiques à Bougie médiéval-Laboratoire Lamos avec, à sa tête, l’infatigable Professeur Djamil Aïssani ), et l’APC de Toudja, l’aménagement d’Aqham Ouamane (La Maison de l’eau ) a été réalisé grâce à un financement d’ONG-II – Union Européenne et de l’APW de Béjaïa…

(Bibliographie : J. Birebent (Aquae romanae) Synthèse et commentaires de Arslan-B

 

 

 

 

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