Histoire

Guelma -La ville martyre, les hécatombes : VIII. Le Recit D’un Rescape

Publié par Dknews le 18-03-2014, 15h53 | 405
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Ainsi, comme nous l’avons écrit dans notre dernier article, c’est le dimanche 13 mai que les événements entrèrent dans leur phase la plus tragique. Ce jour-là, pourtant, une mesure  bien inspirée venait de dissoudre les milices. Nul doute que, si à ce moment précis une voix autorisée, impartiale et sereine, dominant tout à coup la mêlée s’était élevée pour ordonner fermement que cesse la répression, le drame eût pu être circonscrit.

Les bouleversements, les incendies, les pillages eussent pris fin ; le nombre des victimes eût été limité et les troupes désarmées se fussent sans tarder attachées à relever les ruines.
Ainsi l’irréparable eût pu être évité et la paix sociale peu à peu, serait revenue sur le pays meurtri.
La haute administration algérienne qui, jusque là avait suffisamment accumulé de preuves de sa carence criminelle pouvait provoquer cet heureux retournement des choses. Elle s’obstine à ne rien tenter et, bien au contraire, préféra abandonner à ses subordonnées le soin de maintenir l’ordre donnant ainsi la preuve évidente de sa complicité.

Devant l’attitude passive des plus hauts représentants de la république française en Algérie, comment donc pouvaient se comporter les autres « citoyens réunis », sinon donner libre cours à leurs instincts destructeurs et immoler « Au nom du père, du fils, et du saint esprit » ces musulmans dont on venait leur dire qu’ils avaient déclaré la « guerre sainte » à la France.

En grand nombre, des douars, des mechtas, quelques villages même, ont été saccagés et rasés dans les régions martyres de Sétif et de Guelma ; par ailleurs des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants- l’innocence même- sont tombés, victimes invengées des miliciens dissous, mais toujours organisés et toujours agissants.

On a souvent voulu faire accroire que ces derniers, dès que leur dissolution a été décidée, se sont en « bons citoyens » conformés strictement à la loi et ont arrêté les effusions de sang. Rien de plus inexact. Longtemps après le rétablissement de l’ordre, ces véritables hors la loi dont certains se sont constitué des capitaux et des fortunes à force de « razzias » portaient encore leurs armes en bandoulière et disaient, comme ce membre du R.P.F de Guelma, deux ans après le drame : « Sale race nous en avons tué par paquets. Il en reste encore mais ce n’est pas fini…. ».

Le doyen des parlementaires réactionnaires d’Algérie, le sénateur Paul Cuttoli qui est un prophète à la manière d’Abbo puisque, un jour d’avril 1945 où il se trouvait à l’hôtel du Louvre, à Philippeville, il annonça des incidents sanglants en les situant avec une troublante précision entre Sétif et Guelma, déclarait le 29 juin 1945 dans un important discours à l’assemblée constituante :
« Mais, m’objectera –t-on, cette répression a été violente et excessive notamment dans la région de Guelma . »

« Obéissant aux ordres du sous – préfet de cette ville, les gardes Civiques qui avaient été organisés en plein accord avec les autorités militaires, le maire et les dirigeants des groupements de la résistance et des anciens combattants, se seraient livrés à de déplorables excès. Des indigènes incarcérés à la prison de la ville auraient été arrachés à leurs gardiens et fusillés. »

Paul cuttoli ne sait pas conjuguer ses verbes. Si au lieu d’employer le conditionnel présent il avait employé le passé composé par exemple, il aurait du coup dit une partie de la vérité et mérité un peu de notre gratitude. Mais il n’avait pas l’intention de la dévoiler toute, cette chère vérité tellement méconnue. C’est son affaire, non point la nôtre.

Jamais peut être la commission parlementaire d’enquête ne viendra recueillir toute la vérité sur le 8 mai et la propager comme il se doit. N’ayant pas encore tout à fait compris pourquoi la commission menée par le général Tubert, maire d’Alger, fut rappelée le jour même où elle commençait son enquête dans le constantinois, nous en avons pris notre parti. Mais nous n’avons pas pour cela renoncé à dénoncer les crimes commis contre notre peuple parce que, comme le journal, « nous sommes », comme le proclame quelque aprt le grand poète et député martiniquais Aimé Césaire, « de ceux qui disent non à l’ombre. »

Revenons à Guelma.

Outre les quarante scouts du groupe Ennoujoud, les vaillants dirigeants des A.M.L. et leurs soixante dix compagnons, cinq cent autres jeunes musulmans de la ville environ furent exécutés par la suite dans des circonstances que nous ne pouvons pas toutes énumérer mais sur lesquelles notre camarade H.K. l’un des rescapés de la tragédie a déjà commencé à éclairer nos lecteurs dans un précédent article. Ecoutons donc la suite de son récit : 

Mardi 15 mai. – Détenu depuis quelques jours à la gendarmerie, je venais d’être désigné par le bureau de la milice pour inhumer les cadavres. Il était 8 heures environ lorsqu’une dizaine de prisonniers parmi lesquels Ouartsi Salah, cordonnier, Hammi Mohamed, cordonnier et Boumaâza Mohamed Ben Brahim, maquignon, âgé de 58 ans, furent emmenés dehors par des miliciens.

De retour vers 11 heures ils nous déclarèrent avoir été obligés de creuser outre les tombes de ceux qui la veille avaient été exécutés sur la route de Millésimo, près d’un pont situé à 3 Kms de Guelma, les leurs. Dans l’après-midi, de nouveaux prisonniers étant arrivés, une quarantaine de nos compagnons nous quittèrent vers 15 heures pour ne plus jamais revenir. Avec eux se trouvait mon oncle Benchida Ahmed mort fusillé. 

C’est le lendemain, mardi 16 mai vers 8 heures que je fus appelé au « travail » avec douze de mes compagnons. Transportés dans des camionnettes de la S.I.P., conduite par Kelfi Brahim, escortés de dix miliciens armés de mitraillettes et de mousquetons, nous fûmes dirigés vers la carrière de tuf située au delà de la porte des souks à 30 mètres à peu près du pont Hadj Embarek. Arrivés là, nous nous trouvâmes en présence d’un amas de cadavres.

Il étaient 67 exactement. Leurs corps étaient troués de balles et brûlés à l’essence. 5 ou 6 d’entre eux, néanmoins n’étaient pas encore brûlés et je pus les reconnaître. C’étaient : Amraoui Salah, 25 ans, père de 2 enfants, blessé de guerre 39-40, infirmier à l’hôpital civil de Guelma ; Zelfa Amara, 50 ans, maquignon ; Boudab Amar, 35 ans, brocanteur, un nommé Abderrahmane, âgé approximativement de 32 ans, garçon à l’hôtel d’Orient, propriété de Mohamed Reggui, Bouchemal, 35 ans, chauffeur à la S.I.P. Les autres étaient méconnaissables, absolument. 

Nous n’eûmes pas à creuser le trou pour eux. Ils l’avaient déjà fait eux-mêmes avant de mourir. Nous commençâmes aussitôt notre tâche funèbre sous la surveillance des miliciens et des avions de chasse qui ne cessaient point de passer et de repasser au-dessus de nos têtes. Dans un fossé profond de 1m 50 et long de 4 mètres nous précipitâmes les cadavres qu’ils nous fut difficile de recouvrir entièrement de terre. Puis, nous nous mîmes à creuser un autre fossé de mêmes dimensions que le premier.

Les miliciens nous obligeaient à travailler tête basse, sans parler « ces tombes sont pour vous, car ce soir ce sera votre tour » nous disaient-ils, puis, se retournant de temps en temps vers le chauffeur musulman Kelfi Brahim, demeuré un peu à l’écart : « Si du veux un beefsteak, coupe une tranche, tiens un couteau. « Ils désignaient les cadavres. Ils disaient encore : « Ah ! il nous sera facile de violer toutes les femmes arabes ».

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